Lit château fort dans longue pièce : la salle à manger / depuis le traversin on voit le buffet Louis XIV / murs en plâtre crémeux / sol en ciment nu / il fait froid sauf sous l'édredon en plumes de la grand-mère / coton satiné vieux rose / le corps comme dans un trou.
(…) l’épaisseur des plumes, pensée bombe : il n’existe personne à qui parler. Famille en pierre, chaîne trop courte, le chien hurle, enfants pas regardés, jamais (…)
En transit à l'aéroport de Moscou avant la chute du mur / hôtel prison avec barreaux noirs aux fenêtres / des cafards / pas de caviar / draps déchirés propres / impossible de régler le chauffage / la porte fermée à clé à 20h, ouverte à 6h du matin.
(…) courant d’air froid dans l’étuve aux lits en fer. Les barreaux quand on ouvre la fenêtre éclairent une liberté paradoxale. Glisser sur les bruits congelés, loin derrière la neige (…)
Big Sur, la perle de Californie / chambre dans les bois / bruits d'animaux sur fond de climatisation déréglée / couverture en laine à carreaux / rideaux petite maison dans la prairie / volets persiennes / trop de confort et de falbalas pour une cabane de bûcheron / les Big Foot doivent bien se marrer !
(…) nature trop grande derrière rideaux absurdes. Si je meurs, je serai à dix mille kilomètres de moi. Pour lui, je suis un personnage dans son rêve, le miroir grossissant de la salle de bain (…)
Quartier Akpakpa à Cotonou / maison avec gardien obligatoire / ventilateur au plafond / réunion de geckos hors moustiquaire / inside : crise de paludisme carabinée / la mort siffle trois fois / rêves dantesques / à l'aube, transfert à l'hôpital / il y en aura d'autres...
(…) baigner dans sa propre eau, suinter des litres. Sentir au fond des muscles la mort tirer par grandes secousses. Qui voit cela, que tout est histoire, qui (…)
Bordeaux-Leiria, un bus / spots directionnels allumés comme une guirlande de Noël / craquements des sacs plastiques / sandwich, salade, sodas, gâteaux / peu de téléphone portable, pas d'ordinateur / juste les bruits de soixante passagers incapables de trouver le sommeil / le bus freine pour son premier arrêt à 3h du matin / ceux qui fument sortent, les autres marchent / il fait frais en Espagne cette nuit-là.
(…) avancer en dormant, dormir en avançant, fol espoir de s’échapper. On a jamais bougé d’un millimètre, de toute éternité. Le savoir dans ce bus, sans aucun doute possible (…)
Québec résidence 2016 / l'invitée se prélasse dans un lit flambant neuf / pour le sommeil on repassera / bruits de climatisation, frigo, alarme de voiture parquée plus bas, sirène de Police : au secours ! / lire Patrice Desbiens en attendant le soleil / "Dans chaque maison les miroirs sont parfaits et lisses comme la folie - Je suis un citoyen de cette folie - Résidence impitoyable et permanente - Je cours comme un animal dans ma ville natale - Je ne peux pas partir et je ne peux pas revenir."
(…) une chambre où les surfaces sont trop lisses. Attendre en lisant que le somnifère agisse. Rien, il n’en veut pas de ton jetlag. Le sang aussi est très bruyant (…)
Sur le canapé du salon à Carignan de Bordeaux / toute habillée / dès que je tente de fermer les yeux, le corps mort et gonflé apparaît / il n'y aura plus de nuit paisible pendant un sacré paquet d'équinoxes.
(…) canapé bleu, en boule, entre les hauts accoudoirs, enfoncée au centre des coussins. Ne pas fermer les yeux, la seule chose qui soit vraiment vitale (…)
Lacanau chez les poètes jumeaux / le matelas est en mousse, les ressorts du sommier grincent à chaque retournement / je ressemble à un crabe pris dans une épuisette / les grillons en font une ode / c'est la grande brulée de l'été / heureusement il y a toute la collection des Tintin.
(…) la peau est brûlée, très réactive, elle se blesse aussi aux draps. L’esprit ne commente pas, observe au microscope l’expérience du corps en éruption (…)
Chambre à deux pas du Luxembourg / luxueux attirail de bain, senteurs des savons shampoing crèmes / marbre risible / nuit sans sommeil, mais le plus beau avait eu lieu avant / l'avant-première du film aimer boire et chanter / Alain n'est pas venu.
(…) le film, ses décors, ses couleurs, tous les visages, les mots des acteurs. Défilé à réveiller les morts, mugissement terrible de formes-pensées qui n’en finissent pas de se cabrer (…)
Dernière nuit avant le grand départ / les affaires des prochains propriétaires s'entassent aussi dans le salon / je suis allongée sur un canapé d'angle marron, franchement dégueulasse le marron / il n'y a plus une seule couleur / tout est noir et marron / l'écriture sur les cartons dit qu'il y a beaucoup de choses pour les enfants.
(…) réclamer demain, incapable d’ouvrir la porte à la fatigue, laisser détremper dans cet espace du corps les algues sèches de la peur (…)
voyage, voyage… dans des univers bien campés.
Ravie de t’avoir fait voyager, Claudine 🙂
Quelle force. Entre les parties de textes en gris et les autres. il y’a la force des mots et l’image du texte par ce gris qui enferme un style « télégraphique ». Je reviendrais lire vos autres textes.
Au plaisir de te retrouver, Romain. Je dis tu, pardon. 🙂
qu’importe que la forme diffère un peu en apparence, il y a la beauté de ce sous-texte qui porte les courtes évocations
J’avais le sentiment que ma première version était comme roulée dans les paillettes, qu’il fallait rentrer sous la peau. En fait, je ne vois rien du résultat. Vos yeux vont me guider. Merci d’être là.
Rien de mieux que d’offrir les metamorphoses du travail. Très généreux et riche. Merci
Merci Christian, avec plaisir.
en vrai, les deux se complètent (probablement grâce à la géographie) (rien n’est jamais complet d’ailleurs) mais merci du partage (une espèce de perspective, voilà ce que c’est – une illusion aussi bien, attends c’était « juste une illusion/ à peine une sensation » – téléphone peut-être ou aubert)
Oui, c’est Aubert 😉
Merci, Piero, pour ton retour sur exercice.
Très intéressante cette approche en deux temps du texte, reprises et transformations. Avec cette forme graphique du texte. Ça donne envie d’aborder une prochaine fois l’atelier directement de cette manière.
Si mon incompétence donne des idées aux autres, je suis ravie 😉 En fait, je refais tout 3 ou 4 fois, c’est pareil dans mon boulot, je multiplie les versions !
oh merci pour cette balade en belles graphies… j’adore ces deux couches, ces deux strates complémentaires l’une de l’autre
métamorphoses…
Merci beaucoup, Françoise. C’est sympa de prendre le temps de laisser un petit mot ! Ça m’encourage 🙂
Génial les bandeaux gris et les « milieux de phrases » ! Impression que les sous-titres deviennent l’histoire principale et vice-versa. Regards qui s’additionnent, on y est, et en trois dimensions !
Ravie que ça te plonge dans les 3 dimensions, Juliette ! Merci pour ton mot d’encouragement. 🙂
lu et relu et re-relu… une manière judicieuse de répondre à la consigne, ce contrepoint… le contexte (mais pas seulement… j’ai lu les passages sur fond gris indépendamment des blancs, pour voir, et ça marche aussi comme réponse à la proposition) et puis le sommeil ou pas, les sensations, le corps plus que les murs, si je peux dire. Vraiment beaucoup aimé. A vous lire encore !
Merci beaucoup, Marlène ! J’avoue que cet exercice a été facilité par ma grande expérience de l’insomnie. 🙂 c’est plus difficile de partir sur des formes longues, je suis moins pertinente, il me semble. Mais je ne vais pas hésiter à adapter les exercices à mon écriture télégraphique, on verra…
Le procédé/protocole est intéressant. Jusqu’où pourrait-on l’user/le fatiguer ? Je m’interroge sur les pointillés entre parenthèses sur lesquels/lesquelles ma lecture a buté chaque fois. A voix haute, on en ferait quoi ? Merci pour toutes ces questions que suscitent votre texte.
Merci, Cécile ! enlève ce qui t’encombre. Ces parenthèses, c’est principalement fait pour les yeux, et aussi parce qu’il a de l’avant et après, c’est coupé dans le lard. Une fine tranche.
L’impression de décors posés dont on me livre les secrets intimes. J’aime beaucoup. Merci
Merci beaucoup, ravie que ça te plaise. 🙂
Waouah … Strates de poésie taillées dans la chair vive … ça remue. Merci.
Merci Martine 🙂