Faire avec peu, avec ce qu’on a : pommes de terre oignons, oignons pommes de terre, un peu de beurre, une pincée de sel forcément, du poivre (si poivre en poudre qui ne vaut rien, mieux vaut s’abstenir). Faut que ça tienne au corps (équilibre des glucides, fibres, lipides, protéines), que ça repousse la faim. Faut que la bouche s’ouvre et accueille, que ça salive, que les dents aient de la mâche, le sel, le gras, la texture, la saveur des tubercules. Le plus difficile est d’investir l’une des cuisines de la résidence universitaire un dimanche et de s’emparer des ustensiles, en particulier de l’unique poêle de récupération. Négocier avec les concurrents s’il le faut.
1 – pommes de terre sautées aux oignons – Faire fondre le beurre et blondir les oignons. Peler les tubercules, les laver, les faire cuire à l’eau. Les couper en rondelles, les laver et les ajouter aux oignons. Remuer autant qu’il le faut jusqu’à cuisson. Assaisonner. Manger chaud.
2 – pommes de terre à la paysanne – Tailler les pommes de terre en petits cubes avant de les jeter dans le beurre, les faire rissoler, ajouter les oignons finement hachés en fin de cuisson. Une pointe d’ail. Assaisonner à souhait.
3 – pommes de terre à l’oignon et au thym – Variante nécessitant la récolte d’une branche de thym dans le parc de la résidence au risque de se faire piquer la place en cuisine.
4 – rissolé de pomme de terre à la périgourdine – Oui, mais sans gésiers ni lardons ni haricots verts.
5 – pommes paille mais sautées – Disposer d’un bon couteau pour tailler les légumes en fines lanières. Découper d’abord en tranches puis dans la longueur – la réussite dépend de la qualité du couteau. Laver plusieurs fois. Jeter dans le beurre chaud (on oublie les oignons).
6 – patates fondues avec fricassée d’oignon – Jouer du couteau pour débiter les oignons et les patates le plus finement possible pour que ça cuise vite. Faim, faim (long long à cuire la pomme de terre). Alors jouer du couteau sans se blesser pour réaliser des cubes (pas plus d’un demi-centimètre de côté). Allez, ça ira comme ça.
7 – patates oignon – Même exercice de coupe, mais on est déjà bien entraîné. La salive afflue dans la bouche sitôt qu’on fait fondre le beurre, le gras du beurre (salé, c’est mieux), l’onctuosité de ce beurre qui fond et finit par dorer, le grésillement de la chair des oignons jetée dedans, les arômes se développent, le flux de salive s’accélère. Le couteau est posé juste à côté du réchaud. Ajouter les pommes de terre (on a renoncé à les découper pour les passer à la râpe à fromage). On se moque de l’allure du plat, on veut juste manger, manger à même le récipient de cuisine, enfourner dans la bouche cette nourriture solide goûteuse et familière, la laisser remplir la cavité dans son entier, surtout qu’elle entoure bien la langue les dents et réveille le palais avant de glisser à l’orée de la gorge et la tapisser, nourriture riche à faire frissonner tout le corps quand on l’ingurgite. Le corps qui n’en peut plus d’attendre. Quelqu’un entre. Est-ce que… Visage fermé, gargouillements de panse, pas le moment. Besoin d’un coup de main… Le gars insiste. La chair des patates a fondu, est devenue pareille à une crème parfumée mordorée avec morceaux pour la mâche, petits éclats grillés en bordure / dévorer des yeux / déglutir toutes les deux secondes / maîtriser le stress des papilles et des muqueuses buccales follement excitées par les arômes délicieux émanant de la poêle et remplissant la cuisine / un peu comme si la poêle contenait de la viande, mais qu’est-ce que ça a l’air bon… / s’emparer brusquement du couteau / le porter à hauteur de poitrine pour décourager l’intrus — défendre à tout prix son bifteck —, les dents grinçant prêtes à mordre et la salive débordant au coin des lèvres devenue plus visqueuse / et puis aussi les doigts imbibés de jus d’oignon glissant sur le manche du couteau / le désir de manger devenu supplice intolérable. Ouf il est sorti, il a lâché le morceau. Oignon pommes de terre beurre salé poivre ou non composant cette pitance enfournée à la hâte finalement avec tous ses doigts enfournés eux aussi dans la bouche dans cette pauvre cuisine de cité U.
On la partage l’attente de la pomme de terre cuite à point prête à délivrer les saveurs de sa préparation. Beau de la traiter comme un substitut de toute nourriture. La pomme de terre qui se fait viande … tout un poème, une sublimation de la faim.
Bonheur de trouver votre chouette commentaire… j’ai tenté quelque chose avec des souvenirs et puis comme une vision de dévoration…
Merci et à vous retrouver vite en vos pages…
tout de même plus raffiné (mais un peu même esprit) comme cuisine et nettement plus charpenté et évocateur comme texte que chez moi (mais là du coup ai eu le temps de lire et d’aimer… mon écrasé de pommes de terre va être jajoux)
D’abord merci Brigitte pour être passée par ma cuisine de cité U. Bretonne exilée dans le sud, je l’utilisais tout autant que les sénégalaises ou les comoriennes qui ne rentraient jamais chez elles… c’est resté dans ma mémoire…
Et puis je me suis régalée de toutes vos sauces, un texte nécessaire…
Enfin je me réjouis que vous soyez dans les parages !
Quelqu’un arrive toujours quelque part finalement, ici pour manger… merci.
Bravo !
Faim ! Merci.
Goûteuses patates !