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#nouvelles #boucle3#02 | Gaëlle Obliégly, Les encombrants
Objets qui un jour cessent de trouver leur place dans nos vies, jusqu’à ce que finalement nous décidions de les expulser de nos romans personnels.
Chemin faisant là au coin du chemin des Faisans où le temps s’écoule à la vitesse des tracteurs et des vélos cargo ou le longtail bike allongés, une nature singulière s’épanouit, une mosaïque d’objets hétéroclites, vestiges d’existences passées, témoins silencieux, les encombrants ne sont pas de simples déchets qui favorisent les malentendus, ils se dressent tels des menhirs jalonnant nos chaussées au bitume froid de leur présence envahissante, parias de l’espace public, accumulation de notre croissance impérieuse à la possession dévorante.
Vieux matelas aux ressorts fatigués résonnant de rires, de pleurs de cris d’amour, fauteuil aux accoudoirs rongés aux caresses devenu confident silencieux, chaque infructuosité de son cuir dissimule une histoire chuchotée à la lumière d’une lampe tamisée peut-être une confidence partagée dans la pénombre d’une nuit d’été, de taches de café d’une soirée entre amis ou se prêtant au jeu de la lecture de ces quelques livres jaunis bibliothèque imaginaire aux pages racontant des univers inexplorés, des rêves envolés vers d’autres contrées, des contes pour oreilles émerveillées, un vélo rouillé aux rayons tordus et sa chaîne grippée, squelette aux stigmates des chemins parcourus évoque à chaque rayure un obstacle surmonté, une bataille contre le vent, une victoire sur des pentes raides, une randonnée torride un affranchissement sur les chemins parcourus, la liberté à chaque tour de roue.
Ils sont là tapis dans l’ombre, débarrassés jetés déjà oubliés, en une réalité polluante et irresponsable.
Les encombrants morceaux de nous-mêmes, fragments de vies, chapitres clos, mémoires de bonheurs éphémères, tristesses enfouies.
Cette chaise bancale me rappelle celle sur laquelle je m’asseyais cherchant un équilibre toujours prêt à me trahir, objets d’émotions, de souvenirs que nous accumulons au fils du temps, alourdissant notre démarche ; les laisser partir pour refaire ailleurs une vie qui n’a ici plus de sens. La vieille valise en carton et son fatras de papiers à couvrir livres et cahiers d’une époque révolue réutilisable pour des collages.
Les encombrants, nos fragilités, une question de regard, de passage, de transformations, délestage du superflu de l’inutile une opportunité de revenir à l’essentiel. J’y ai laissé ma sacoche de photos en cuir verni noir craquelé carapace de souvenirs enfouis, quelqu’un d’autre y découvrira des visages aux histoires inventées.
Parmi les encombrants se trouvent les indésirables, les vieilles affaires de cours, les habits jamais portés d’une sœur plus grande aux étiquettes encore attachées gardés au cas où… largués en Tanzanie au Kenya…
Objets porte-paroles, éveilleurs de conscience catalyseurs de changement peut-être une mélodie d’espoir et de responsabilité qui nous bousculent.
Si en se débarrassant on ne s’embarrasse de nouveaux trucs posés là, la possession est obstination.
1_Les yeux des vaches sont des prières
#nouvelles #boucle3 01 Annie Dillard | Les yeux des vaches sont des prières
Elle est revenue en silence me suivant pas à pas elle est là ma solitude quand la nuit, un cri déchire le silence un oiseau de nuit qui fuit, comme les larmes de pluie s’éclaboussent sur la tôle ondulée de l’appentis pour se perdre dans l’insondable profondeur du puits j’aime à monter sur la margelle équilibriste imprudente pour attraper les noisettes volées aux écureuils, à quelques oiseaux peut-être dans cette ferme morvandelle à cour fermée toujours ouverte, arche de Noé à mangeoires en bois multiples écuelles dans lesquelles s’enfouissent becs groins museaux naseaux têtes entières, veaux cochons canards vaches dont les yeux sont des prières, accessoires du silence. Derrière le portail les champs labourés et semés que les moissonneuses batteuses secouent et déchirent chaque été laissant derrière elles un sillage de chaume et de poussière, la terre retournée semble soupirer sous le poids des machines comme un géant endormi qu’on aurait tiré de son sommeil, cicatrices béantes et silencieuses. Le silence du dehors n’est jamais absolu celui du dedans non plus, de bruits infimes les feuilles chuchotent complices du vent, les invisibles froissent l’air de leurs ailes minuscules, comme autant de pensées enchevêtrées de nos cerveaux. Le silence tangible alourdi de chaleur s’étire paresseusement sous le soleil et nous enveloppe de sa brume captant nos rêves figeant les animaux, que le monde retient son souffle s’éteint même de l’écho des voix.
A chaque vacances je retrouve cette place solitaire dans la vieille bâtisse silencieuse aux murs épais, où les meubles usés par le temps grincent doucement pour rappeler qu’ils ont vu passer bien des vies entendu bien des histoires. Quand la lumière décline les ombres s’allongent le silence change encore, plus profond il devient une mer calme et obscure, dans cette matrice chaque nuit m’est une naissance, du bruissement des rideaux l’air frais du soir pénètre baigne de ses mains silencieuses mon visage parce que les vraies larmes sont sans raison. Le silence m’a rendu un secret du langage, un bouquet de flammes dans une nuit de pluie blanche et des étoiles en un étonnement jaune.
Il y a les matins au silence intense, le monde s’est-il arrêté en une attente indéfinie m’aidant à renouer avec ma solitude et retrouver cette part que le bruit du monde tend à effacer.
Et chaque nuit quand le cri de l’oiseau de nuit déchire à nouveau le silence je sais que ma solitude est là fidèle me suivant pas à pas dans ce dialogue muet avec l’infini.
Ah ça oui, Raymonde, tu y es ! Je retrouve peut-être ici ce qui ressemble le plus à ton écriture. Ce texte poétique est magnifique. Je me suis laissée emportée par lui ce matin. Te suis reconnaissante. Des bises. Je le relis pour le plaisir, la sensation qu’il éveille si bien…
Merci Anne solitude et silence une telle présence à coté de laquelle je ne pouvais passer
Très beau premier texte, et ce titre, une merveille !
oui les yeux disent tout en silence quand les mots font parfois tant de bruit… merci