La lumière s’éteint mettant un terme au brouhaha feutré du public de cette salle de concert. Très vite le silence domine, agrémenté ici et là de quelques raclements de gorge ou de toussotements vite étouffés. Un retardataire se faufile à sa place dans un bruissement d’étoffes et de frôlement de peau, marmonnant de vagues excuses pour chaque spectateur dérangé, avant de s »échouer à tâtons dans le fauteuil en velours qui lui est réservé. Les musiciens, sous les feux des projecteurs, règlent les derniers accords de leurs instruments, ajustent leurs pupitres et vérifient leurs partitions une dernière fois dans un glissement de papiers. Entrée du chef d’orchestre marchant d’un pas vif vers son pupitre dans un crissement de souliers vernis. Il salue le public qui l’applaudit à gestes feutrés et mesurés, puis invite son orchestre à interpréter le prologue de l’oeuvre. Sol Fa Ré Mi…bercé par les premières notes, je me laisse glisser vers un début de volupté. Le chef d’orchestre lève les bras à hauteur d’épaules dans une invitation à communier. Ré Mi Fa mineur Sol Do…la musique monte crescendo…allegro forte. Contrebasse et saxophone…Deuxième mouvement. Le maestro baisse les bras et la musique se fait plus lente, moins forte, plus grave…Do Ré Do Ré mi fa dièse. Violon et clarinette.Je me sens planer au rythme des notes. Un musicien accompagne le mouvement en dodelinant doucement de la tête. Troisième mouvement. Moderato. Violon et contrebasse…La Si Do majeur Mi. Je me pose doucement sur un lit de sable moelleux. Je sens les notes filer entre mes doigts vers le ressac des flots que l’on discerne au loin dans un murmure confus. Le maestro baisse les bras et incline la tête. C’est fini. C’était 4,33 minutes de silence du compositeur américain John Cage. Applaudissements nourris d’un public enthousiaste et retour à une réalité bruyante.