Camion du boulanger. Là que s’échangent les nouvelles du quartier. Ne dépassent pas dix foyers ; aux extrémités, une certaine porosité, ou bien le téléphone, selon l’importance. La voisine, à ma mère : son mari, Pan Batowski, des crises, des chutes, et le chauffage à fond, plus tenable. A l’EHPAD, oui, depuis trois jours. Deux kilomètres, visites les après-midi ; le matin, toilette, soins.
14 h., j’embarque sa femme et ma mère, jusqu’à R.B. où se trouve l’établissement. Naguère on disait l’hospice, j’allais parfois visiter mon arrière-grand-mère. J’aime bien ce voisin Polonais, arrivé avec son père, forestier, en 1930, assimilé, devenu ouvrier aux forges locales. On se parle de jardin à jardin par dessus le mauvais grillage, ça lui fait plaisir que je l’appelle « Pan », le « Monsieur » dans sa langue.
A l’EHPAD, une soignante en blouse nous conduit à sa chambre. Individuelle-trois par pièce du temps de l’arrière-grand-mère. Murs tapissés de papier vert pâle, une haute fenêtre sur plates-bandes fleuries, clarté. Couché dans un fauteuil à rallonge, jambes relevées, semble dormir. Sieste. Quelques mots entre ma mère et moi, chaises confortables. Il sursaute, son visage rougeaud s’anime, redresse son dossier, télécommande en main. Grogne, roule quelque crachat, l’évacue dans son mouchoir. « tu as arrosé les tomates ? », à qui s’adresse-t-il ? Peut-être à moi, n’attend pas de réponse, ferme les yeux. Canicule, il est plus préoccupé par son jardin que par sa santé.
L’aide-soignante fait une apparition, chariot en travers de la porte, pose une carafe d’eau sur la tablette « il faut boire, Monsieur Batowski ! ». Répond par un grognement, accepte le verre que lui tend sa femme, boit deux gorgées, le repose. Cris dans le couloir, douleur, folie, traversent le silence, roulement du chariot, rassurant. Loin de la rue, pas de bruits de circulation.
Sursaute à nouveau, demande un coussin, je l’installe, poids mort. Premiers repas très bons, explique-t-il, servis un peu tôt, à l’heure de son émission de télé favorite. Pense pouvoir sortir très vite, espère voir le médecin dans la journée. Prend ses pilules habituelles, elles le font dormir. Pour le jardin, compte sur M.J., notre voisin commun. Arrêt au-milieu d’une phrase, relève la tête, nous regarde, remercie pour la visite, essuie quelques larmes.
Surprise, au-dessus du lit, un discret crucifix nu, sans Christ rappelle peut-être que l’ancien hospice était tenu par des sœurs de St Vincent de Paul aux larges cornettes. Le pan Batowski s’est endormi, loin de Cracovie. Rêve dans sa langue flutée de chevaux sortant des troncs d’arbres d’une forêt de bouleaux.
J’aime les discrètes références au texte de Morand, jusqu’au crucifix au dessus du lit en lieu et place du portrait chez Proust. La rythmique fonctionne bien, je trouve. Et puis, il y a ce mot : pan. Pour moi, il porte un mystère dont les racines s’étendent jusqu’à la mythologie et au monde des contes. Et, je l’apprends, jusqu’au titre de déférence en langue polonaise. Merci pour ce beau texte, Jean-Marie.
Le grand Pan mort ou pas ? C’est vrai que cette visite, bien que triviale pourrait ouvrir sur d’autres mondes. Merci, JL de m’avoir mis, comme on dit, « la puce à l’oreille » JM
merci de nous avoir permis de les accompagné
et merci à Jean Luc d’avoir signalé les références au beau texte de Morand