#nouvelles boucle 2 #03 Famille de gauche

Martha (ce n’est pas son vrai prénom, mais elle avance masquée car sa démarche est secrète), Martha donc voudrait constituer une liste pour les prochaines municipales. Dans deux ans certes, mais il n’est pas trop tôt pour s’y préparer. Il reste à peine dix-huit mois. Une liste de gauche, pas seulement de mécontents. Pas anti-écologistes, pas opposés aux logements sociaux, pas opposés à l’intercommunalité, ayant la fibre de  l’intérêt général et de la démocratie. Trouver cette famille n’est pas simple. Elle sonde, imagine des tests, court les réunions publiques. Peu se dit, peu transpire des véritables aspirations des uns et des autres. Les cathos sont nombreux, mais peu de gauche. Les bénévoles des différentes associations, très prudents, dévoués à leur boutique et méfiants. Et puis, il faut qu’ils aient du temps, pas d’enfants trop petits, pas de vieux parents en EHPAD à l’autre bout de la France.

Elle rêve d’une vie municipale animée où l’on discuterait, s’échapperait, bouderait, ferait sécession, se raccommoderait comme dans les familles. Depuis les derniers votes des budgets (au 15 mars 2024, date limite), les choses bougent dans certaines communes : un maire mis en minorité, un autre qui prend ses distances sans démissionner, ses colistiers qui passent à l’opposition. De la vie, de l’action comme dans une vraie famille.

Elle pense à Gregory, un amoureux de la nature (il cultive des truffes) et un artiste qui a encore des enfants en bas âge, sportif aussi (il pratique le hand avec ses enfants dans la commune d’à côté). Il faudrait une ou deux de ces amoureuses des livres, bénévoles à l’esprit ouvert, Chantal et Magali feraient l’affaire, un ou une bonne connaisseuse des techniques budgétaires, solides qui puisse tenir tête au comptable, Solange peut-être qui fut un moment première adjointe, Frédéric bon connaisseur de la réglementation administrative et ayant ses entrées un peu partout dans les communes avoisinantes et la métropole. Jean Paul aussi, l’ancien policier municipal, qui séduisait tellement les enfants à qui il apprenait le code, mais qui possédait aussi une arme à la ceinture et des menottes (il n’a plus le droit de les porter, il reste une figure). Un ou une joyeuse drille, comique, aimant la fête et qui ne boit pas : Anne Marie peut-être. Et André, il faudrait trouver une place à André, le modèle du bon voisin, promettant beaucoup, ne tenant pas grand-chose, mais capable d’affronter n’importe quel conflit avec le sourire et des promesses. Huit ! Elle n’y est pas encore, il en faut vingt-trois, mais ça pourrait suffire pour pourvoir tous les postes d’adjoints, à charge pour chacun de solliciter des petites mains. Un ou deux chacun, cela fait plus qu’il n’en faut. De celles et de ceux qui ne s’expriment jamais, mais ont du temps et des oreilles pour sentir l’air du temps.

Pas d’artiste, surtout pas ! Surtout pas de femme ou d’homme de théâtre, trop personnels, trop beaux parleurs, trop entichés de leur art. Une écrivaine peut-être ou un photographe bien qu’ils aient fort peu de temps à consacrer aux autres. Il faudrait des gens dévoués à la chose publique, mais que le pouvoir tente : un budget, des équipes à manager, cela vous fait un CV en or pour dépasser cette carrière de commercial (haut de gamme, mais quand même) dans laquelle il s’enlise. Jérôme, Christophe, ou François, la petite cinquantaine, le moment où l’on rêve d’autres horizons. Non pas Jérôme, le passionné des réunions qui ne commencent pas avant 20 h 30 au motif qu’il revient de Paris ou d’Ottawa. Des sédentaires, c’est mieux. Un agriculteur peut-être. Ils ne sont plus que deux ou trois et il n’y a plus à craindre leur faim de terre. Tout est zoné, contrôlé et avec le ZAN ils luttent contre l’artificialisation. Oui, Christian serait bien (je parie qu’on ne le lui a jamais proposé). Ne pas oublier le vivier de celles et ceux qui s’occupent des enfants et des vieux. Des trésors de dévouement qu’on oublie et qui feraient entendre une autre voix, une autre chanson. Sylwia, Martine, Cathy.

Cathy et Jérôme dans la même équipe, elle aimerait voir ça Martha. Cathy, elle n’a pas sa pareille pour dire leur fait aux petits messieurs qui se croient parce qu’ils habitent une maison à 1 M€. Il ne faudrait pas beaucoup la pousser si elle se savait bien protégée par son statut de conseillère, et comme elle les reprendrait ces morveux de gamins de Jérôme.

Martha rêve. Elle se verrait bien en 1793 quand le peuple avait la parole. Martha lit trop d’histoires, elle est Evariste Gamelin des « Dieux ont soif » ou plutôt Gauvain contre le marquis de Lantenac dans « Quatrevingt-treize ». une histoire de famille, on en revient toujours à ça, même à deux siècles et demi de distance.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

6 commentaires à propos de “#nouvelles boucle 2 #03 Famille de gauche”

  1. Décidément cette Martha, on la retrouve aussi chez toi et ça m’amuse. Je l’ai appelée tout un temps Mathilde, mais le fait qu’elle se réincarne autrement dans ces écrits collectifs de Tiers Livre me met la puce à l’oreille. Il n’y a plus qu’à gratter ? La mienne ne fait pas de politique, en tout cas pas avec un « encartage » de circonstance. « Mourir pour des idées… Moi j’ai failli mourir de n’en avoir pas eu… Elle a grandi à l’école rebelle de Georges Brassens, puis de Maxime Leforestier  » J’avais tout juste18 ans, quand on m’a mis un béret rouge, et qu’on m’a dit tire dedans tout ce qui bouge, parachutiste… » Je vois tout de même chez toi la femme de conviction, l’enrôleuse bon train, celle qui pourrait devenir bergère dans les alpages et choisirait soigneusement les cloches de ses brebis premières de cordée et se méfierait des béliers… Bon, je m’amuse… Ce qui est fantastique dans ton approche des moeurs de ta cité reconstituée, c’est de découvrir la difficulté collective à remobiliser les énergies pour construire quelque chose de consensuel a minima. Comme dans la vie associative, ce sont toujours les têtes de pont qui se mouillent le plus jusqu’à épuisement parfois. Il faut parfois avoir une adversité commune pour relever les manches en même temps. Entretemps beaucoup de déceptions , de trahisons , de découragements, quelques belles réalisations qui durent un temps ou plusieurs… Et beaucoup de paperasses aujourd »hui numériques… Martha ressemble à ces nouveaux profils d’entrepeneuses en management humain… Elle y va … Elle y croit… On la croit ? Dommage qu’elle veuille se passer des artistes, elle aurait pu garder quelques brins de fantaisie dans sa vie…

    • Merci Marie Thérèse. Pas se passer de tous les artistes, des comédiens seulement…je suivais le fil de mon inspiration (et de mes lectures actuelles sur la terreur): deux théâtreux Collot d’herbois et Dumanoir firent souffrir la commune affranchie…
      C’est une marche d’approche !

    • Coucou Jacques, contente de te voir là. je ne sais pas si ton commentaire s’adresse à mon texte, mais peu importe. Je ne lis pas souvent les autres (en plus, la formule de FB avec des sommaires incomplets, vacillants n’arrange pas les choses), ne suis plus les zoom du lundi…Je continue à écrire ce que la consigne fait sortir de mes préoccupations du moment

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