De ma fenêtre, je participe à la vie de l’écluse. Mais toujours un peu avant, je cherche entre les feuilles des platanes, déjà trop étouffantes pour la vue, je cherche la couleur de l’eau de ce matin. J’entends alors Garonne s’exclamer :
(N’est-ce pas l’heure où je suis la plus belle en cette saison?)
Il est vrai qu’apparaissent entre les terminaisons de branches des facettes qui brillent comme une robe de princesse chinoise, moirées. Mais je ne veux pas me laisser troubler et je salue plutôt la chevelure blonde ondoyante d’une jeune femme qui traverse le quai après avoir longé l’écluse. Garonne insiste :
(J’ai rétabli mon niveau, j’ai gardé toute ma classe.)
Je me souviens des jours très chauds de la quinzaine écoulée. En comparaison, le temps est frais ce matin, il y a un peu de vent, cela fait ondoyer les chevelures. J’en ai le sourire et je me laisse aller :
(On pourrait te chanter, alors. On pourrait faire du Nougaro rien que sur toi.)
Je lui trouve une sacrée répartie :
(Toi, tu pourrais faire du toi sur moi…)
Là, je suis vraiment troublé et pour retrouver de la contenance, je taquine un peu un batelier en pleine galère au moment final du passage d’écluse, tout en bas :
(Ah, c’est une sale passe, avant d’arriver au fleuve, faut la bosser.)
Elle a dû le prendre pour elle :
(Tout mon sale me vient de vous. Avant vous, jamais il n’y avait cette mousse jaunâtre au coin de ma lèvre. Est-ce pour ça que tu te tiens à distance?)
J’ai bien remarqué l’écume suspecte près du quai en descendant l’autre jour. Mais je me garde bien d’en faire état. Après tout, ce n’est qu’un peu par rapport à toute l’eau qui coule…
(C’est vrai qu’on devrait faire gaffe ! Mais oh, cette petite écume, c’est… c’est ce qui monte avec le désir, non ? Enfin, pas aux hommes, je veux dire…)
Elle doit sentir que je m’enfonce :
(Tu veux dire?)
Je serais bien tenté de héler le garçon du café du Bazacle qui ouvre les parasols de l’autre côté de l’écluse mais je ne veux pas lâcher la belle… Ah, comme si j’étais pris au hameçon ! Pris au hameçon à Garonne, mon grand-père le pêcheur en rigolerait bien… Mais moi, je ne peux m’empêcher de reprendre une voix cajoleuse :
(Je veux dire que c’est tentant de… Je me rappelle, l’autre soir, pas très tard en plus, j’ai aperçu quelqu’un qui nageait au fil du courant, un dos crawlé que j’ai trouvé très élégant.)
Ce sont peut-être mes oreilles qui se débouchent mais je perçois plus distinctement le roucoulement des eaux tombant de la chaussée du Bazacle, un roucoulement qui continue à me parler :
(Hmmm… Faute de goût… Ce serait tellement mieux une brasse papillon, tu ne trouves pas?)
Bon, quand on est troublé comme ça, on fait comme on peut, on essaie de de focaliser sur les chevelures blondes des traverseuses de rues mais il n’y en a pas forcément et, du coup, on lâche des bêtises :
(Oh moi, je ne sais même pas nager.)
Et là, tout se tait.