un bout de feuilleton/ lointain rapport avec… /mais qui sait ?
La déchetterie
Bien après son départ de La Chaumèze, il prit l’habitude de revenir en Brionnais, chez moi, pour un temps de séjour variable, agrémenté de sorties aux environs pour revoir les copains et participer aux nombreuses fêtes du printemps ou de l’été. Dans sa banlieue du 93, il ressentait le besoin de verdure, de province, de regard qui dépasse le mur de l’immeuble en face et se repose vers des lointains. Un coup de fil et c’était accordé.
Il vient seul, nous sommes aux environs de Pâques. Le printemps s’est déjà déclaré, on va faire une orgie d’escargots, de petits gris ramassés au pied des vieux murs. Nous les faisons jeûner une semaine, puis on prépare le court-bouillon et la farce : beurre, ail et persil. Je l’attends à la gare, vers 12 heures 30. Comme je n’ai rien prévu pour le repas, je pense qu’on se tapera un resto, il y en a pas mal aux alentours. Le train est annoncé à l’heure, ce qui n’est pas toujours le cas, la voie unique nous joue des tours, les cheminots aussi, mais les cheminots c’est sacré, alors, il n’en sera pas question ici. Il débarque en pleine forme, santiags déroulantes, jean serré et cuir rénové. Un petit sac à dos, une casquette de loubard et le sourire narquois qui ne quitte jamais sa bouche fine. A peine le temps d’échanger quelques politesses.
» – Tu peux m’emmener à St Eris ?
- Pas de problème. Qu’est-ce qu’on va faire ?
- Tu verras, je t’expliquerai «
Cela nous rallonge un peu, mais il fait beau, rien ne presse, on trouvera bien une gargote pour déjeuner sur place. Je me dis que trop de souvenirs, Nadia, Livia, Francisco… qu’il a envie de revoir les lieux. Ce qui m’étonne, c’est l’urgence. On roule. On parle un peu… de son frangin qui ne se sort pas d’une mauvaise grippe, du bistrot de La Courneuve qui devrait être mis en vente, des femmes d’ici et de là-bas. Je lui demande s’il a repris l’écriture. » – J’ai démarré un roman. Finalement c’est pas difficile, tu appliques la recette de Kérouac : » Tu démarres, puis tu continues, tu continues, tu continues…
- Et ça marche ?
- Ouais, c’est une sorte d’enquête. Tu cherches quelque chose et pour trouver, tu passes d’un personnage à l’autre. Chacun te mène au suivant. Après, c’est de l’habillage, tous plus dégueulasses les uns que les autres. Ça fonctionne pas mal… je m’arrêterai lorsque je n’aurai plus de vieux grotesque à mettre en scène. En fait, je reprends des figures qui m’ont marqué en littérature. Des polars et autres. Il y a Quasimodo – à tout seigneur tout honneur – , Boris Vian, Sherlock Holmes, Sade, Léo Malet, Lacenaire, Céline. Je les transforme un peu, pour dire comment je les vois, à ma façon.
- Et le style ?
- Tu me connais ! C’est direct, c’est de la boxe, ou plutôt du catch quand je m’emmêle les pinceaux. A propos, tu savais que le catch était une attraction prisée des intellectuels de l’après-guerre ? Bon… tu me donneras un coup de main à la relecture. J’aimerais en faire une sorte de feuilleton avec des rebondissements. Je pense avoir fini très vite. J’ai apporté le manuscrit, chez toi je vais bosser dessus avec ta vieille Olympia. Je l’enverrai aux éditeurs du Québec, c’est là que j’ai mes chances… ils n’ont pas voulu des poèmes… ils aimeront sûrement la prose ».
On roule toujours. Plus que quelques kilomètres. On passe l’Aurence.
» – Alors, où on va ?
- Tu connais la décharge ?
- Non, qu’est-ce que tu veux chercher ?
- Bon, alors, tu roules jusqu’à mon ancienne baraque, après, je t’indiquerai. Et puis c’est pas pour chercher, c’est pour déposer un truc. Je te guide, moins tu en sauras, mieux ça vaut. »
Je gamberge à toute vitesse. Dans quoi est-ce que je m’embarque avec ce type dont j’ignore tout depuis qu’il est retourné à La Courneuve. Pourquoi s’était-il installé ici il y a sept ans ? Qui fréquentait-il autour du bistrot familial et à Paris ? C’est vrai qu’en ne me disant rien, il me protège. Il se protège aussi, mais il pique ma curiosité.
» – Tu ne peux rien dire ?
- T’en fais pas, rien de très important. Pas une montagne ! »
Et il éclate de rire.
Nous passons devant son ancienne maison, inoccupée, fermée, je me demande qui surveille les troupeaux, ils ont dû vendre…
» – Tiens, là, tu prends à droite «
Chemin de terre, on est rudement secoués. Au bout d’un kilomètre, je découvre un petit vallon que la décharge sauvage a déjà partiellement comblé. Albéric me fait stopper. De son sac à dos, il tire un plastique de supermarché.
» – Bon, attends-moi, j’en ai pour cinq minutes. »
Je le vois revenir sans le sac. Que contenait-il ? Où l’a-t-il jeté ou caché ? Peut-être s’agissait-il d’une boîte aux lettres, peut-être d’un objet compromettant à faire disparaître. Je me perdrai en spéculations. Je n’aurai jamais de réponse. Albéric est mort. Je ne saurai jamais rien.
çà c’est de l’amitié !
j’espère que c’était quelque chose d’anodin (bon dans le cas contraire (me dzmvous le sauriez, et je ne vois pas ce que ça aurait pu être… par contre c’est chouette une déchèterie où on n’est pas obligé d’avoir une carte d’abonnnement)