Table des chapitres :
Supporter
La salle de cours presque entièrement remplie exténue mon attente folle. Un mobilier précaire et obsolète : de pauvres tables bancales bordées de chaises à pattes malingres en tubes verts. Griffées, balafrées. Une école primaire de quartier nord pour enfants trop longtemps grandis. L’été immobile étouffe depuis plusieurs jours interminables, bien trop clairs et brûlants dans le décor gris minable. Quelques trous à l’endroit des derniers sièges vacants. Bruits de fond, murmures.
Les bâtiments béton, les couloirs béton. Les affiches de l’UNEF, celles du CROUS, les soirées. Devant, sur l’esplanade, les rails du tramway cisaillent l’empreinte morte de pelouse recuite, brindilles desséchées et poussière. Terminus Université. La presque périphérie. Cargaison d’étudiants. En certains rêves parfois une bibliothèque fantôme derrière d’immenses baies vitrées : la nuit agrandie flotte autour des taches de lumière à l’intérieur.
Serrés, pas d’espace. Les frottements et raclements sur le plancher sonore – (pieds d’humains noués à ceux des tables et des chaises) – les commentaires chuchotés – occupent par instants toute la place, enveloppent les visages concentrés derrière les écrans des ordinateurs portables. Je me sens naïf et si vieux. Désemparé.
La voix précise et très légèrement nasillarde – avance toute seule : une mécanique adroite et fluide, inexorable, son jeu d’engrenages. Le flux régulier des mots comme des sésames, suites ininterrompues de révélations étincelantes, de cascade en cascade, comme enfant naissent les choses du monde et jaillissent les histoires des hommes. Mais parfois les vagues trop fortes renversent : alors rouler, ramper épuisé sur le rivage – haletant, déboussolé.
Il ne lit pas ses notes, tout au plus un regard distrait : une feuille retournée et écartée machinalement ; sa ferveur patiente est perceptible : la théorie ça sert à supporter des gens qui autrement seraient insupportables. Nous tous réunis pour les visages brisés de l’humain et ce que supporter veut bien dire. Propos du transfert.
Je ne veux pas risquer de perdre une parole. Bien-sûr la surdité totale de l’oreille droite depuis l’accident, plus encore la tétanie familière, esprit et corps saisis : désir insensé de comprendre « totalement » – en rêver à la folie – peur de me perdre à jamais dans le brouillard infini de ce que je ne saurais entendre.
Je m’approche de lui au premier rang. Sans souvenir précis, sans même m’en être rendu compte. Happé. Face à face. Entre nous la simple largeur d’une table. Je fixe sans voir cette bouche fine d’où glissent les mots étourdissants. Il s’arrête, puis : laissez-moi s’il vous plaît un peu de place.
Derrière moi les épaules des rires et leurs soubresauts.
Clément Personne
Clément est né le 3 Décembre 2005. Sa vie associe étroitement la plus grande banalité à une stupéfiante étrangeté au monde qui lui a valu le qualificatif « d’extra-terrestre ».
Biographie :
Clément Personne est né à Josselin (Morbihan) une petite bourgade de la région Bretagne, célèbre pour ses aboyeuses et son château. Il y passe la majeure partie de son enfance et y suit un parcours scolaire chaotique et écourté, qu’il décrira par la suite comme éprouvant… Ses parents, Pierre et Amélie, tous deux proches dans leur jeunesse de milieux punk , se sont mis en couple dans les années 2000, peu temps après une courte période de vie communautaire et d’activité intense à Vannes (56). Ils se quittent, une dizaine d’années plus tard, d’un commun accord, sans conflit ni animosité particulière, après avoir fait le constat d’un souhait partagé de reprendre leur liberté face au désenchantement de leur vie commune, émoussée et rétrécie par les difficultés financières et la constante faillite de rêves communs. Il a environ 6 ans lorsque tous deux décident de se partager la garde alternée de l’enfant ainsi que celle de son frère aîné de deux ans Roman, lui-même relevant, aux dires de Clément, d’un parcours « atypique », sans qu’il soit possible d’en comprendre précisément les raisons. Clément disparait sans laisser de traces après la fin de son service civique, qu’il effectue dans un EHPAD privé en 2020. Il y travaille aux côtés d’une animatrice et découvre à la fois la cruauté du vieillissement, la dureté impitoyable des exigences de rentabilité, mais aussi une vraie curiosité pour les relations humaines et les histoires de vie. Il envisage à l’époque, quelques semaines avant la fin de sa mission de s’engager dans l’armée, bien que détestant l’autorité. Il se présente précisément pour ces raisons, comme un cas social et ajoute qu’il a longtemps souffert de harcèlement à l’école parce qu’il avait la crête, école par ailleurs jugée par lui inutile et de peu d’intérêt pratique. Alors qu’émerge une conscience politique sans aller jusqu’à la rébellion, Clément découvre également le monde de la Rave party. Il semblerait cependant qu’il n’ait participé qu’à des rassemblements locaux dans lesquels il se rendait en stop.
Il a été vu pour la dernière fois dans le parking d’un Mac Donald à Clermont-Ferrand, au crépuscule, avec un sac à dos.
Notes et références :
Les bulletins scolaires de Clément font état d’un enfant puis un adolescent très sensible et peu adapté à la vie scolaire. Il est fréquemment victime de moqueries auxquelles il répond par de longs mouvements de retrait. En d’autres occasions il provoque de façon imprévisible les remontrances des adultes et les chahuts dont il se retrouve victime. Ces importantes difficultés motivent le choix d’un apprentissage également rapidement avorté puis l’engagement dans le service civique.
Un conducteur qui l’a pris en covoiturage rapporte des propos stupéfiants donnant l’impression de voyager aux côtés d’un extra-terrestre
Sylvie une compagne de rave party constate que Clément, s’il avait une appétence pour la musique tekno (particulièrement le DnB) et les drogues douces, se défendait d’avoir jamais recours aux drogues dures, chimiques, destructrices. À l’extrême rigueur lui dit-il peut-être un jour les champignons.
Sans aucune explication précise, si ce n’est les déclarations de personnes l’ayant brièvement côtoyé au hasard de rencontres variées (auto-stop, rave-party) on relève, associées à cette impression d’étrangeté, un antagonisme entre une immense fragilité et une présentation débrouillarde, une apparente maturité et une innocence primordiale, une franchise dépourvue de retenue comme si aucune méfiance ne pouvait ou devait s’exercer à l’endroit de l’autre.
Jour de joie chez les Duton
Les Duton (Bill et Valérie) vivent depuis des décennies dans la même grande maison de famille. Trois ou quatre chambres défraîchies, le salon vieillot avec son faux foyer de chauffage au gaz, ses deux fauteuils, son canapé trois places, (cuir terni et râpé) – la salle de bain et les WC équipés avec les barres et rehausses pour faciliter la mobilisation. Les chambres sont maintenant toutes inoccupées sauf la leur – pour monter à l’étage l’effort s’accentue, presque de jour en jour, même en s’agrippant à la rampe. Depuis la fenêtre de la cuisine vue reposante sur le grand jardin et sa pelouse impeccable, impitoyablement domestiquée par un engin circulaire infatigable – cadeau de Paul. Au milieu de tout ce vert profond l’abri en bois pour les outils rarement utilisés, la petite serre vide et l’ancien poulailler. Enfin la cabane avec les cages aux oiseaux. Bill aime bien y demeurer des heures en été, pour la tranquillité, rêvasser. C’est à la périphérie de Warrington. Quelque part dans le nord-ouest de l’Angleterre. En revenant de la gare (en tout point similaire à un décor de film de Ken Loach : grise et triste, de l’abandon sale, de la mélancolie poussiéreuse, ce jour-là pluie froide et fine) il faut traverser le centre-ville – bien longtemps que Valérie n’est plus passée par là : trop de circulation. Quatre-vingt ans passés elle conduit pourtant encore la petite Toyota cabossée, s’accroche becs et ongles à son indépendance, se bat leave me to it, I can manage ! you’ve got to know how avec la porte du garage bricolé (planches et tôles), que Bill a promis de réparer – mais rien n’est plus comme avant : Bill promet et bougonne, Bill n’a plus trop l’énergie, lui qui, pas si longtemps que ça, fonçait gung ho, une sorte d’argot idiomatique pour dire : « plein gaz en avant, faut pas traîner » et tout le toutim. Bill c’est le grand bonhomme dans le fauteuil aux accoudoirs éliminés, près de la porte du salon, les pieds dans les pantoufles fourrées, deux chats de gouttière assoupis sur le repose-pied. Toujours un commentaire gentiment moqueur, mi-figue mi-raisin, emballé entre rides taches de rousseur et sourire amusé. Cheveux et barbes gris, des lunettes à grosse monture métallique, regard bleu, pétillant et noyé, comme parfois les reflets sur l’eau d’été. Mais depuis plusieurs mois c’est plutôt l’automne voire l’hiver – la haute carrure amaigrie (il s’allonge comme une stalagmite pâle) le diabète et la canne, les dernières vacances au soleil rétrécies au fond du lit d’hôtel, covid ou autre saleté. Plus jamais. L’âge de ce qui se finit. Dans le train la cousine (Suzan) venue de l’étranger avec son mari. Elle a passé toute sa jeunesse de vacances avec Valérie. Comme dans la chanson : elles allaient voir passer les bateaux – mais dans le canal pas loin – le nom j’ai oublié. En tout cas ça tuait les heures, et elles, c’étaient comme qui dirait deux sœurs. Quand elles s’en parlent avec tous les souvenirs qui remontent Suzan part dans de longues rasades de rire, elle renverse la tête en arrière, ça vient et jaillit de loin, une sacrée blague – autant de pris au monde, et surtout pas s’en priver, un mot un regard n’importe quoi relancent… À chaque station, (au moins quatre ou cinq) ça arrivait : des endimanchés en costume pour les hommes, descendaient des canettes de bière, drôle de contraste, et les femmes en grandes toilettes fines et décolletées, comme seules les anglaises, pourtant un temps sacrément frisquet, bleues de froid sans même avoir l’air de remarquer. La cousine s’est demandée forcément, étrange quand même tous ces gens qui vont à un mariage en prenant le train, et l’étrange s’est agrandi à chaque nouvel arrêt quand d’autres encore montaient, sapés pareils, grandes tenues de fête, jusqu’au moment où… Valérie est venue les chercher à la gare accompagnée de Liz, la femme de Paul, le fils aîné. Une Toyota encore, blanche et cossue, dedans comme dans un fauteuil, pas le même modèle ! Il a fallu démarrer vite fait ! – pas le temps de prolonger le stationnement illégal, juste les embrassades et pendant le trajet les mémoires et questions des coins traversés – tout ce qui change – et Bill comment ça va ? Suzan a profité (si je peux dire !) de l’occasion d’un enterrement pas loin, est venue pensant on sait jamais trop combien il en reste du temps qui s’égrapille. La part des choses indicibles qui circulent dans l’envers de ce qui se raconte. On s’arrête d’abord chez Paul, enfin son tout nouveau magasin de matériel de jardinage et motoculture, vente-entretien-réparation. Un grand costaud, digne fils de Bill, même si tous les deux ça a été plutôt tendu pendant longtemps, va savoir pourquoi. Il y a peu Paul a demandé à son père ce qu’il pensait de son entreprise, et de ce rêve qu’il avait réalisé, devenir son propre patron. Bill a dit qu’il était fier de lui. Quand elle raconte dans la voiture Valérie retient les trémolos, genre matter of facts mais on sent que ça la remue profond qu’ils se enfin soient trouvés tous les deux. Paul lui aussi c’est dans le sang le gung ho. Toujours à essayer du nouveau, filer des coups de main de tous côtés. Avec Liz ils vont aider un copain à déménager, on les reverra aussitôt après. Ils habitent une maison en briques eux-aussi, juste en face de chez Bill et Valérie, la route à traverser. L’une ou l’autre font un saut (pop in) chaque jour, et souvent plusieurs fois. Avant de repartir Liz va de la cuisine au salon avec un vase (pour les fleurs de Suzan) des chaises des tasses de thé. Après son départ Valérie (la cousine l’appelle Val) dit que Liz est un vrai trésor, très attentionnée, toujours à vérifier qu’ils ne manquent de rien. Bill rit, elle fait ça pour tes sous (l’histoire du temps qu’il reste et qu’on ne sait pas, qui s’apprivoise par petites touches comme on appâte un requin trop gros derrière la cage des mots, pour avoir moins peur). Suzan maintenant raconte le train, sa surprise toujours plus, jusqu’à ce qu’un voyageur amusé : mais vous ne savez donc pas ? Aujourd’hui c’est le Grand National à Liverpool, ceci expliquant cela.
La maison de Bill et Valérie est froide et humide. On ne chauffe presque plus depuis l’explosion des prix : électricité gaz fuel. On ne décore plus, on ne repeint plus – pas tant par manque d’argent ni de goût ni même d’énergie mais par laisser filer doucement vers une conclusion qui s’approche ; plus d’envie de relancer la machine : la laisser courir sur son erre, poser doucement la quille sur la berge… Aujourd’hui pourtant la sonnette retentit sans cesse, un vrai accueil de fête, comme on pratique chez les Duton. Entre le deuxième fils, David, grand aussi mais maigre. Moustache discrète, polo rose. Pas le gung ho de Bill et Paul, tout boîte un peu chez lui dans l’à peu près du comme je te pousse, une vie de guingois. Il a récemment acheté une maison bon marché, à hauteur de ses moyens, depuis c’est d’une emmerde à l’autre, la douche fuit, va retourner réparer… Suivent les deux filles et leurs maris, leurs enfants, le plus grand avec sa copine, vont partir danser. Tous sur des chaises et tabourets dépareillés. Parlent, rient. Un grand cercle joyeux autour de Bill et Val ; les plus jeunes osent pour la démonstration les bouts de français qu’ils ont appris à l’école, là-bas que la cousine est partie suivre son mari. Les conversations entremêlent bouts de souvenirs et questions, éclats de rires et grandes évocations. Peter, T-shirt, tatouage sur le bras gauche, musclé (le mari de l’aînée, Gill, a dit un jour à Bill : c’est toi mon père aujourd’hui que le mien n’est plus) prend un immense selfie collectif l’appareil photo à bout de bras. Il tourne lentement sur lui-même, grimace devant son fils incrédule et hilare. Il va bientôt prendre sa retraite de Chief Inspector, (il y a eu un cadavre dans les bois autour, aussi quelques-uns dans le bitume de l’autoroute lorsqu’elle était en construction, des enquêtes intéressantes !) quelqu’un lui suggère une deuxième carrière de truand vu qu’il connaît tous leurs trucs – explosions de rires.
Après c’est plus calme. Ils sont repartis, un reflux – une grosse vague – espérant se revoir – promettant une visite – qui sait ? Bill a faim et puis faut pas trop jouer avec le diabète ! C’est maintenant que Val sort la Toyota cabossée du garage leave me to it… Dans le pub habituel Bill commande les bières et les fish and ships – une sorte de dette a épurer : you treated us well when we came to visit you. Tout d’un coup des cris des vociférations. Les chevaux s’élancent sur l’hippodrome, sautent les haies. Suzan dit que chaque année c’est dramatique, certains tombent, se blessent. Que parfois elle se souvient qu’il a fallu en abattre. Mais on a changé le système des haies, elles ne provoquent plus de chutes… Un cheval sans jokey envahit l’écran, déborde tous les autres par la droite, s’élance en-tête au-dessus du dernier obstacle. Pourquoi continuer de courir, écume aux naseaux, jusqu’à la fin ?
Bill : c’est probablement la dernière fois qu’on se voit – Suzan : pas la peine d’être aussi morbide ! Ils s’éloignent dans la Toyota cabossée, la salle d’attente est toujours aussi grise et triste sous la pluie fine, mais c’était un jour de joie chez les Duton.
Bill
Des années que le fauteuil défraîchi a planté son ancre dans la moquette (usée aussi) juste à côté de la porte du salon – passage étroit vers la cuisine après la traversée du petit couloir d’entrée. Bill y passe maintenant des heures entre les dernières traîtrises de l’âge et les faiblesses du corps, celles que l’on anticipe sans pourtant les connaître vraiment. On s’y attend à moitié, sans y croire mais quand même pas si naïf, un jour te tomberont dessus – les scénarios diffèrent mais le résultat s’impose : composer avec tous les nouveaux « sans » qui multiplient au loin leurs petits feux incertains – des lanternes d’abord imprécises s’approchent et chaque jour s’intensifient : encore moins de force, un peu moins d’énergie, sans grande envie, sans enthousiasme – sans regret (mais ça on n’en sait trop rien, Bill ne s’épanche pas sur le spilt milk, ce qui est arrivé est arrivé, on ne détournera pas la rivière de son lit, ni ne se baignera deux fois etc… faut bien continuer de…) Avec Valerie ils restent parfois des heures sans parler – entre eux une brume impalpable de souvenirs et de visages – inépuisable compagnie – et parfois les commentaires de la vie des unes et des autres de la famille. Quand Bill bougonne et ironise gentiment c’est sa pudeur maladroite à remuer toute cette pâte qui ne trouve pas la forme des mots qu’il faudrait savoir dire. Bill c’est plutôt du genre ancien costaud qui, il y a longtemps, a quitté la chaleur étouffante de la mine pour l’échanger contre tous les bons et mauvais temps dans les parcs municipaux. On lui voit encore en surimpression la silhouette du géant. Comme une aura. Gong Ho.
C’est à un bruit, une façon de marcher ou de parler, une intonation, la pression d’une main sur son épaule que Bill devine chaque nouvelle entrée. La vie pousse en continu, coule le long du fauteuil comme il a vu en vacances l’océan autour des récifs ou l’eau couleur rouille contre le flanc des bateaux dans le canal. L’eau glisse encore, dépasse, d’un coup tourbillonne, referme ses bras tièdes autour de son cou, embrasse. Bill sent le parfum sucré, remarque la jupe courte, Bill sourit. « Ah tu es venue nous voir avant d’aller danser ! –Tu es gentille ! mais pour sûr, ça te passera avant que ça me reprenne ! »
Impossible de dire quand il a commencé cette incessante pesée des choses. Une habitude venue à pas de loup avec les ombres. Toutes les heures dans le fauteuil à laisser grandir le crépuscule sans allumer – pas une affaire d’économies ni de tristesse. (Un moment que j’aime bien dirait Bill.) Une façon de tout regarder filer, pas trop explicable, une palpitation du temps intérieur qui s’ouvre et se referme doucement, se dissout en noyant le trop vite et trop fort du dehors. D’un côté le monde interne, ses voix et ses images qui rappellent et appellent – de l’autre tout le sans prise infini qui s’enfuit et disparaît derrière la vitre. La vie incompréhensible des autres, une bousculade insensée, de plus en plus imperceptible, comme une rumeur et sa fatigue pour effleurer les passants fugitifs du bout des doigts…
Le jour où Paul est venu Valérie a senti qu’elle devait les laisser tous les deux. Des années qu’elle attendait sans rien comprendre, qu’elle faisait les remarques, plaidait, essayait de raccommoder les accrocs survenus sans raison aucune à pointer du doigt. Peine perdue. Entre ces deux-là, deux si pareils pourtant, des forces et des mots qui ne trouvent pas leur voie, (mais les mots et les phrases c’est une chose, ce qu’ils peuvent trimballer du minerai d’affection dans leurs wagonnets accrochés les uns aux autres, ç’en est une autre.) De la cuisine elle les a entendus se diriger vers le jardin. Ils se sont arrêtés devant la cabane aux oiseaux. Elle a vu Paul parler silencieusement, bien droit face à Bill, en faisant des gestes avec les bras, qui s’arrêtaient tout empêchés, à mi-chemin, comme englués dans l’air pourtant léger de l’après-midi ; il faisait beau, c’était la première fois depuis longtemps.
Paul n’est pas resté longtemps ce jour-là. Son nouveau travail le prenait beaucoup. Quand il est parti son see you tomorrow then tremblait d’une drôle de manière. Valerie a pensé aux frissons de l’eau quand le vent pose ses empreintes dans un sens puis les brouille et efface d’un coup dans l’autre. Bill est retourné dans son fauteuil, il regarde sans voir par la fenêtre ; elle voudrait demander mais elle se retient, ça n’est pas facile pour elle.
Bill depuis son fauteuil a vu s’arrêter la voiture blanche de Liz. Il a reconnu sa façon unique de fermer la portière en la retenant pour éviter de faire claquer, son pas vif. Valérie depuis la cuisine lui a dit d’entrer et maintenant elles parlent doucement. Liz raconte le retour de Paul la veille, comme s’il avait grandi encore un peu, puisant de la force de Bill entre ses bras. Dans son fauteuil râpé Bill sourit doucement. Maintenant le soir commence vraiment à tomber.
Il faut poursuivre.
c’est bien prévu même si pas strictement dans les clous temporels des propositions ! Merci du message !
J’aime bien cette découverte du personnage par petites touches de couleurs incertaines. Ça dessine un homme en relief, avec des zones d’ombres, des parties encore cachées dans lesquelles l’imagination sommeille encore. J’aime.
Merci du passage et idée que toutes les découvertes c’est un peu ça, finalement, par petites touches mouvantes et approximatives…
Jour de joie chez les Duton. Et c’est déjà toute une histoire, des personnages ! Le titre me fait penser à ceux des nouvelles de S. Plath, programmatiques, un imaginaire en soi.
ah oui ! En fait le titre est venu à la fin mais j’aime assez le clin d’œil programmatique !
ça « pop » ? ça balaye? ça virevolte … On entre vraiment quelque part avec les deux Duton puis ça démarre, ça surgit, on croise du monde, on rassemble qui est qui avec ( on raboute des choses un peu usées, des bouts de souvenirs ça boite ici et là et en fran/glais s’il vous plait) . De la vieille maison de famille en brique jusqu’au cheval sans Jockey (« la part des choses indicibles qui circulent dans l’envers de ce qui se raconte ».) plus que matière à une « petite nouvelle » Merci Jacques