Elle a pris de la liberté avec les salutations. Elle a bien fait claquer les premières, quand notre petite troupe a franchi le portillon de ciment délabré de cette concession de femmes. Elle a pris le temps de faire durer le premier « aori », celui qui répond à la proclamation d’arrivée des visiteurs. Elle a laissé le prolongement du -i accompagner la résonance du pilon qu’elle a lâché dans le mortier. Tout en appuyant son épaule à celui-ci pour le caler, elle a lancé les demandes du bout de la grande diagonale de la concession. I be di ? Kori tanante ? Elle a fait ricocher les élémentaires questions de salutations sur l’onde de brillance éveillée par le soleil sur son tee-shirt blanc et humide d’effort.
Elle fait ensuite quelques pas mais reste en arrière du petit cercle qui s’est formé vers le milieu de la concession. Elle ne prend pas part aux rires, elle observe. Cela ne l’empêche pas de continuer à saluer. Elle se saisit des créneaux d’amortissement du rire et demande à Bobondiŋ si l’écolier de chez lui va bien, si la dernière épouse qui a accouché est rétablie. Elle dévoile ses soucis particuliers de jeune femme moderne. Sans s’adresser directement à l’homme blanc, elle s’expose particulièrement à lui déjà.
Lorsque la petite troupe se dirige vers la case d’accueil, celle de la grand-mère, elle ne rejoint pas le mouvement et le montre d’une voix qui s’amplifie, après avoir, d’un geste à la fois ample et élégant, retendu son pagne. On la croirait prête à reprendre le pilage. Or, elle demande à voix forte si les visiteurs souhaitent du thé, du jus, des arachides, du ventilateur, tout ce qui, d’ordinaire, s’offre sans ostentation. Elle n’accueille pas juste comme il est convenable d’accueillir. Elle fait un refrain avec les « lafita » -les « voulez »- qui traduit qu’elle est bien portée par la vague, qu’elle-même fait des vagues et proclame son désir tout particulier d’accueillir.