#versuneécopoétique #02 | marlen sauvage

Et à la fin le silence
Trouvé gardé collé

Et à la fin le silence

Un toit, une varangue, et l’espace au-dessous. La plaine où s’éteignent les bruits du soir. C’est une musique familière, une succession de sons qui grimpent jusqu’à vous, reconnaissables, alors qu’allongé dans votre hamac, vous escortez la fin du jour. C’est le son amorti des moteurs de voitures, de camions contournant l’usine sucrière. Le pépiement tout proche sur le câble électrique de deux Cardinals à la robe écarlate, bientôt sombre, et leur envol léger – vous vous surprenez à envier leur vie d’oiseau, leur innocence, leur beauté gratuite. C’est le claquement d’un volet qu’une main tire pour la nuit, le miaulement d’un chat, le choc ténu d’une mangue sur le macadam, l’aboiement d’un chien voisin, le glissement sur les roches noires de la tortue étoilée qui rejoint son antre dans le sous-sol de la maison, le vent qui s’engouffre dans les branches de l’arbre à pain et vient remuer votre couche. C’est l’heure où l’air épais enveloppe de sa chaleur votre corps moite, c’est la chaleur d’une fin de journée humide, pénétrante. Vous goûtez la mélodie du soir propre à votre quartier, jusqu’à son extinction. C’est l’heure où le ciel plonge dans l’océan, noyant avec lui le train de nuages qui quelques instants plus tôt traversait votre espace, obscurcissant les champs de canne qui s’échelonnent vers les hauts, passés de verdoyants et jaunes à leur couleur nocturne. C’est l’heure où vous revivez votre journée par images saccadées depuis le lever avec le jour, la nouvelle qui vous a assommé, brève comme peut l’être un message sur un écran d’ordinateur, le déjeuner d’un fruit de pitaya rose fuchsia dans une assiette blanche, votre lecture perturbée, votre écriture plus encore, la nausée, les vertiges. Aux images chaotiques, désordonnées de ce jour fuyant, parce que la lassitude s’empare de votre cerveau, se superposent celles de votre enfance, sur les genoux de votre mère, ses comptines, ses berceuses ; dans les pas de votre grand-père, parmi les vignes. Plus aucun son de la vallée ne vous parvient, vous avez rassemblé sur votre torse un tissu de fin lainage, vous flottez dans l’univers, vous en êtes une part infime, toute vanité évanouie, votre existence pourrait prendre fin là, dans l’oubli du monde connu. C’est une musique douce qui chante à la porte du sommeil, une voix surpassant toutes les autres, cinglante à votre dernière entrevue. Vous vous glissez dans ce souvenir jusqu’à l’endormissement, jusqu’à la mort des mots et leur sonorité. Vous entrez enfin dans le silence.


Trouvé, gardé, collé

Trouver, garder |carte d’embarquement pour le Maroc, le voyageur reparti dans son pays, j’imagine une histoire, mais il est revenu sans doute car je ramasse le bout de carton léger sur la jetée de Baie-Saint-Paul, au Québec | trouvé, collé dans un carnet. pourquoi ? je ne le sais | comme les tickets de métro, sans doute, sans raison. des destinations. des vacances. des exils |gardé longtemps les tickets de cinéma, pour la mémoire, collés aussi dans le même carnet au papier kraft, à la couverture noire striée |avec des petites images découpées ici et là, pour tout ce que cela suscite comme écriture, comme divagations | Rome, ville éternelle, un exemple | ou encore, La Strada, la découverte de Fellini, à douze ans, les larmes devant l’histoire de Gelsomina et Zampano, fredonné et très certainement siffloté la musique de Nino Rota pendant des mois… | c’est à La Strada que je dois mon goût pour le cinéma italien, la littérature italienne, la peinture italienne, l’Italie, les pizzas et les pâtes. les mélodrames | dans le même ordre d’idée, ramassé sur les chemins, des feuilles d’arbre aux formes étonnantes, comme celle-ci à la texture de cuir, mordorée, longtemps séchée entre deux feuilles puis donnée à S. qui en fera la queue d’un renard | des morceaux d’écorce | des petites pierres qui s’additionnent aux pierres dans une bonbonnière en verre récupérée dans une recyclerie | je ne parle pas des coquillages | les photos récupérées parmi le fatras des objets abandonnés par les familles à la mort d’un vieux monsieur, d’une vieille dame. une brocante. les histoires ébauchées à la lecture du verso d’une carte postale, cette correspondance entre un frère et une sœur dans les années 40 qui dort encore dans un tiroir, tout ayant déjà été écrit, exploré, publié… mais l’attachement à ces échanges qui ont fait de ces deux-là des proches imaginés | alors garder | trouver, garder, donner aussi | donner les vêtements inutiles, les accessoires : ceintures, sacs, foulards | la vaisselle dont on ne se sert jamais | les petits objets offerts, encombrants, qui prennent la poussière, que l’on n’aurait jamais achetés soi-même | mais chiner aussi, pour le plaisir de la bonne affaire, parfois.

A propos de Marlen Sauvage

Journaliste longtemps. Puis dans l'édition. Puis animatrice d'ateliers après une formation Elisabeth Bing et DUAAE à Montpellier. J'anime encore quelques stages d'écriture, ai contribué aléatoirement au site des Cosaques des frontières, publié quelques livres – fictions et biofictions – participé à plusieurs ouvrages collectifs. Mon blog les ateliers du déluge.

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