Néguentropie
Bouquet de leur mariage, lourd vieux fer à repasser, tisanière-théière qui maintient au chaud, soupière ébréchée, pot à tabac, angelot doré à la feuille, bougies parfumées, diffuseur d’huiles essentielles, support d’éprouvettes, grande plume d’oiseaux, coq en forme de balle de golf, surmulot en plastique, lampes Berger, thermostat du chauffage : la liste est longue de ces objets dont je m’absente désormais. Ils m’entourent, agacent mes yeux, encombrent esprit et espace. Ils me disent mort ou du moins me rappelle avec insistance le deuxième principe de la thermodynamique. Aussi je ne les touche pas, ne les déplace pas, ne m’en débarrasse pas. Ils demeurent ce qu’ils sont à la place que le temps leur a donné. Ils ne m’appartiennent plus. Ils sont là. Je suis ailleurs. Avec ces objets rares qui me disent vivant, encore vivant : homme debout miniature de Giacometti, écorce d’arbre rencontré, bateaux de papier, chaussures et vêtements laissés, flacon de parfum, des écritures dans ses peintures.
Acqua in bocca
Ceux qui apaisent, rassurent, s’imposent comme un doux habit de laine protège des froides morsures des bruits, rares et si précieux silences pour nous dont les oreilles n’ont pas de paupières (Michel Chion et/ou Pascal Quignard, au choix). Et puis l’immensité effrayante, incommensurable, de tout ceux qu’il faudrait savoir, pouvoir, rompre : secrets des familles, interdits, non-dits, omerta, tabous, indicibles. Abyssal volume de silences toxiques que l’eau dans la bouche occulte, interdit de cracher. On ne dira jamais assez ce que les polyphonies doivent au concert de grenouilles. Le sac gulaire qui manque aux gorges humaines suffirait-il à ne plus nous étouffer de silences ? Rien n’est moins sûr !
Toujours si percutant! Le chant des grenouilles creuse nos silences. Merci Ugo
Ugoe, ta conception du chant corse me fait bien sourire, mais tu connais mieux le marigot que moi. Les silences que tu suggères sentent la poudre de fusil et je suppose que les grenouilles ( de bénitier) savent à quoi s’en tenir. Jurer cracher en même temps fait partie du cirque. Et il est vrai que le silence corse, les impacts de balles dans les panneaux routiers et les peaux de sangliers accrochées aux fils barbelés dans le maquis n’est pas ce qui est le plus rassurant. Heureusement , il y a la Piétra, le Brocciu, les animaiux en semi-liberté et la vigilance funéraire des asphodèles au milieu des tombeaux blancs isolés. On se dit que rien ne peut arriver, on se dit le contraire aussi, et le retour au camp de base avant la nuit se pratique dans un soulagement non feint. O Corsica…
Sous les silences, les non dits, le torrent de la colère gronde.
Merci Nathalie, Marie-Thérèse, Stéphanie de vos passages. Merci de vos retours. Merci de vos textes qui souvent, très souvent, m’ouvrent le chemin.
Je voulais prélever ce qui me plaisait dans le premier texte, mais cela devenait de plus en plus long, s’absenter des objets, ne pas y toucher, ils me disent vivants, ils demeurent ce qu’ils sont à la place que le temps leur a donné, bref je garde tout, et merci aussi pour la citation des oreilles qui n’ont pas de paupières.
( ils me disent morts ils me disent vivant ) c’est ce qui est beau dans le texte d’Ugo le mort et le vivant!
Les images parlent, fort.
« . Ils demeurent ce qu’ils sont à la place que le temps leur a donné. » oui
et sourire un peu de travers aux polyphonies (que tant aime)