Entre ciel et terre, là où se dessine, à force de repli, un morceau de paysage en ruine, elle cherche un lieu où se tenir, une assise où capturer l’horizon. Plus haut un hameau perché sous la crête, plus bas les méandres de la vallée où tout se perd. Là, le lointain et le proche où tout fait relief, mais aussi où tout parait flottant, entre plein et vide. À l’ourlet de la forêt, lorsqu’il faut ajuster le regard pour recevoir la lumière qui pénètre la clairière, elle distingue une silhouette, à peine se détachant de la roche schisteuse où elle semble adossée. Un homme, grand, trop grand, serti de vêtements sombres. Au fur et à mesure qu’elle se rapproche, elle distingue un visage sombre aussi, aux traits informes, piqueté d’une mauvaise barbe. Il se tient immobile, comme fossilisé et ne faisant qu’un avec la pierre. Le vent, celui qui agite en tous sens les branches d’arbres, s’interrompt un instant, comme pour laisser les voix aller à la rencontre l’une de l’autre. Les bonjours de politesse échangés, elle s’enquiert auprès de ce personnage, dont le regard vient de se poser sur elle, de la présence d’une œuvre d’art, qui d’après le dépliant qu’elle tient entre les mains devrait se trouver installée sur ce chemin, le chemin des lauzes, où sont disséminés des regards d’artistes sur ce territoire, au travers d’œuvres qui se veulent écho au lieu qu’elles investissent. C’est alors le silence qui répond à sa requête, puis une voix grave, lente, pesant chaque mot, comme si elle hésitait sur sa capacité à émettre des sons articulés, comme si cela faisait des millénaires que rien n’était sorti de sa bouche, et qu’il fallait réapprendre à parler, cette voix donc indique, sans que ne bouge aucune autre partie du corps, la direction à prendre: le coude…après… à droite…au bord… tout près. Le regard de l’homme, après cet effort, reprend sa quête d’infini, flottant vers l’autre versant du paysage à l’avenir incertain, plein d’enfrichement et de lointain, un territoire d’abandon où gagne un vert de plomb, noué à la grisaille des schistes. N’osant poursuivre la conversation, elle remercie, suit les indications de l’homme, et trouve l’œuvre d’art souhaitée: deux sombres silhouettes de bois noirci, brûlé sans doute, de plus de six mètres de haut, sans âge, sans visage, sans bras; puissantes, elles semblent faire office de guetteurs plantés là sur le socle d’un rocher, silencieux et figés, comme des spectres face à l’éternité. Elles invitent au silence.
Après quelques photos pour faire mémoire, et remettant ses pas dans le sens du retour, elle cherche l’homme adossé au rocher, afin de l’interroger sur l’absence d’une des trois statues monumentales qui étaient censées être érigées là, alors que deux seulement sont dressées. Mais l’homme semble s’être évanoui, plus aucune trace de sa présence comme si elle avait rêvé cette rencontre, comme si elle avait inventé cette scène quasi muette. Tout en bas la vallée n’en finit pas de s’enfoncer, tout en haut le hameau se cramponne au relief schisteux et à l’appel du vide. Encore plus haut, c’est un embroussaillement de nuages gris qui calfeutre ou écrase. Elle reprend le chemin du retour, ne pouvant s’empêcher de se retourner de temps à autre, à la recherche de la statue disparue ou de la silhouette de l’homme. Il était vraiment trop grand, se dit-elle. Dans l’épaisseur de la forêt qui la reprend, un boisseau de sentiments étranges l’enlace: et si…non… mais ce n’est pas possible…
je t’ai suivi du premier mot au dernier, du premier pas jusque dans l’épaisseur de la forêt
personnage rêvé, égaré, inventé… n’importe, l’histoire nous a guidés jusqu’à nos propres personnages campés dans la ténèbre
bien à toi, chère Solange
Merci Françoise pour ton regard toujours chaleureux et dynamique!
J’aime l’irruption du fantastique dans ce paysage flottant « entre plein et vide ». Et comme le dit Françoise, nos personnages y sont invités. Merci Solange.
Merci Jean-Luc d’être venu partager mon errance dans ce paysage entre deux mondes…
vous l’aviez rencontrée la troisième statue en accord avec ce paysage… mais elle avait poursuivi son chemin – peut-être était-elle devenue le paysage
Comme un conte, comme un songe, et la photo est superbe, merci.