#versuneécopoétique | Brigetoun

01 – aube depuis chambre
02 – ça a commencé par les oiseaux

#01 – aube depuis chambre

Je me suis levée trop tôt dans la chambre pendue au dessus du jardin sous les combles de la maison endormie. De la fenêtre ne voyais que des nuances de noir dans le bruissement, la sensation infime du crissement  de l’air veillant sur le monde, avec juste la tache banche comme une grosse étoile tombée d’un lampadaire un peu plus loin au tournant de la route sortant du bourg au delà du profond enclos. Me suis recouchée, la joue posée sur le drap. Quelque chose comme une idée de luminosité se glisse sous mes paupières et je me redresse sans être certaine d’émerger du sommeil.  C’est une modification de l’obscurité sur les lattes du parquet où je pose les pieds dans ce qui me semble une négation du moindre son ; un silence si intégral qu’impossible enveloppe l’absence de paysage  que découpe le carreau de la lucarne. La nuit retient son souffle et les noirs se sont dégradés en une clarté qui est manque de lumière comme un passage au blanc peuplé de formes vagues que seul le souvenir renaissant de ce que j’ai vu hier en prenant possession de la chambre identifie vaguement. Je reste là. Dans la même attente que l’air, le son, la lumière, la terre et les arbres. Je reste là. Pour une fois ma solitude se noie dans la même fragilité, la même vacance que le son, la lumière, la vie, dans cette attente. Est-ce que je tremble ? je frissonne comme la taupe blottie dans son terrier, comme les oiseaux invisibles qui n’osent chanter. Il y a le froid, la chaleur des draps qui s’enfuit. Il y a la pensée qui me vient et un frémissement dans les branches de l’olivier, le pin qui dessine son dôme et le timide bleu qui s’éveille lentement… le miracle survient encore une fois, nous, taupe, air, oiseau,  branches, nous retrouvons chacun notre je  et c’est la défaite de la nuit. Je vais boire une gorgée d’eau en penchant la tête sous le robinet de la salle de bain, je laisse entrouverte la porte de ma chambre, je me rallonge en attendant que s’éveillent les bruits de la vie dans le navire qu’est cette maison sous moi, je me prépare à remettre mon jour à leur suite.

#02 – ça a commencé par les oiseaux

Jambes allongées, pensant à tout ce que dois et veux évacuer : un vieux petit four  à poser, une chaine de radio inutilisable, des pots de plantes, des vêtements indignes d’être donnés à une friperie… et découragée par les difficultés de la chose je remets une fois encore à un plus tard de plus en plus vague la recherche de l’entreprise qui viendrait chercher l’ensemble en haut de mon escalier pour le charger dans un camion devant le public oisif et curieux du café et l’emporter dans une déchèterie sans me faire payer le coût du débarras de gravats d’un chantier important…, je secoue mentalement mes épaules avec précaution pour ne pas éveiller l’idée d’une douleur et pour renouer avec l’immédiat me vient mon petit mantra « ça a commencé par les oiseaux ». Oui, ça a commencé ainsi, les assiettes de faïence ou porcelaine ornées d’oiseaux dont je faisais collection et qui posées verticales sur les rayonnages devant des livres n’ont pas supporté le contact avec les carreaux de terre cuite… chacune était chargée d’un souvenir, d’un sentiment, d’un coin de rue, du sourire du donateur et il m’en reste des tessons utilisés pour coincer une porte, un dessin posé au fond d’une niche ou pour faire rempart aux feuilles voltigeant vers l’évacuation de la cour… Mais cette fois encore le mantra ne me relance pas dans le jour mais me ramène à lui, à sa caverne comme nous appelions la grande pièce à l’arrière de sa villa de si belle et classique apparence, à ma surprise joyeuse et ahurie en la découvrant, guidée par lui et l’amie qui nous avait présentés, après l’austérité chic, la nudité de métal, bois sombre et étoffes grèges du salon, à sa voix où revenaient peu à peu les cailloux des gaves des Pyrénées disant « oui c’est ainsi, n’y peux rien ou ne le veux pas… » et puis « ça a commencé par les oiseaux… », racontant la découverte par hasard dans une brocante d’un faîtage surmonté d’un oiseau en plomb portant trace d’un siècle ou plus d’intempéries | celui devant lequel je m’étais arrêtée souriante |, la décision de prendre l’oiseau, sous toutes ses formes, en tout matériau, qu’il soit beau ou minable, charmant, ridicule ou agressif… comme objet de sa collection d’adulte, pour renouer avec la passion de sa quête, enfant, des buvards décorés. Et comme l’amie tournoyait en tendant un bras, s’interrompant de temps en temps pour montrer l’un ou l’autre des objets entreposés en ce qui n’était pas vraiment un fouillis désordonné comme on l’aurait pensé au premier coup d’oeil mais un agencement surprenant derrière lequel semblait régner un soin mélangeant un souci esthétique et le plaisir de l’absurde, il a reconnu que bien sûr il n’en était pas resté là, à ses trouvailles | et il montrait le gigantesque faucon de pierre au cou duquel était noué un vieux foulard d’Hermès orné d’oiseaux rose et or | ou à ceux qu’il avait reçus | au dessus d’une petite cuvette emplie de gravier dans lequel étaient plantées des tiges de fer portant des oiseaux ou des fleurs de céramique peinte joliment ridicules | mais que le pli étant pris, il avait pris l’habitude de céder à toutes ses envies passagères, sans trop se soucier de leur utilité ni de savoir si le charme trouvé ou l’intérêt porté à sa trouvaille serait durable, et nous avons continué à circuler, à nous faufiler entre les hautes hottes de rotin au tressage si savant qu’il s’apparente à une dentelle en relief que je saluais comme des dérives abâtardies de celles avec lesquelles je jouais chez mes grands-parents (leur manquait le couvercle conique coulissant sur des cordelières et il m’a confirmé que dans le village vietnamien d’où elles venaient il en avait vues de semblables dans les maisons) et les nasses de bambou, nous arrêtant devant une clairière sur le sol de laquelle était posées sur des nattes colorées en tiges de souchet ou des paréos des plateaux d’osier tressé, de cuivre ciselé ou de grandes plaques de bois océaniennes sculptées avec une gaucherie qui sentait la fabrication pour touriste, nous penchant sur un panier contenant des sonnettes de vélo pour tenter de tirer une musique à même de nous séduire du petit orchestre que nous improvisions en les manipulant. Et ce fut le début d’une amitié qui dura quelques mois, jusqu’à ce que l’amie déménage, que je n’ai plus de prétexte pour revenir dans la région et que je les perde de vue tous deux.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

31 commentaires à propos de “#versuneécopoétique | Brigetoun”

  1. mercii Marie-Thérèse
    il y a deux moments dans la niuit :quad on travaille le coup de pompe vers trois heures du matin
    et à l’aube cette sidération d’un instant avant le début de la lumière diurne

    • Je connais déjà ces sommeils hachés qui nous font vivre en décalage réglé avec l’horloge des autres. Néanmoins, vos nuits vous permettent une belle écriture ou vos souvenirs s’éclairent de vos mots si bien choisis. Et j’aime en particulier cette visite de maison aux oiseaux et aux sonnettes de vélo… « un agencement surprenant derrière lequel semblait régner un soin mélangeant un souci esthétique et le plaisir de l’absurde, « . C’est ce qu’on peut appeler un « cabinet de curiosités »… inépuisable source d’émerveillements.

      • oh que c’est gentil Marie Thérèse… oui « cabinet de curiosité » mon rêve depuis toujours qui ne sera pas réalisé (mais ce n’est pas grave, on peut imaginer) … un peu peur simplement que cela soit à côté de ce qui était prévu

  2. Dense et fluide…comme toujours!
    Et j’aime beaucoup cette phrase: »le miracle survient encore une fois, nous, taupe, air, oiseau, branches, nous retrouvons chacun notre je et c’est la défaite de la nuit. »

  3. « Je reste là. Dans la même attente que l’air, le son, la lumière, la terre et les arbres. Je reste là. Pour une fois ma solitude se noie dans la même fragilité, la même vacance que le son, la lumière, la vie, dans cette attente. Est-ce que je tremble ? je frissonne comme la taupe blottie dans son terrier, comme les oiseaux invisibles qui n’osent chanter. Il y a le froid, la chaleur des draps qui s’enfuit. Il y a la pensée qui me vient et un frémissement dans les branches de l’olivier, le pin qui dessine son dôme et le timide bleu qui s’éveille lentement…  » quelle chance de pouvoir , toucher, sentir et dire ainsi, si juste : être pierre , taupe, ciel, être avec, être comme. Merci Brigitte !

  4. je suis fascinée par ce que chacun explore dans cet exercice…
    ici chez toi, c’est l’aube, le moment du passage entre nuit et jour
    et je retiens : « La nuit retient son souffle et les noirs se sont dégradés en une clarté qui est manque de lumière comme un passage au blanc peuplé de formes vagues »

  5. Ça a commencé par les oiseaux ( et le titre emporte) les oiseaux en assiettes brisées. Cette collection d’adulte qui n’a pas résisté au temps ( me souviens des buvards et de leurs potentialités plastiques) et vos phrases font vibrer cette folie de plumes en effigie; tout un art de nous faire voir Brigitte . Merci .

    • grand merci Nathalie… vais soigner mes yeux pour aller lire tout le monde cet après-midi… j’étais intriguée par ce que vous aviez tiré de ce thème (me refusait un peu, mon idée lancinante étant de trouver au contraire comment évacuer… l’antre n’ayant pas la taille d’un entrepos, sinon suis assez entasseuse)

  6. là, la belle idée et le drôle de souvenir de cette collection d’oiseaux qui me ramène d’ailleurs à mes propres oiseaux flottants et autres petites figurines ailées achetées elles aussi dans les brocantes
    et surtout surtout, ce titre litanie : « ça a commencé par les oiseaux » et on doit relire une deuxième fois pour faire plus ample connaissance avec le collectionneur avant de le perdre de vue
    merci pour ce petit voyage…

  7.  » Nous retrouvons chacun notre je, c’est la défaite de la nuit », vos façons de dire l’immédiateté m’enchantent avec ces formulations inédites. « je me rallonge en attendant que s’éveillent les bruits de la vie dans le navire qu’est cette maison sous moi, je me prépare à remettre mon jour à leur suite », ceci aussi.
    Dans le second texte, on poursuit la visite du lieu avec vos yeux et cela pourrait ne jamais finir. Et tout cela depuis ce seul bout de phrase si bien mis en scène  » ça a commencé par les oiseaux ».

  8. Oh Brigitte, que j’aime à vous lire… je suis sous le charme poétique de vos textes.
    J’ai moi aussi une attention particulière dans la bascule de la nuit au jour. J’attends attentive les premiers piaillements d’oiseaux, ceux de 6h du matin, puis viendront le roucoulement des pigeons de 7h pour enfin conclure ce réveil par les coassements de 8h.
    Dans un sourire, je me joins à vous pour dire « ça a commencé par les oiseaux… »

  9. « le miracle survient encore une fois, nous, taupe, air, oiseau, branches, nous retrouvons chacun notre je et c’est la défaite de la nuit. »
    Quelle belle phrase pour finir la nuit. bravo pour votre texte.

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