3 – Les jardins parlent et se taisent parfois
#01 le pré
Le Loir a inondé le pré pendant plus d’un mois. On le paie aujourd’hui. L’herbe, c’est de l’herbe à vache. Une herbe fournie, dense, drue et épaisse. Elle épaissit un peu plus chaque jour. Et il faut la tondre. La tondeuse ne passe pas. Elle n’arrive pas à se frayer un chemin. Persona non grata. Comment faire ? Un tracteur ? Des moutons ?
Un tracteur essaiera de raser l’herbe à vache. Sans grand succès. La tondeuse reprend du service. Les courroies cassent. L’herbe du pré fait de la résistance. Et si on se préparait à faire du foin ? Mais il faut se frayer un chemin.
Il y a une barque retournée et fendue en son milieu, un lavoir au bois rouge, des bancs de chaque côté du lavoir et un martin-pêcheur qui revient au printemps. Il fait des allers-retours entre le toit du lavoir et le frêne du pré d’en face. Les iris sont défleuries. La camomille est en boutons.
L’herbe repousse entre deux ondées et un coup de soleil. Jamais la coupe du pré n’aura été si difficile que maintenant. L’ortie a été débroussaillée. Elle se laisse faire, comme l’épiaire dont on pourrait se faire une soupe. Il n’en est rien. La bardane continue de pousser. Jamais elle ne sera coupée.
Les cerisiers, le cognassier et le pommier ont fleuri. Aujourd’hui, il y a des fruits. Ils sont encore petits. Un jeune chevreuil vient se poser là le soir. Il y a encore des fruits pourris de l’hiver dernier au pied des arbres. Les oiseaux et les rats n’ont pas tout mangé. Ils sont totalement détrempés. Le pré fait 5.000 m2. Il est vaste. Les noisetiers sont groupés et dispersés.
Il y a le bord de l’eau. On peut marcher cinquante mètres en longeant le Loir. Les gerris marchent sur la rivière, les libellules volent au-dessus des nénuphars. L’araignée tisse sa toile sur l’églantier. Les fraises des bois s’étiolent au côté de la menthe douce qui se répand. Sous le lavoir, il y a des alluvions et les gardons ne peuvent plus se faufiler. Le Loir a débordé cette année et c’est un autre pré qui s’est annoncé. C’est un pré pressé de pousser.
Les ragondins nagent sans se faire remarquer, les poules d’eau essaient de se faire un nid. Des alevins s’échappent du tambour de la machine à laver. Il y a belle lurette qu’une anguille n’est passée par là. Seuls les chats traversent le pré, en toutes saisons et toute occasion.
Du silence ? Il n’y en a pas. La bergeronnette est là et le ragondin se glisse dans l’eau, près des berges, au plus près des nids des poules d’eau. Le vent s’engouffre dans les feuilles des frênes. Il n’y a pas de gêne. C’est vrai que cette année, le pré est pressé de pousser.
Le héron plonge dans le Loir quand on n’est pas là, comme les aigrettes qui font une halte là avant de repartir ailleurs.
Dans le pré, la solitude je ne connais pas.
#02 La maison du fou
Il y a, comme ça, des maisons pas banales qui ne s’inscrivent dans rien d’autre que du merveilleux. A Chartres, il y a la Maison Picassiette entièrement constellée de mosaïques faites avec des bouts d’assiette en porcelaine ou en faïence. A Hauterives il y a le palais idéal du facteur Cheval. A Châteaudun, il y a la Maison du Fou ou Le Château de Stervinou. Une maison grise, entièrement construite en béton armé. Une maison sans idéal et sans rêve. Une architecture qui n’est pas évidente à comprendre et qui ne s’explique pas. Comment décrire cette maison construite au milieu d’un pré, sans voisins alentours ? Aujourd’hui, en face, il y a la station d’épuration et le centre équestre à côté. Mais dans les années 60, ce n’était rien d’autre que de la verdure sombre, elle était flanquée d’un bois à l’arrière. On la voyait bien la Maison du fou, avant qu’une antenne de la 5G ne soit plantée à proximité et que la végétation la dissimule partiellement. On la voyait de la route des Abrès et moi, petite, elle me faisait peur, avec sa tour carrée et ses petites ouvertures. On ne sait rien ou presque de Stervinou. Il vivait là en ermite dans une vie totalement consacrée à son œuvre. Il était isolé, comme entouré de barbelés. Était-ce un forcené ? Oui, à la fin de sa vie, c’était un forcené. Il a passé quinze années de sa vie à bâtir une maison où l’on ne pouvait pas habiter. Quinze années où il s’est sacrifié pour son propre service, sans jamais bénéficier de confort. Il volait sa matière première dans les chantiers alentour. Il était connu pour ça. Il se déplaçait la nuit pour visiter les chantiers et ramener de quoi faire du béton. On le laissait faire, on l’estimait trop fou pour être enfermé. C’est pour ça qu’il se barricadait dans sa maison aux barbelés. Il était reclus, repus de lui-même et de ses drôles d’idées d’architecture qui surgissaient de sa tête. Il n’avait personne à qui se lamenter. Il n’avait personne avec qui partager ses idées. Il ne trouvait en personne le loisir de déprécier son travail. Seul le maire de la ville s’inquiétait de l’allure de cette maison « qui jurait avec le paysage alentour ». Le Loir était en face, après la route, à quelques encablures du Château de Stervinou. Le maire avait peur qu’il se suicide avant d’achever sa maison. Le maire avait peur que l’on compte un mort. Stervinou n’aimait pas que l’on rôde près de son chantier. Il s’était acheté un fusil de chasse mais personne ne le savait encore. Stervinou était un forcené mais il n’était pas encore passé à l’acte. Dans sa tête, rodaient des idées fantasques et mal assurées à l’image de sa maison dont on avait peur qu’elle ne s’écroule tellement elle semblait aller de travers. Mais rien ne pouvait la détruire. Elle était insubmersible. Elle était en béton armé. On voyait sa tour carrée sortir de la végétation, comme un clocher ou la flèche d’une cathédrale grise et sale, sans âme et qui n’était pas à sa place. Tout, dans cette construction, allait de guingois. Tout était fait à la louche, rien ne tenait au cordeau. Tout aurait dû partir à vau l’eau. Soixante ans plus tard, la construction tient encore. Personne n’a encore envie de la détruire. Elle fait partie d’un décor triste et sans avenir. No future Land. Les mains d’Escher ne pourraient rien pour elle. Tout le monde a peur d’elle. Stervinou a inspiré de la peur il y a plus de cinquante ans. Il accueillait ceux qui s’approchaient de trop près avec un fusil de chasse. Les gendarmes ont voulu le déloger, ils n’y sont jamais arrivés. Stervinou était vindicatif, toujours en colère, toujours éructant. C’était un solitaire qui avait perdu du terrain. Il s’est éteint un matin. On était en 1978. Il avait travaillé à son œuvre toute la nuit. Son cœur a lâché. Il n’a pas fait de bruit. Son œuvre restera inachevée, avec ses petites ouvertures et ses grands murs, comme un mausolée ouvert aux vents et à la déconfiture.
#03 Les jardins parlent et se taisent parfois
Deux jardins parallèles. Ce qui les sépare ? Un grillage d’abord, puis un chèvrefeuille en surplomb, trois althéas, un fusain, un pommier et des framboisiers. Ils sont parallèles mais ils ne sont pas à la même hauteur. L’un commence avant, l’autre finit après. Est-ce qu’on s’ennuie quand on les regarde ? Pas vraiment. Il y a le jardin nourricier et le jardin paysager. Le jardin fait pour manger fonctionne en rangs. Rangs de betteraves, rangs de carottes, rangs de tomates, rangs de salades de toutes sortes, rangs de haricots verts. Rangs d’œillets d’Inde pour éviter les pucerons.
De l’autre côté, dans le jardin paysager, un grand espace d’herbes, du plantain, du trèfle, de la carotte sauvage, de la benoîte urbaine, de la ciboulette, des ancolies, de grandes hampes jaunes très mellifères. Des sedums spectabile qui attirent les insectes, pivoine, rosiers, viburnum boule de neige, érable du Japon, groseillier à fleurs et tant de choses encore que l’on ne connait pas par cœur.
Les deux jardins communiquent. Ils se parlent. Ils s’apportent beaucoup. Le chèvrefeuille est arrivé par hasard dans l’un attisé par l’autre, la mélisse s’est tout aussi plu dans le premier que dans l’autre. L’origan s’est essaimé, comme la bourrache et les noyaux de cerisier se sont disséminés grâce aux oiseaux, aux merles qui prennent dans leur bec des cerises bien rouges du cerisier du jardin paysager. Il y a de quoi vivre dans ces jardins, surtout pour les oiseaux et les insectes. Dans les deux, il y a un compost et de l’eau. Dans les deux, il y a des framboisiers. Dans les deux, il y a un laurier sauce. Dans les deux, il y a des chats qui traînent de part et d’autre. Les hérissons traversent le grillage par en-dessous, les rouges-queues passent au-dessus. Les merles font un nid dans les framboisiers, à quelques centimètres du sol. Dans l’un il y a beaucoup d’adventices. Dans l’autre, elles sont maîtrisées.
Dans le jardin nourricier, on bêche, on retourne la terre, on sème, on plante, on arrose, on fertilise, on coupe, on arrache, on taille, on tond, on fait le travail d’un coureur de fond. C’est de l’endurance. Les légumes, les fruits, les graines et les fleurs sont là. Rien ne traîne.
Dans le jardin paysager, on ne fait pas grand-chose. On taille de temps en temps, on tond de temps à autre, on coupe parfois, on arrache pas trop souvent, on s’isole. Rien ne s’étiole. Tout se tient. Les fleurs, les graines et les fruits sont là. Tout s’entraîne avec la nonchalance d’une reine.
On ne passe pas autant de temps dans un jardin que dans l’autre. L’un est occupé toute la journée, l’autre est investi une fois par semaine. Peut-être deux fois lors des bonnes semaines.
Pas d’ombre, ils sont au sud. Et tout pousse. Tout fane aussi. Les cycles se suivent comme les oiseaux qui viennent et reviennent au fil des saisons pour de la nourriture qui les porte.
J’ai parlé de deux jardins parallèles en fait, il y en a plus de deux. J’aurais pu parler d’un autre jardin parallèle mais est-ce vraiment un jardin ? C’est un boyau, un couloir. Autrefois, il y avait de l’herbe qui avait dû mal à pousser. Aujourd’hui, il y a des touffes d’herbe, de l’herbe agglomérée à de la terre sèche, des petits tas de gravats ici ou là qui servent de repaire au Malinois des gens qui vivent là. Il y a une caravane, l’armature d’un auvent sans toile, de la musique tonitruante qui efface instantanément le chant des oiseaux. Le chien n’aboie pas, il ne peut pas. Il porte un collier électrique. Il reçoit des décharges électriques dès qu’il commence à aboyer. Il est attaché toute la journée. Au bout de ce couloir, il y a un grand carré tout vert, il doit compter 1.500 m² d’herbe. Il est vide. Les habitants qui investissent le boyau ne vont jamais dans cette petite prairie, ils ne s’y risquent pas, ils ne se donnent pas le droit. Moi, je ne me donne pas le droit d’aller dans mon jardin quand ils sont là.
A leur chien ils lui disent : ta gueule tête de mort. Dégage tête de mort. On voit bien qu’il y a de la mort autour d’eux, autour de cette statue de vierge qui trône au milieu et qui prie pour rien. Chez ces gens-là, il y a de la bière toute la journée qu’on ramasse à la pelle et qu’on met directement dans la poubelle après l’avoir consommée. Chez ces gens-là il y a des fleurs naturelles et des fleurs artificielles. Il y a du maïs qu’on égrène pour des poules qu’on mangera. Chez ces gens-là, on ne parle pas, on gueule, on crie, on s’injurie, on épie. Le jardin c’est pour la musique forte et pour le barbecue. On n’entend plus les oiseaux, on ne sent plus les fleurs. Chez ces gens-là, ce sont des sons et des odeurs qu’on impose. On implose. Ce sont des fantômes qui tabassent et qui tuent. Ils vont manger les morts qu’ils enterrent sous leurs pieds, sous les gravats desquels repose leur chien. Leur boyau, c’est l’enfer. On y meurt pour se taire.
#04 Comme des tâches de gras
Je ne sais pas si c’est toujours d’actualité ou si cela est devenu de l’histoire ancienne. Toujours est-il qu’aujourd’hui, devant les grilles d’égouts de la ville de Châteaudun, est écrit en lettres bleues : ici commence le Loir. Moi qui pensais que le Loir commençait à Saint-Eman, près d’Illiers ou, pour les personnes d’une autre époque, à Thiron-Gardais.
Il reste de toutes petites traces de ces faits sur internet. Des petites traces d’hydrocarbure qui naissent sur le Loir, au Gué-Vaslin. Il y a douze ou treize ans, une personne avertissait la presse locale quand des traces d’hydrocarbure apparaissaient sur le Loir au niveau du Gué-Vaslin. Il faut savoir qu’à Châteaudun, le Loir se trouve en contrebas, au pied du château, et qu’il chemine le long de la rue des Fouleries où il a creusé, autrefois, des cavités troglodytes. A moins que ce ne soit la mer la fautive, elle qui recouvrait ces lieux dans une ambiance tropicale il y a des millions d’années.
Des traces d’hydrocarbure dans le Loir, il en reste donc de toutes petites traces sur le net. Apparemment, cela n’aurait plus cours de nos jours vu le peu de traces qu’elles laissent derrière elle dans la presse ou dans les moteurs de recherche. La personne qui se sentait concernée par ce type de pollution n’avertissait qu’un seul journal, La République du Centre, et non l’autre journal local, l’Echo républicain. Alors, vers qui se tourner lorsque La République du Centre a disparu de l’Eure-et-Loir en 2011 ? Aujourd’hui, peut-être que cette personne a disparu.
Le Gué-Vaslin, je ne le connais pas vraiment. Avant d’y accéder, il y a un petit village de maisons que l’on appelle La Suisse. Au Gué-Vaslin, il y avait autrefois un camping. Un camping au bord de l’eau, un camping au bord du Loir, campé en pleine verdure, presque au bord de la route nationale 10. Une fois qu’on y entrait, on n’entendait plus le bruit des voitures et des poids lourds. Pourtant, à quelques mètres de là, le long de la RN 10, on retrouvait des traces d’hydrocarbure déversé dans les fossés. Un camion qui aurait dégazé son chargement ? Parfois, ce sont des solvants que l’on déversait depuis les égouts du boulevard des frères Bouliveau, de la rue de la Fosse aux canes ou du boulevard Péringondas. Ce sont des zones avec des industries. On dégazait aussi par ici. C’était bien plus haut, à un ou deux kilomètres du Gué-Vaslin ou du site des Grands-Moulins, au pied du château, là où les canards barbotent au milieu des pratiquants de canoë-kayak et où certains nageurs du Club subaquatique dunois s’entraînent tous les dimanches à nager en rivière avec des palmes, une combinaison recouvrant tout leur corps pour ne pas laisser pénétrer les eaux grasses du Loir. Mais que se prennent-ils tous les dimanches dans la bouche ou les narines ? Qu’ingèrent-ils par les pores de leur peau ? Les pêcheurs pratiquent-ils le no kill ou cuisinent-ils les poissons qu’ils ont pris alors qu’ils ont déjà baigné dans un fond d’huile ?
En 2024, plus personne n’alerte sur des traces d’hydrocarbure sur le Loir. On veut faire de cet affluent de la Loire une ligne touristique avant d’en faire un exemple environnemental. Pas besoin d’aller très loin finalement pour constater que traces d’hydrocarbure il y a toujours dans le Loir. C’est au vu et au su de tout le monde. Rien n’est caché, cela fait même partie du panorama touristique, entre deux nénuphars et deux canards qui continuent de barboter malgré cet exemple d’hygiène environnementale douteuse. J’ai pris ma voiture et me suis rendue sur le site des Grands-Moulins à Châteaudun, avec vue imprenable sur la partie médiévale du château en surplomb. En face, le Loir, un vieux moulin en inactivité reconverti en gîte pour un cabinet de dentistes et de local pour le club de canoë-kayak dunois. Quand on arrive, on ne voit qu’elle, celle belle affiche verte qui fait face aux visiteurs et où il est écrit : « ici, on s’inscrit ! ». Un peu plus à droite, des bancs, un arc de Loir avec un embarcadère en pierre et en dessous un petit ponton de bois. Juste au bout du ponton, dès que l’on pose les yeux sur l’eau, une belle trace d’hydrocarbure. On ne sait si c’est du carburant, de l’huile ou un solvant. Un peu plus sur la gauche, toujours dans l’eau, de la végétation morte délimitée par une matière grasse. C’est à l’endroit même où les membres du club de canoë-kayak accostent avec leurs bateaux, c’est à l’endroit même où leurs enfants apprennent l’esquimautage, c’est à cet endroit même que les badauds donnent du pain aux canards du Loir, près de l’Île Chemars, c’est à cet endroit même que les nageurs avec palmes arrivent après cinq kilomètres de Descente du Loir. Les pêcheurs, eux, ne se risquent jamais vraiment par là.
Mais pour suivre la ligne touristique du Loir, suffit-il de suivre la ligne de fuel ?
‘#05 Les tours verte et bleue
Il y a eu la tour bleue et la tour verte, deux repères dans l’immensité plate des champs de Beauce, un peu comme les contours de la cathédrale de Chartres. Aujourd’hui on ne les voit plus. Elles ont disparu du paysage et on ne s’en souvient plus. Mais j’y reviendrai après. Dans ces tours verte et bleue, y vivaient de petites et de grandes familles. Les petits appartements pour les premiers étages et les grands appartements pour les derniers étages. C’est comme ça qu’on les appelait, la tour bleue et la tour verte. Elles ont été construites dans les années 60, déconstruites cinquante ans plus tard. Dans chaque appartement, il y avait une poubelle en inox encastrée dans le mur dans laquelle on balançait les sacs poubelle. Dans chaque appartement, il y avait des cloisons aussi fines que du papier à cigarettes. Dans chaque appartement, il y avait une cuisine, une salle de bains, une salle à manger et deux, trois ou quatre chambres. On vivait dans des rectangles. On dormait dans les lits tête bêche quand on appartenait à une famille nombreuse.
Avant la déconstruction, on a fait partir les familles une à une, muré les fenêtres et les portes pour empêcher les squatters d’y entrer, fermé les compteurs petit à petit, le gaz, l’électricité, l’eau. Les derniers locataires vivaient dans la peur des fuites, des infiltrations d’eau, des rats qui gagnent le local à poubelles. Tout était laissé à l’abandon. Quand on s’approchait des tours bleue et verte, on sentait le vent et le froid l’hiver, l’écrasante chaleur l’été. Rien ne transpirait de l’insalubrité et pourtant, les derniers locataires se plaignaient. Ils frissonnaient de peur et de dégoût. Mais ils restaient quand même en attendant que les HLM, qui laissaient tout aller à vau-l’eau, leur trouve une solution de relogement. Plus d’ampoule dans la cage d’escalier, plus d’ascenseur, plus d’entretien des communs. Quand on y entrait, ça sentait l’urine et le pot-au-feu en train de mijoter. Quatre-vingt-cinq logements par tour. Des problèmes d’isolation, des problèmes d’infiltration, une tour qui prenait l’eau de toutes parts. Qui prenait le chaud. Qui coûtait de l’argent, qui prenait l’argent des pauvres pour le donner à de plus riches. Eau, gaz, électricité, des fuites et des surconsommations. Un à un, les locataires sont partis. Les tours ont été bannies. On ne sait même plus ce qui a été construit à la place. Une barre d’immeubles blanche et rectangulaire, qui laisse passer l’eau et l’air ? Oui, c’est ce qu’on a fait. Les nouveaux locataires paient cher le manque d’isolation, le nouveau système de chauffage, la chaufferie biomasse et l’électricité. Ils n’ont pas vraiment les moyens d’y rester mais ils y restent quand même. Tout ceci a été payé par l’ANRU. C’étaient les années 2008-2014.
Les fenêtres de la barre sont petites. On dirait des meurtrières. Il faut dire qu’il n’y a aucune vue, aucune autre vue qu’une concentration d’immeubles récents ou refaits. La densité urbaine est à son comble. Ici ou là, un brin d’herbe, de la végétation qui pousse au ras des trottoirs, éperdument folle de résister au bitume. Des grilles qui servent de portes, qui donnent sur des parkings en-dessous des appartements. Ici on n’a de la place pour pas grand-chose, une poussette, un vélo, un scooter ou une Audi A3. Il y a bien une belle place au cœur des immeubles, une place de verdure autour de laquelle on circule. Il y a de petites portes pour y pénétrer, un peu comme dans un square, où il y aurait des mamans qui se poseraient là pour faire jouer leurs enfants. C’est la place du phénix. Est-ce qu’on y renaît ? Il faudrait déjà y naître mais il n’y a plus de maternité. Ville moyenne sans densité maternelle. Et cette barre d’immeubles là, toute blanche, qui devait résoudre les problèmes de logement. Elle a remplacé les tours BZ et BY, on les appelait aussi comme ça. Au pied de l’une d’entre elles, il y avait une petite bibliothèque municipale. Elle a fermé il y a vingt-trois ans, quand la médiathèque a été créée entre deux quartiers, l’ancien et le nouveau, à cheval sur la ligne de chemin de fer. Le bâtiment est là, mais personne ne le voit, fondu dans le paysage de béton, entre deux villes et différentes populations.
La tour bleue et la tour bleue ont totalement disparu. Elles ne sont même plus dans les esprits, comme si elles n’avaient jamais existé. Rayées de la carte, rayées du paysage. On aurait dû pourtant s’en souvenir tant on les voyait de loin. Impossible de les rater. Mais on s’est construit un autre inconfort au ras des gens. Ils se taisent, ils oublient, ils se résignent, il n’y a pas d’autre hypothèse.
#06 La pluie
« La pluie qui tombe fait des claquettes » avait chanté l’autre. La pluie fait-elle des claquettes quand elle tombe ? Personnellement, je n’y crois pas, je ne reconnais pas cette danse-là. Je n’invoque pas non plus la pluie. Elle me trouble, elle trouble ma vue quand elle tombe en rideau devant ma fenêtre. Depuis combien de temps tombe-t-elle comme ça en rideau devant ma fenêtre ? Cinq mois, six mois, neuf mois, un an ? Les nappes phréatiques sont pleines d’eau et il y a encore des imbéciles pour arroser les maïs dans les champs de Beauce, céréale qui est ici impropre à sa production. Car quand vous vous promenez près des champs, vous vous rendez compte que le système d’arrosage a plus que la goutte au nez. A certains endroits, ça pisse l’eau et ça fait de grandes mares. Et pendant qu’on a pompé l’eau du Loir, la rivière s’assèche, les berges s’affaissent, les poules d’eau et les cygnes vont ailleurs pour nidifier, s’il y a un ailleurs.
Mais depuis dix mois, il pleut presque sans discontinuer. Le fond de l’air est humide et frais. Les prés sont régulièrement inondés, les mares débordent et les champs de blé sont gonflés d’humidité. Il va encore falloir les indemniser, eux les risque-rien de la terre, les chefs d’entreprise en col blanc de la machinerie agricole, les rentiers du système européen. La terre de Beauce regorge d’eau. Ils se plaignent. La terre de Beauce est sèche comme un coup de trique. Ils se plaignent. A chaque fois qu’ils se plaignent, on les indemnise, eux qui planquent leurs voitures de luxe dans leurs granges, leurs terrains de tennis ou leurs piscines derrière les hauts murs de leur cour de ferme carrée.
O pluies, écrit Saint-John-Perse. Je ne m’appelle pas Alexis. Je n’invoque rien, je ne fais qu’évoquer ces rideaux de pluie qui tombent devant la fenêtre de mon salon. Ça entre dans la terre, l’espace en herbe de mon jardin a des difficultés à absorber toute cette eau désormais. Elle remonte sous mes pas qui font de drôles de bruits mais ça sent l’humus et le champignon. Les cousins batifolent dans l’herbe si humide. Au printemps, si leurs larves s’y mettent, je n’aurai plus d’herbe dans mon jardin. Mais pour l’instant, les cousins ne font que batifoler et l’herbe grasse continue à pousser.
La pluie perle sur les feuilles d’ancolie, goutte au bout des branches de l’absinthe. L’autre jour, c’était aussi un dimanche, il faisait encore un peu chaud, ce qui ressemble à une pluie d’orage est tombée dans le jardin. Le soleil était là, l’illuminant mais je n’ai pas vu d’arc-en-ciel. Peut-être aurait-il fallu attendre la fin de la pluie mais c’est une pluie sans fin. Jusqu’ici, rien n’a vraiment été gâté par elle. Enlever les soucoupes sous les pots de succulentes. Les flaques se transforment en mares puis en réservoirs. Je rêve d’avoir une mare. Je rêve de nénuphars et d’amphibiens dans mon jardin. Il suffit peut-être de creuser un trou et de laisser faire la pluie. Allez, rêvons de mares et de batraciens qui envahiraient mon jardin. Il y a bien un crapaud qui est entré dans mon salon après cette pluie d’orage et alors que j’avais ouvert les fenêtres. Le salon était trop sec, je l’ai aidé à regagner l’humidité de mon jardin.
L’avocatier que l’on m’a donné est parfaitement heureux. Il baigne dans l’eau. Il ne fait que pousser malgré la fraîcheur de l’air. Pas question de le priver de cette pluie bienfaitrice. Est-ce de l’eau douce, débarrassée des scories ou est-ce de l’eau aux relents acides ? Pour le dire très honnêtement, je n’en sais rien. Mais je pencherais pour une eau douce, mon chat boit dans le moindre pot, la moindre soucoupe, la moindre flaque. Il faut dire aussi que je pense que mes joubarbes en ont assez de cette pluie qui tombe sur elles presque tous les jours. Elles regorgent de suc, elles ne savent plus quoi en faire. Les mettre à l’abri pour qu’elles commencent à sécher.
Rêvons d’une pluie qui n’inonde que nos mares et dégorge de nos gouttières pour s’infiltrer dans nos bacs à réserve d’eau. Après, on en fera ce que l’on en voudra. Mais pas question de sortir quand il pleut, ça mouille et ça salit les lunettes, ça brouille la vue et fait friser les cheveux.
Ne rêvons pas trop de pluie. Ça fait taire les oiseaux, fait mourir leurs oisillons, cache les bourdons roux qui viennent butiner l’herbe à chat et la sauge arbustive.
Que d’eau que d’eau, avait dit l’autre. Oui c’est un fait. Mais que serions-nous sans cet H2O ? Nous ne serions même pas un corps. Pas de cœur, pas de sang, pas de racines, pas d’yeux, pas de bouche, pas de nez, pas d’oreilles, pas de visage, ni de bras, ni de jambes, ni de muscles, ni d’os. Nous ne serions que pierre que recouvre la mousse qui naît sous l’effet de la pluie. Nous n’aurions pas de conscience, nous ne ressentirions rien, pas même un frémissement ni la moindre sensation. Nous ne serions rien de ce que nous sommes encore, des êtres vivants appartenant à une chaîne, celle du vivant. Mais ce n’est pas une raison pour invoquer la pluie. Quoi que l’on fasse quoi que l’on dise quoi que l’on écrive, si elle vient, c’est bien, tant qu’elle ne ravine pas tout sur son passage. L’eau c’est la vie, c’est ce qui constitue la Terre. L’eau, c’est peut-être aussi la mort. Abritons-nous de la pluie. Elle tombe, elle n’en finit plus de tomber en rideau devant la fenêtre de mon salon. Et je la regarde tomber, impuissante. Sa chute est fracassante.
Ne pas faire attention à la niaiserie de ce texte. En fait, je n'en peux plus de la pluie. Elle me gonfle, elle tombe dru depuis le début de la matinée, sans discontinuer, pas moyen de lui échapper, je suis prisonnière de mes murs qui ruissellent et dégouttent tellement il pleut. La pluie me tient prisonnière et m'oblige à être niaise et sentimentale. La pluie m'est fatale.
#07 Ni une ni deux
Ni agriculteur ni médecin des plantes
Ni glyphosate ni phosphate
Ni vannage ni interruption du cours
Ni pluie ni dépression
Ni reflux des eaux ni refuge sous l’eau
Ni tempête ni ouragan
Ni réel ni fiction
Ni roman ni carnet
Ni essai ni tentative
Ni réussite ni échec
Ni visible ni lisible
Ni sable ni eau
Ni pollution ni assèchement
Ni inspiration ni trouvaille
Car je ne sais pas où est la faille, si elle est mince ou béante, si la beauté l’a achevée car la laideur s’est emparée du trou, de la réalité d’une béance qui a dévoilé des carences, des défauts, ni les tiennes ni les tiens, où est le chien, celui qui a mordu le passant qui lui tendait la main, il y a trop de chiens et trop de chats à nourrir, ils mangent les fonds des mers et les restes de la terre, les poussières alimentaires, ni les humains ni les bêtes, juste le végétal qui volubilise la matière, il s’enroule autour du bâton, du balai, de la pelle, du linteau de la cheminée, ni fente ni lézarde, des passages qui s’agrandissent pour laisser passer la lumière et la pluie, ni soleil, ni pluie, juste des nuages et le décor de la lune qui fait de toi une funambule, juste une lumière, fine, blanchâtre, qui idolâtre ceux qui regardent le sol, qui cherchent sous leurs pieds ce qu’il y a à absorber, ni ciel, ni cime, les soubassements, les profondeurs, la béance d’une grotte qui abrite sous terre une plante épiphyte, une plante qui survit, au-dessus, un sempervivum qui entre en transe avec la rosée qui se dépose, qui alimente son suc, il n’en peut plus de grossir, il va faillir, ni jambes, ni bras, juste la plante qui se ramifie par les airs, sans toucher la terre, ce fameux cratère dans lequel tu aimerais nager, ni bateau, ni combinaison, juste l’eau qui glisse sur la peau, qui perle dans les cheveux, dans le nez, dans la bouche, tous ces interdits autorisés que tu aimerais pourfendre, éliminer, ni pesticides, ni cancer, tout est parti dans les airs, dans l’eau, dans la terre, tout a irradié, ni uranium, ni plutonium, du sempervivum pour échapper à l’ennui, juste l’envie d’en finir avec les interdits autorisés, ni bisphénol, ni atrazine, ni PFAS, ni OGM, peut-on vraiment dire amen, ne pas être amène, retenir l’amer.
#08 Des Récollets à Vouvray
Partir d’un point A à un point B, un peu au hasard. Il s’agit d’une entrée et d’une sortie, entre deux frontières. De la frontière d’un bras du Loir, un seul bras, alors qu’ils sont deux, voire trois à certains endroits. Deux bras de Loir pour laisser les moulins faire leur travail. Des Récollets à Vouvray, y-a-t-il un dénivelé ? Il y a des hauteurs, des à fleur d’eau et des à fleur de route.
Depuis les Récollets, je suis en contrebas. Les Récollets et toute la vallée de Saint-Avit m’éloignent de la route. Je suis trop bas pour l’atteindre, trop loin aussi. Trop bas pour envahir la zone commerciale qui arrive presque à saturation de ce côté-ci du Loir. C’est moi qui les arrête. Je pourrais leur faire peur. En réalité, ils n’ont plus peur de moi depuis des décennies. Depuis presque trente ans, je n’avais pas fait parler de moi. A peine suis-je sorti hors de moi, hors de mon lit qui s’effrite, qui s’écroule, qui n’absorbe plus rien tellement j’ai été asséché. Mes bords de rivière sont menacés. Même les cygnes ne veulent plus nidifier. Seules les petites poules d’eau acceptent encore de s’installer au bord des prés. Il y a quelques herbes, et surtout beaucoup d’algues, de nénuphars et de lentilles d’eau qui m’asphyxient. Aux Récollets, je m’écoule encore précieusement. Aux Cathelines, à deux cents mètres de là, je lèche les pieds des carex. Je m’écoule auprès des bois morts, auprès des couples illégitimes de quinquagénaires qui trouvent ici un endroit pour pique-niquer et faire plus parce qu’il y a beaucoup d’affinités. Aux Cathelines, les badauds peuvent faire du sport. On voit bien de là que je continue de couler dru un peu plus loin. Puis il y a le passage du moulin de Saint-Avit. Il y a un vannage. Et là, je chute. Mon débit s’affaiblit un peu plus loin. Je sens bien qu’on me retient, qu’on retient mon flot. Il faut que je sois un lieu de randonnée entre l’île Chemars et les Cathelines. Après, c’est beaucoup trop loin pour les pagayeurs. Donc, on fait de moi ce que l’on veut. Après le moulin de Saint-Avit, je chute, je ne débite plus, on voit apparaître mon lit et les poissons qui tentent de se frayer un chemin entre les algues et les nénuphars, ceux qui mangent des géris et parfois des libellules, dont la population a fortement chuté depuis quelques années. N’y aurait-il pas assez d’eau pour qu’elles puissent se reproduire ? Je vois bien que la bergeronnette a le chant et le vol faciles. Le martin-pêcheur me survole du regard et aussi de ses ailes. Peut-il encore attraper des gardons ? L’hiver, le héron se pose au milieu de mon cours. Il se stabilise, il surveille, il mange et il se repose. Les aigrettes, si blanches et si menues, sont posées dans le pré. Elles aussi vont profiter de mon cours, même à faible débit, et de mon empoissonnement. C’est que l’on veut encore de moi. Certaines espèces ne m’oublient pas. Elles ont besoin de moi. Quant à l’espèce humaine, elle m’avait oublié. Elle avait oublié que je pouvais être ravageur. Je l’ai prouvé il y a peu. Mes deux bras ont voulu se rejoindre. Des Récollets aux Cathelines, de Saint-Avit à la Samaritaine, de la Samaritaine et tout au long de Ségland, de Ségland à Moncelair et de Moncelair à Vouvray, j’ai fait plus que déborder. Je me suis enfin déployé. J’ai enfin montré que j’avais du débit, que plus rien ne pouvait m’arrêter, que j’outrepassais les droits des vannages qui ne me retenaient plus, je les ai tous cassés. J’ai fait des dégâts dans les constructions, ces barrages de ciment, de brique ou de béton dans lesquels je me suis infiltré. Jusqu’à la nausée. J’ai enfin fait peur à tout le monde. Aujourd’hui encore, tout le monde me craint. J’ai frappé les esprits. J’ai sabordé les maisons qui vivent à mon bord. Elles sont totalement invendables. J’ai noyé les vide-sanitaires des maisons pourries pas la vanité de leurs propriétaires. J’ai fait aussi quelques malheureux. Je n’ai eu de pitié pour personne. D’habitude, entre Saint-Avit et Vouvray, je m’écoule péniblement. Je suis toujours à la peine et au plus bas dans mon lit. La terre des bords de rivière se craquèle, les arbres commencent à mal tenir aux rives. Ils s’écroulent au moindre coup de vent, même ceux qui étaient les mieux enracinés. Mes frênes se couchent au moindre coup de sirocco. Mes rives s’écroulent, les herbes n’ont plus l’habitude de recevoir ma visite. On ne m’absorbe plus dès que je déborde. On me régurgite, comme un long renvoi, un retour vers l’envoyeur qui ne me prenait plus au sérieux. Eh oui je sais je peux faire bien des dégâts. Oh, au printemps et à l’automne, je peux faire joli avec les feuilles de mes arbres qui se reflètent dans mes eaux, qu’elles soient vertes ou couleur de rouille. Mais maintenant, quand ils me regardent, ils ont la trouille.
#09 La sève
Trois gouttes qui perlent droit sur le tronc. Trois gouttes de couleur ambrée ? Trois gouttes qui s’alignent et qui tirent entre le rouge et le marron. Elles coulent mais elles sont dures. Elles collent au bois, à côté de la mousse, du lichen et d’une liane de lierre. L’écorce du bois est ouverte comme une plaie. Béante ? Trois gouttes qui font mine de tomber. Trois gouttes qui poissent. Il a plu, beaucoup plu, beaucoup trop plu. L’eau resurgit sur le tronc. L’eau coule des feuilles. Ca suinte. Tout l’arbre suinte. L’arbre est suintant d’eau, regorge d’eau. Ses racines, le tronc, les branches, les feuilles. L’eau a totalement traversé l’arbre. C’est un cerisier, un très grand cerisier qui est en train de perdre ses feuilles. C’est l’automne. On est en novembre, les feuilles sont encore vertes. Elles n’ont pas encore été attaquées par le rouille et le mordoré. Au tronc, à la base des branches, là où part tout un embranchement, il y a cette sève qui perle, qui pruine, qui poisse et qui salit les doigts. Cette sève qui coule et qui va peut-être achevé l’arbre, cette sève qui prouve que l’arbre est attaqué par un champignon. Trop d’eau, décidément trop d’eau, de l’eau qui vient d’ailleurs. L’arbre n’y était plus habitué depuis si longtemps, depuis sa plantation, depuis ses fondations. L’arbre a manqué d’eau pendant de nombreuses belles saisons. Mais il n’a jamais fléchi, il n’a jamais flanché. Cette année, l’arbre fait perler la sève sur son tronc, sur ses branches, cette gommose qui l’enterre, cette gommose qui le condamne, ce champignon qui l’attaque. Toujours trop d’eau, dans la terre, dans l’air, de l’eau dont on ne sait plus d’où elle vient. Le sol est spongieux. Il fait régurgiter l’eau. L’herbe au pied de l’arbre perle de toute cette eau, la recrache, la fait retomber sur le sol, les racines de l’arbre qui avalent toute cette eau, qui n’en peuvent plus de cette eau. Et ces trois perles de sève, ce n’est qu’un début. C’est le début d’une fin, celle de l’arbre qu’elle aimait tant.
#10 L’ardoise
L’ardoise, si cossue, si fragile, si friable. Ardoizen. Des ardoises pour créer un sentier de pas japonais. Un sentier bleu-gris. Un sentier froid, glissant si l’on n’est pas prudent. Ardoise des pas, ardoise des toits. Ardoise qui isole. Ardoise qui ne gèle pas. Mais ardoise qui s’effrite, qui se casse, qui se fend. Roche imputrescible, pierre friable.
Le chat marche sur les ardoises, sur les pas japonais et sur les toits. Jamais il ne glisse. Ses griffes ne s’y agrippent pas. Ses coussinets y adhèrent. Le chat, de ses doigts puissants, marchent sur les ardoises en pente. Ardoizen.
La mousse se plaque sur l’ardoise, s’y accroche. L’herbe veut la recouvrir à tout prix. Le pas japonais disparaît petit à petit. L’ardoise du toit verdit. Plane ou en pente, l’herbe du toit se végétalise, se laisse absorber, inerte, derrière ce vert qui veut la dominer. Ardoizen.
Juste un petit bout d’ardoise dans la main, qui coupe, qui est froid. Ou simplement frais ? C’est toute la fraîcheur de la terre qui rejaillit dans la main qui reste propre. L’ardoise ne salit pas. A peine laisse-t-elle quelques paillettes de gris sur la main. Oui, à peine. Ardoizen..
pourtant si, il y a du silence
je l’entends en arrière du vol de libellule ou de l’immobilité des aigrettes blanches que tu poses si élégantes dans ton paysage
je l’entends dans cette crue lente sans violence, ce pré inondé « pressé de pousser »
merci Elise pour ce doux voyage
Merci Françoise pour ces mots attentifs
j’aurais pour lui et sa maison un regard fraternel… mais de loin
(et avant je savourerai le paysage au Loir)
Oui, le Loir et son paysage sont à savourer. Merci d’être passée
# 2 – encore là un bien drôle d’oiseau pris à son propre piège
on suppose que jamais personne n’avait pu entrer dans cette maison avant que son cœur cède… et on ne peut se résoudre à détourner la tête de sa misère…
merci Élise pour ce portrait
Eh non Françoise, jamais personne n’a pu entrer dans cette maison. Elle fait toujours un peu maudite de nos jours. Merci d’être passée
#4 on a envie de suivre avec toi ces traces qui nous révoltent jusqu’à surprendre et condamner les fautifs… et les nageurs, et les oiseaux et les poissons ?
Je ne sais que penser de cette pollution qui s’affiche. Merci de suivre ces traces Françoise
Je viens de passer un bon quart d’heure sur google maps à suivre le Loir entre ce Gué-Vaslin et le Loir que je connais du côté de La Charte, le Lude, le confluent avec la Sarthe, rencontrer la Mayenne, la Maine, Bouchemaine tout le monde descend. Il va loin ce Loir. Merci pour le voyage.
Je ne connais pas ce Loir que vous connaissez. Quand j’étais petite, on allait visiter le château du Lude. Il y avait là bas aussi un son et lumières très réputé. Mais ma connaissance du Lude s’arrête là. Je rêve d’aller un jour à Bouchemaine. J’irais peut-être voyager à mon tour sur Google Maps. Merci pour l’échange.
#5 ces deux tours m’en rappellent d’autres qui évoquent de folles et terribles tragédies
belle fluidité dans ta langue (davantage envie de me concentrer sur la forme), de toute façon la ville est en permanente reconstruction et on se demande bien au bénéfice de qui….
Merci Françoise d’avoir lu ma #5. Il y a de graves problèmes d’aménagement du territoire chez moi. Des problèmes politiques sur lesquels il est vain de s’attarder.
la barre blanche : navrance… on se demanderait presque si elle n’est pas préméditée
Oui c’est à se demander si cela n’était pas prémédité par des architectes recommandés par l’ANRU. Je ferais bien un tour de ce qui a été prémédité ces années-là pour le prendre en photo. J’en ai eu l’idée grâce à vous, Brigitte, merci.
je frissonne, même mes os sont pleins d’eau
Et au lieu de proférer « que d’eau que d’eau », on n’aurait plus qu’à dire « que d’os que d’os ». Pardon pour ce mauvais jeu de mot. Je m’en vais de ce pas me retirer de la vie des commentaires 😉😅
Tellement juste . Merci Élise pour ce texte.
#8 / ou on est dans le manque ou alors c’est trop… tout est déréglé modifié dérangé bousculé, on ne sait plus à quoi s’en tenir
et elle non plus, l’eau
tu lui donnes la parole, à cette rivière, à cette eau dépitée qui a envie de se venger on dirait…
(parce que je me demande quand même pourquoi elle est en colère ? est-ce seulement parce qu’on l’aurait trop dédaignée ? »
En effet tu écris « Certaines espèces ne m’oublient pas. Elles ont besoin de moi. Quant à l’espèce humaine, elle m’avait oublié »)
En tout cas merci pour cette proposition qui pourrait bien se poursuivre avec ce JE
Bonjour Françoise. Eh bien oui, on peut dire que ces dix dernières années, le climat a tout bousculé dans ma région, entre la sécheresse et les pluies diluviennes de cette année, sans parler de la dépression Kirk qui a tout fait déborder. Mon texte est sans doute trop brouillon. Et oui, le Loir est délaissé à plus d’un endroit, entre la sécheresse et le manque d’entretien de ses rives et de son lit. Il est généralement paisible mais pour l’observer de près (je me rends fréquemment en bord de Loir), j’estime qu’on le laisse aussi souffrir, à l’image de maisons récentes construites dans des prés bordés par la rivière, en zone inondable. Un non sens pour moi. Bref, mon texte est certainement trop brouillon et pas assez lisible. Je ferai mieux, j’espère, à la prochaine proposition. Merci Françoise d’être venue ici.
ce paradoxal du pas assez et du trop plein d’eau..
Oui Perle c’est très vrai. C’est le paradoxal du climat, entre sécheresse de ces dernières années et toute cette eau qui a déferlé cette année. Je ne suis pas miss météo mais quand même, il n’y a plus de saison 😉. Et je trouve qu’il n’y a plus qu’une seule saison 🙃
il était un fois l ‘arbre et l ‘eau , merci, pour ce zoom poétique entre « vie et survie » Arbre boit , suinte, va mourir peut-être…mais est toujours là et c ‘est ce qui compte … non!
Oui Carole et comme dans tout pendant à la vie, il y a toujours la mort qui n’est jamais très loin. Je suis un peu plongée dedans en ce moment. Il y a des cycles comme ça. Merci beaucoup Carole de m’avoir lue.
belle insistance, hachée, entêtée de la sève