#écopoétique #02 | catabolisme et cosmos

Ces idées d’art involontaire et de déchetterie à l’échelle humaine ont tourné longtemps dans ma tête. En lisant les contributions très réalistes des autres sur Tiers-Livre, bien des « pistes » d’écriture se sont présentées à mes portes d’imagination et j’ai soudain pensé à ce qui se passe à longueur de temps dans nos corps vivants. Nous ne cessons jamais jusqu’à la mort de fabriquer de la matière moléculaire que nous éliminons au fur et à mesure en la détruisant dans nos cellules spécialisées. Il n’y a rien de plus artistique et déroutant pour la plupart d’entre nous  que le corps animal et végétal contenu dans l’apparente placidité ou la soudaine défragmentation du corps minéral. Tout se joue à la dimension microscopique et à son expansion mystérieuse. Nous scrutons et tentons de modifier tous les aspects accessibles de ce qui nous constitue et nous environne. Et c’est sans doute l’esprit qui nous permet d’en prendre conscience à défaut de maîtriser la connaissance des tenants et aboutissants de tous ces processus. Sans aller jusqu’à des théories cosmiques qui nous écrasent, la simple gestion de nos modes de vie prédateurs et dévastateurs nous inquiète suffisamment. Que faisons-nous collectivement de nos ressources planétaires. Comment se fait-il que nous soyons obligé.e de prélever et de digérer sans fin ce qui nous procure de l’énergie et des réserves de subsistance que nous disputons aux  contemporain.e.s ?

Je ne vois dans l’art que la répétition balbutiante  des images que nous nous faisons de nos corps humains aux prises avec toutes les accumulations de qualités et de défauts qui nous constituent et nous transforment en êtres parlants , gesticulants et destructeurs et qui nous rendent malades. Nos poubelles en témoignent et nous ne nous savons plus comment éviter le spectacle navrant et culpabilisant des peuples entiers qui survivent sur nos détritus et en crèvent plus vite que nous devant nos yeux.

L’image bucolique de l’éboueur employé municipal à chariot fleuri ou couvert de peluches doudous abandonnées qui sifflote en faisant sa tournée dans le quartier pour ramasser la merde des autres est tout à fait anecdotique et rare. C’est une image de vitrine de luxe. Voyez comment on est bien organisé et propret… Comment garder le sourire à la banane  quand on marche sur des épluchures, des papiers gras, des objets cassés et démantibulés et des crachats  assortis de vomis avinés ?  La rue est un corps social très malade de ses excès. Les balayeuses électriques et leurs jets puissants ne font que refouler les ordures dans les caniveaux ,les laissant dériver jusqu’aux fleuves ou rivières qui sont ni plus ni moins nos vaisseaux sanguins contaminés.  Même les graffitis anonymes sont des virus insalubres et laids, véritable  cris de révolte et de refus de l’ordre harmonieux. La salissure volontaire est un contre-pouvoir à la bien « pensance » des panses trop bien remplies.

Je crains ici de m’embarquer plus loin que je ne l’aurais souhaité dans ce texte où je remets en cause mon propre métabolisme et mon propre impact carbone dans ce monde complexe et profondément inéquitable.

« Tu es poussière et tu retourneras en poussière » nous dit la doxa chrétienne. Et c’est d’ailleurs ce que préconisent les pratiques crématoires  modernes qui  sont  importées des pays où la surpopulation et la famine obligent à plus d’hygiène et de séparation entre les vivants et les morts ( sources de maladie).

Il y aurait beaucoup à dire sur « la déchetterie funéraire » et ses manières cérémoniales de dissimulation des putréfactions insoutenables…On songe même aujourd’hui à transformer nos morts en humus pour faire pousser des arbres.

 Certaines théories prétendent même que nous ne sommes que des agglomérats de poussière ( d’étoile ? ) en suspension et c’est une raison de plus pour laquelle il ne faut pas s’attacher aux biens matériels. On voit bien qu’à peu près tout le monde cherche à faire le contraire sauf les sages ermites déconnectés.

 La boucle est bouclée. Tout naît, tout se transforme en poudre de temps, tout se recycle aux vents des hasards. Ce qui reste est de plus en plus virtuel, comme ces images de défragmentation numériques réversibles qui envahissent nos écrans. Splatch ! et Pffuitt !

« Je devrais toujours avoir un bout de papier et un crayon en poche. Et une gomme » a écrit Louis Scutenaire…

 L’art d’écrire n’est – il finalement qu’un art de survivre à perte et sans regrets. Je ne suis pas certaine d’avoir été dans cette ligne de conduite avec ce texte météorite.

CI-DESSOUS , un AJOUT INVOLONTAIRE… SORTE DE TOTEM DE CATEGORIES à la César !

,

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

3 commentaires à propos de “#écopoétique #02 | catabolisme et cosmos”

  1. Chère Marie-Thérèse, quel bonheur de te lire au petit matin ! Je crois que tu es bien au cœur de la proposition, mais on s’en fout d’ailleurs. Ton regard sur nos comportements est si vrai et ton écriture le rend plus direct encore. Et je ne me lasse pas de te lire quand tu nous racontes l’écriture elle-même. Du coup relu ta biographie, tellement beau ce que tu écris à propos de l’écriture. Merci pour ces soulèvements d’écorce.

  2. Ça fait sacrément bouger la tête . Merci pour ce texte fort qui remue dans nos déchets .

  3. oh la belle idée ! (et je me dis | suis horrifiquement pas sérieuse | que j’aimerais bien n' »être que poussière)
    plus sérieusement aime que vous ayez poussé l’idée et avec ce qu’il faut de sourires épars pour accompagner la gravité