#### nouvelles| boucle 2 03 # | Bien sûr que, si on pourra parler de familles… mais lesquelles ?… et pour dire quoi ?

Neuf familles et un couple dans les années 60 et une rue en pente

M. se souvient…

A DROITE la Famille Pr., La Famille Am., L’école des soeurs saint Joseph jusqu’au bout de la rue qui tourne à droite.

A GAUCHE la Famille Bu., la Famille Lo.la Famille Bi, la Famille Sp, la Famille As jusqu’à la rue qui tourne à gauche où on fréquente, toujours à gauche la Famille Fa, à droite le couple lié à la Famille As, puis au fond un peu moins, la Famille Gd… On ne va pas plus loin pour jouer le soir. Mais on connaît bien d’autres enfants du village à cette époque.Dans cette rue en pente on déambule comme les membres d’une Tribu, c’est celle du quartier du Mas des A.

Si je descends à nouveau cette rue qui a changé de nom, je crois pouvoir écrire ce dont je me souviens et qui n’est plus…ça demande un peu de tact et de retenue. Les maisons où tout ce monde habitait ont très peu changé (aucune détruite). Y circuler déclenche toujours des impressions ambivalentes entre tristesse et plaisir de réminiscences.Une légende est possible…

La Famille Pr Une maison des années 50 avec balcon, un galetas plutôt que grenier, de l’espace autour, cour de terre battue et cailloux blancs de chantier; un atelier, un grand garage, le père est plombier, toujours en bleu de travail, la mère est donc une femme d’artisan, un peu pète-sec, c’est elle qui se charge d’établir les factures et relancer les débiteurs un peu oublieux, elle s’occupe aussi des trois enfants, l’aîné D, la fille N, le plus jeune C. On fréquente les mêmes écoles.

La Famille A. Une Villa des années 50 aussi , plus grande que la précédente, donne à l’arrière et sur les côtés sur des murs de pierres partiellement enduits de mortier, le mur du fond est tellement haut qu’il fait nuit dès 16h. C’est pourtant là qu’est cultivé un maigre jardin et des fleurs sur le côté de l’allée qui mène à l’escalier extérieur. La mère est veuve d’un autre plombier, et elle élève seule avec l’aide des aînés huit enfants très doués à l’école. M. l’aîné, plombier lui aussi, qui a épousé une espagnole, mais n’a pas pu reprendre l’affaire parternelle,drame répétitif de l’alcoolisme… M. la deuxième maman a pourtant pu faire des études et un mariage riche, Le troisième ,H. très beau et distingué est devenu séminariste, La quatrième C. est religieuse en Afrique, elle revient une fois l’an, le cinquième est devenu journaliste, le sixième est devenu professeur de langue allemande très musicien aussi, il n’a pas cependant réussi sa vie amoureuse, l’alcool ayant également fait son oeuvre… le septième est très beau lui aussi , il est devenu prof de lettres, la petite dernière, la huitième Co est l’enfant de toute la fratrie qui la gâte -pourrit… Elle est aussi ma copine. Elle passe des plombes devant son miroir pour écraser à l’eau et au peigne, un épi récalcitrant, et nous devons attendre en silence, plus ou moins empathiques ou goguenardes, qu’elle ait fini de trépigner pour pouvoir lever le camp. C’est la seule maison où nous pouvons circuler, car la mère est toujours dehors et sa discrétion triste nous permet de ne pas nous sentir intruses, mes copines et moi. C’est l’échange de goûters qui est le prétexte.Cette femme est mystérieuse, elle ne dit presque rien, elle nous regarde en souriant, et elle donne des ordres à sa fille sur un ton doux mais péremptoire. Elle s’exécute… (ce sont souvent des commissions à faire et elle lui laisse un peu d’argent).

La Famille Bu C’est la famille du proprio, son atelier de boucher -charcutier se situe juste devant la grosse maison qui habite pour l’instant trois familles plus un vieux célibataire discret et qu’il nous loue. On dirait qu’il nous surveille. Son tablier blanc sanglé sur l’épaule gauche et la taille, et son costume pied de poule. Ce gros santon aux joues rouges nous regarde de loin… Si nous nous approchons trop de son antre sanglante, il dit qu’il va nous tailler les oreilles en pointe, en aiguisant devant nous son couteau et on le croit… Son joli magasin rouge à vitrines et crochets fleuris se trouve plus haut , dans une rue perpendiculaire qui monte jusqu’à la place du Verger. Je ne sais toujours pas où ils habitent, lui, sa femme, ses deux filles et le fils au milieu je crois. Nous ne les fréquentions pas. Mais nous étions au courant de tout ce qui leur arrivait…

1| La Famille Lh Au milieu et au rez de chaussée facade nord. Petit appartement. Couple avec deux jeunes enfants , une fille et un garçon. La mère travaille , elle fait des ménages ou serveuse dans les restaurants , le père est en invalidité, il a eu un grave accident de la circulation. Gros traumatisme crânien, syndrome cérébelleux, marche très difficile et chancelante, ma petite soeur dit qu’il parle comme un camion !

2- La Famille Bi Nos préférés ! Le père ancien militaire retraité,un peu maigre, un peu taciturne, étrangement tanné par le soleil, la mère plantureuse, rieuse et blagueuse, nos parents jouent aux cartes avec eux dans des engueulages mémorables, parties à la Pagnol, souvent bien arrosées. Trois enfants, les deux grandes et le dernier né, grand copain des frangins les deux aînés jouent aux petits soldats, la chambre du fils en est pleine. On est tout le temps fourrés chez eux et ils sont tombés amoureux de la petite soeur, ce qui arrange notre mère qui n’en peut plus. Ils se situent au balcon opposé du gros bâtiment qu’on occupe, côté est.

3- La Famille Sp C’est nous ! Notre appartement fait face au balcon de la Famille A. de l’autre côté de la rue. De notre balcon on peut leur faire coucou ! Et c’est très pratique pour organiser des sorties en mini- bandes organisées à l’insu des parents… C’est ce qui nous a garanti une adolescence du tonnerre…Pas besoin d’en dire plus ici. On se contente de géolocaliser pour montrer le décor et la suite viendra avec le temps…

La Famille As est celle qui occupe le plus de surface dans ce quartier, le père est menuisier, c’est lui qui fabrique les cercueils qu’il stocke sous notre nez, en dessous d’un appentis qu’on aurait voulu plutôt dédié à la paille des moissons, la présence de nouveaux cercueils dans cet endroit, nous attirait irrésistiblement et nous faisait carapater à la tombée de la nuit… Six enfants, comme chez nous, et une mère ultra sévère…femme d’artisan elle aussi, donc astreinte à la double journée plus les soins à l’aïeule veuve, sa belle-mère. Tout marche au cordeau dans cette maison et on le sait. Je vais à l’école avec les deux soeurs plus petites, la petite dernière est couvée elle aussi, les deux grandes sont presque parties, dont l’une en révolte, elle a épousé un marchand de cochons, a fait inscrire la mention sur les bans… au grand dam de sa mère, le père n’a rien dit, il baisse tout le temps les yeux et il bosse…Heureusement, il a un fils qui lui ressemble et qui va reprendre l’affaire après avoir travaillé avec lui. C’est d’ailleurs lui qui a racheté les parts de la maison familiale à ses soeurs à la mort des parents.

La Famille Fa, est celle qui est la plus à l’étroit dans un bout de maison enclose par de hauts murs mitoyens avec ceux de la Famille As, une minuscule cour et des escaliers , orientés plein cagnard… Les lézards y font leur résidence principale… La Famille Fa. est d’origine italienne, mais ils sont tous blonds, grands et musculeux… Trois frères et une soeur, la mère est veuve , elle aussi, et très bigleuse… Elle parle le français avec accent; Ses lunettes à triple foyer ne semblent pas lui faciliter davantage la vie. Ce sont les enfants qui assurent l’intendance et probablement la pitance. C’est le genre de famille qui ne fait pas parler d’elle, il faut se tenir correctement et c’est tout, sourire à tout le monde. Famille admirable et exemplaire disent les voisines…

la Famille As, est parente avec l’autre Famille As, les pères sont deux frères . Il n’y a pas d’enfants, en tout cas je me m’en souviens pas. Mais c’est chez le Monsieur qu’on se fait couper les cheveux avant la rentrée des classes. C’est très bizarre de rentrer dans une maison inconnue ( et bien propre et rangée) pour se faire tailler la tignasse. La gentillesse de l’homme silencieux est troublante. On ne paie pas. Les parents vont passer pour le faire et remercier.

La Famille Gd, est une famille espagnole, le père est maçon et pas commode, il boit lui aussi, c’est sa femme qui tient le ménage comme elle peut, elle a l’air triste et courageuse, on fréquente les enfants, B, l’aîné qui tiendra plus tard un bistrot, sa soeur C ? qui deviendra infirmière, très prisée à l’adolescence des regards amoureux de sa génération, la deuxième fille qui deviendra elle aussi infirmière…et le petit frère M. adorable bambin. Famille fière et digne. Admirable elle aussi.

J’allais oublier le Pépé Chalos au fond de la rue du Mas des A, juste avant le tournant à droite près de l’énorme Cèdre du Liban , incongru dans ce paysage de glycines, d’oliviers et de lauriers… Je dis son nom parce qu’il est mort depuis des lustres et que plus personne ne se souvient de lui. J’ignore tout de sa vie de famille , sauf qu’il habitait derrière un grand portail en bois gris, à double battant, qu’il entrouvrait pour nous faire entrer. C’était notre grand-père de circonstance et de secours… et il aimait parler avec nous , nous aimions l’écouter.

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

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