#nouvelles | CMT Boucle 2

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Maison jaune sur fond bleu. Elle narguait le minuscule immeuble, d’où au premier étage, d’une unique fenêtre, je l’épiais toute l’année.

Deux noms sur la boîte aux lettres. Lambertin et Mosco. Devancés par un R. pour Lambertin, un C. pour Mosco. Je dévalais les escaliers qui longeaient la maison jaune de l’autre côté du Cours, à la recherche de prénoms commençant par ces deux consonnes et c’était un régal de la pensée que d’en mâchouiller la liste. Robert, Réginald, Roger, mais Ruth, Rebecca, Reine. Corinne, Catherine, Chloé mais Cyril, Carlos, Christian, car rien ne révélait qui de Lambertin ou de Mosco était du genre féminin ou masculin.

Un couple et deux grands enfants, voilà ceux que de ma fenêtre je voyais entrer et sortir de l’intrigante maison jaune dont le numéro de rue précédait d’un chiffre celui de l’immeuble où j’habitais. Côté pair pour eux, impair pour moi. Ce côté-là leur allait à merveille. Une belle famille. De l’allure, de la noblesse. La mère – celle à qui j’attribuais ce rôle – était une grande femme mince et blonde, d’une quarantaine d’années. J’hésitais.  Etait-ce elle, R. Lambertin ? C’était un nom qu’elle aurait pu porter, mais un jour que je l’entendis parler avec notre facteur – après avoir arpenté le trottoir d’en face qu’à cause de la présence de la maison jaune sans doute je préférais au mien, j’attendais que le feu de signalisation passe au vert piéton (nous le partagions, les Lambertin-Mosco et moi, ce feu qui décidait de l’arrêt et du démarrage d’une quantité de voitures, de camions et de bus, jour et nuit) – et je décelais un accent dans sa voix. Dans l’impossibilité d’en définir la provenance, je décidais de lui donner le nom de Mosco, qui me paraissait à l’époque – je n’avais encore jamais rencontré de Mosco, pas même en politique — plutôt exotique. Du coup, R. Lambertin ne pouvait être que le père. Brun, râblais, c’était bien lui pourtant qui du Mosco que j’imaginais était le vivant portrait. Comme les noms portent en eux l’histoire d’une famille, la dessinent, la poursuivent et l’empêchent, la maintiennent garrotée ! Pourrais-je encore inventer quelque chose que j’ignorais d’eux, s’ils entraient dans leurs noms, dans un cadre, en représentation dans un tableau ?

Me restait leurs prénoms. S’il était chef d’entreprise, il s’appellerait Roger. Professeur d’Université, je choisissais Régis. Ni l’une ni l’autre de ces professions ne convenaient. Non, ce Lambertin-là n’était pas enseignant et il ne vendait rien. Je lui fabriquais une vie de voyages, un parcours international pendant lequel il aurait rencontré puis épousé C. Mosco dont le père, italien, était le mari d’une suédoise ( il me fallait bien trouver une raison à l’enviable chevelure blonde).  

Les Lambertin-Mosco étaient parents de deux grands adolescents, la fille semblable à C., le fils plus beau encore que R., svelte — R. ne l’était pas — élégant je dirais. Davantage de prestance.

La famille bourguignonne de R. (les vignobles, bien sûr, c’était ce que possédaient les Lambertin depuis que l’arrière-grand-père avait été enrichi – je venais de relire Eugénie Grandet, Lambertin allias Grandet, les pieds ancrés dans la boue des chemins, et la bourse remplie par les économies — lequel m’était apparu un ancêtre acceptable dans la lignée des hommes de la maison jaune) s’était naturellement entichée de celle plus mêlée de C. Des terres des Lambertin, il ne fut pas question de s’éloigner pendant plus d’un siècle, peut-être jusqu’au moment où R. finit son internat au lycée de Dijon et décida de monter à Paris pour suivre des études qui ne seraient en lien ni avec le terroir, ni avec le commerce. J’optais pour les langues, le tourisme peut-être.

La famille italienne de C., de petite noblesse – j’hésitais entre La Chartreuse et le Guépard, entre Parme et la Sicile – avait eu en héritage le goût pour les voyages (un signe de distinction, un besoin d’éducation ?) et c’est à Amsterdam que la petite marchande suédoise — elle prenait des cours de violoncelle baroque au Conservatoire supérieur de La Haye, qu’elle payait en travaillant trois jours par semaine à la boutique du Rijks museum — séduisit l’italien, sur un quai de la gare, alors que ce dernier se rendait à Copenhague et qu’elle rentrait chez elle, pour Noël, dans la banlieue de Stockholm. Il l’aida à installer dans le train violoncelle et bagages. Il aimait la musique.

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