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revenant alors, nous autres, sur les sols, comme si nous n’en avions pas déjà fait le tour, comme si nous n’avions pas tout dit sur les sols, tout ce que nous avions à en dire, comme si les sols – comme les ciels, les amours humaines, nos rapports aux bêtes ou à dieu, la nature, etc. – étaient inépuisables, pouvaient alimenter nos conversations « jusqu’à la fin des temps », comme si, tant que nous parlerions des sols, de ce qui grouillerait sur les sols, des textures infinies des sols, il y aurait encore à dire, comme si « la mécanique ne serait pas encore morte », totalement bouffée, annihilée, par le cours de la vie, les aléas, comme s’il ne nous restait plus que les sols et leurs infinies textures, pour demeurer en vie, ne pas « virer zombie », ne pas « virer zombie » nous obsédant alors, à l’époque, plus que tout au monde – nous obsédant plus que les ciels ou les amours humaines ou nos rapports aux bêtes, nous obsédant plus que « nos travaux avec dieu » aimait à dire à l’époque georgy flérov, nos travaux moléculaires, à ras de terre, à même l’atome, nous accaparant pourtant des jours durant, nos expériences atomiques nous accaparant des fois plusieurs jours et plusieurs nuits d’affilée, nos expériences ne nous accordant des fois que de courtes pauses, konstantin peterzhak ne s’arrêtant que pour un café, se niquant les dents sur un pseudo-café et un « biscuit soviétique », les biscuits soviétiques se désagrégeant dès que mis en bouche, les biscuits soviétiques n’ayant pas de tenue, n’ayant fait l’objet d’aucune étude sérieuse ou, « tout au contraire ayant fait l’objet de multiples études » aimions-nous à dire à l’époque, dans ces années de gloire, tant il nous paraissait improbable, à l’époque, dans ces années de gloire, de vendre de « telles marchandises » ( des conserves en tôles usagées, hautement toxiques et rouillées, se désagrégeant dans nos garde-mangers, des soupes flasques en tétra-brick ne séchant pas sur les parois de nos bols, vides depuis trois jours, et sur le carrelage frais, à l’ancienne, de la cafétéria du centre, ou des biscuits encore, soviétiques, se désagrégeant dès que mis en bouche ) sans études sérieuses, « les autorités de l’époque », aimions-nous à rappeler, commanditant « des études sérieuses pour un rien », les autorités de l’époque visant à contrôler les chaînes « de production et de distribution », « les chaînes de consommation », toutes, et toutes nos vies, tous les détails de nos vies – tous les détails de nos vies étant, à l’époque, vérifiés, passés au microscope, konstantin peterzhak prétextant du fait que nos vies, « tous les bouts de nos vies », seraient ainsi passées au microscope pour inciter tout qui se trouverait avec lui, à l’instant de la pause, dans la cafétéria du centre, à « prendre un biscuit soviétique », konstantin perterzhak se niquant les dents, quinze fois par jour, à l’instant des pauses, sur un biscuit soviétique, ne souhaitant pas être le seul à se niquer les dents sur un biscuit soviétique, konstantin peterzhak ne souhaitant pas être le seul à diminuer le stock, inépuisable, de biscuits soviétiques, ne voyant pas pourquoi il serait le seul à « faire évoluer positivement les statistiques », les autorités de l’époque n’aimant rien de plus au monde que de « faire évoluer positivement les statistiques », les statistiques évoluant positivement dès qu’elles seraient à la hausse, une hausse des consommations des conserves et des soupes flasques, des biscuits soviétiques se désagrégeant en bouche ne pouvant qu’être positives quant à la qualité des conserves, des soupes flasques et des biscuits soviétiques, une hausse des consommations ne pouvant qu’indiquer qu’une « hausse du bonheur » aimait encore à dire konstantin peterzhak, jamais en repos, ne parvenant pas à s’asseoir, marchant de long en large sur le carrelage à l’ancienne, déglingué, de la cafétéria, comme s’il fallait à l’époque, à konstantin perterzhak, « maintenir », tenir sous tension la mécanique, comme si, à l’époque, dans ces années de gloire, la mécanique konstantin peterzhak se serait effondrée si, même à l’instant des pauses, des cigarettes et du café, la mécanique konstantin peterzhak se serait posée, aurait pris place à table avec nous, ses collègues chéris, ses collègues chéries, le charriant, nous autres, à propos de son « délire bouffon » — aimais-je à dire à l’époque – à propos des « biscuits soviétiques », georgy flérov ne manquant jamais de rappeler à konstantin peterzhak qu’il suffisait de sortir du stock, des garde-mangers gargantuesques, une fois par mois, trois ou quatre caisses de biscuits soviétiques et de se rendre, discrètement, quelque part, dans la nature, au bout d’un pré ou d’un champ de patates ou dans un bois perdu, au choix, en vue de creuser un trou large et profond dans le sol, à la main, pas à la machine, et d’y enfouir les caisses de biscuits soviétiques sorties, discrètement, du centre, des garde-mangers du centre, les statistiques évoluant alors, « instantanément et positivement » aimait à dire georgy flérov, « les terres réagissant négativement » aimait alors à rappeler konstantin peterzhak, konstantin peterzhak, et plusieurs autres, ayant constaté la réaction des sols, la réaction des terres, « ne prenant pas l’eau » aimait alors à préciser konstantin peterzhak, les bouts de pré, retournés à la pelle, les bouts de champ de patates ou de bois perdu, absorbant l’humidité, « plus que de raison », à l’endroit exact où, munis de pelles, nous avions creusé puis enterré trois ou quatre cartons de biscuits soviétiques, déposés avec soin au fin fond d’un trou, dans un sol loin de tout, retourné prudemment couche sur couche, georgy flérov ayant étudié l’affaire, s’étant discrètement renseigné, nous ayant appris comment faire, comment retourner des terres, à la main, à la pelle, en toute discrétion, sans laisser de trace,
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trois fois je viens de lire votre texte.Merci. « Les zombies », « les statistiques » et « à cette époque » me rappellent furieusement aujourd’hui. Mais il n’y a pas que ça. Il y a tellement à entendre dans votre texte. Il est parfait.
a bin ! un tout grand merci pour ce retour, Simone ! n’ai pas encore eu l’occasion de jeter un oeil aux textes des autres – mais vais le faire avant la seconde proposition de François… du coup, une question : avez-vous déjà posté le vôtre ???
Non, pas encore, ce jeudi 20 je pense. A plus tard.
Plaisir de retrouver vos obsédantes phrases tournées vers la bouffe, (soi-disant la bouffe), et maintenant dans le paradis de l’est, ouais !
hihi ! j’espère que la bouffe ne prendra pas toute la place comme elle l’avait fait en hiver ! haha ! qu’elle laisse une chance à d’autres choses de surgir un peu ! on verra ! on n’est jamais sûr de rien dans un atelier de François, pas vrai ? belle journée à vous, Catherine !
Perso, la bouffe a pris une grande place dans ma vie, je n’ai rien contre cette obsession ! et je dois dire que le biscuit soviétique m’amuse au plus haut point !
Plaisir de retrouver votre obsédant phrasé obsédé de bouffe, (soi-disant la bouffe), et maintenant dans le paradis de l’est, ouais !
Match : biscuit soviétique= 0/sol =1. Et pour cette lecture une » hausse du bonheur » significative !
haha ! merci, Annick ! content d’avoir contribué à « hausser du bonheur » ! maintenant que la proposition 1 est en ligne, vais pouvoir lire les contributions des autres ! sûr qu’il doit y avoir dans tous ces textes d’autres hausses de bonheur ! belle après-midi !
bon bin le mange-texte ayant dû régurgiter je ne regrette rien de ce qu’il a consenti à restituer entre les miettes inaugurales et le rôt terminal de la digestion… Ça (re) commence très fort cette affaire !
haha ! merci pour cette lecture, Jacques ! ça commence comme ça mais aucune idée où cela mènera ! je suppose que maître Bon nous réserve encore des surprises !
Ah, les biscuits soviétiques ! Pour un peu, on en aurait l’eau à la bouche… sauf que c’est risqué, a priori, pour les dents, tout ça… Mince, c’était bien, quand même, ce temps-là.
en tout cas, il y avait matière à en faire des histoires !
moi je peux pas les biscuits, j’étouffe et risque de casser ma troisième série de dents, bon mais ça n’empêche rien… ceux là de biscuits me risque à les ensevelir (au pire on peut en garder quelques uns à tremper comme on le faisait des biscuits de mer)
faire tremper les biscuits soviétiques : mais voilà une excellente idée ! merci, Brigitte ! peut-être cette idée reviendra sur le tapis au détour d’une prochaine proposition de François, qui sait ? ne me risquerait pas, pour ma part, à ensevelir les biscuits : trop dangereux pour l’environnement ! vous risquez de les retrouver dans l’eau de votre nappe phréatique ! en tout cas, ne vous étonnez pas, après ingestion de l’eau, de devenir subitement phosphorescente ! belle soirée à vous !
Me semble pas clair le camarade flérov… Le texte est bon !
flérov est un pote à raoul ! ça explique tout ! sinon, hâte de te lire, manneke !