#versuneécopoétique #01 | dormir à la belle étoile

Je confondais Joan Didion et Annie Dillard. Ou plus exactement, j’avais du mal à imaginer Joan Didion passionnée par Thoreau, ce qui est le cas d’Annie Dillard. J’ai tapé « Joan Didion et Annie Dillard » dans la barre de recherche pour m’apercevoir qu’il y avait des réponses, que je n’étais pas la seule à les rapprocher si ce n’est les confondre et que ce que j’aimais en elles deux c’était ce mélange de je et de considérations autres que leur vie affective. Je ne suis pas faite que d’histoires d’amours et de désamours, pas faite que de sentiments et d’émotions, j’ai aussi une vie factuelle qui se mêle à une vie intellectuelle. C’est cela mon intériorité et c’est d’elle dont je parle. Une enquête sur ma façon d’être au monde.

Toutes les nuits, en ce moment, nous sortons mon mari et moi pour défendre nos plantations contre les limaces. Il y a quelque chose de primitif et de bienfaisant dans ces expéditions. Comme un retour à l’antique besoin d’efforts pour conquérir sa nourriture qui m’évoque immanquablement l’ile nue, ce film japonais des années 60 du quotidien d’une famille sur une ile sans eau douce contrainte à des voyages incessants pour rapporter d’une île voisine l’eau qui fera pousser les plantes, qui me renvoie à un autre pan de ma vie et aux récits de colons tunisiens toujours en quête d’eau pour leurs cultures. Dans ces chasses, car ce sont des chasses, il y a aussi le plaisir de se passer de moyens chimiques pour lutter contre les prédateurs ; les moyens physiques de lutte, même s’ils conduisent aussi à la mort de l’autre être vivant, ont-ils plus de noblesse ? Un coût supérieur sans aucun doute pour nos sensibilités : saisir le gluant de la bête et la répulsion de ce corps mou, mais incroyablement musculeux et réactif, pour l’écraser du pied. Une dimension d’aventure , celle de la nuit dehors à la lampe frontale ou à celle du téléphone portable, le réveil du chien du voisin qui vient débusquer les intrus, la vie de la nuit, la rosée sur les pieds, les plantes dans le noir et la prédilection des limaces pour certaines, l’étonnement à les retrouver dans le persil alors qu’elles ne touchent pas aux plants de tomates, leurs ruses qui déjouent nos protections et leurs cachettes. Tout au fond de moi persiste pourtant l’interrogation de savoir si la défense de mes plants de pur agrément vaut la mort de ces êtres vivants ? J’y vais pour l’expérience de la nuit.

Vivre l’expérience de la nuit à la belle étoile, c’est ce que propose la ville de Lyon cet été au parc Blandan en cas de canicule Il ne s’agira pas d’un bivouac à la belle étoile comme en a connu le sergent Blandan « héros » de la conquête de l’Algérie, mort à 23 ans en 1842 après avoir résisté à la charge de 300 cavaliers arables (5 survivants côté français). Personne ne se souvient du sergent Blandan décoré de la légion d’honneur, statufié et sujet de tableaux de genre. Il s’agira de lutter contre ce nouvel ennemi qui s’appelle réchauffement climatique et rend les nuits d’été atroces dans les appartements urbains sans climatisation. Il y aura aussi 5000 places gratuites pour une soirée au cinéma pour les plus démunis. Que nous ayions créé nous-mêmes les conditions de notre inexistence sur terre et que nous persistions à refuser les arbres pour combattre les ilots de chaleur est un grand mystère. J’imagine pourtant ces nuits dehors qui pourraient devenir de grandes noces barbares dans le silence habité sous la voute céleste dans la fraicheur de l’air et le frôlement des bêtes qui seront bien étonnées de nous voir occuper leurs fourrés. Comment seront ces nuits dans l’herbe et sous les frondaisons : pleines de sons de tambours et de darboukas, d’odeurs de frites et de vendeurs de glaces, d’odeurs de shit et de rixes secrètes ? Comment s’organiseront les dormeurs ? Quel équipement, quel organisation, quelles précautions pour dormir dehors pour la première fois de leur vie peut-être comme des vagabonds en quête d’un monde nouveau qui ont tout à réapprendre. Il y aura des zones surveillées et les tentes seront proscrites indique la mairie.

https://admin.oic.production.nt2.ca/wp-content/uploads/2012/08/le_corps_pensant_coupe.pdf

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

4 commentaires à propos de “#versuneécopoétique #01 | dormir à la belle étoile”

  1. En ayant trouvé un alibi pour vos insomnies au jardin, je suppose que vous vous préparez à la canicule sous les étoiles. Les coquilles d’oeuf écrasées, la cendre etc… pour éloigner les mollusques squatters est une activité qui peut être diurne. Toutefois, l’espace Blandan accueille déjà beaucoup de Lyonnais.e.s en journée avec les enfants à roulettes , et je doute qu’on puisse y faire dormir toute la population du Grand Lyon et même du petit… Par contre, si on y creuse une piscine à toboggans et qu’on creuse un canal jusqu’à la confluence, on aura de quoi rafraîchir tout le monde.

    • Merci Marie-Thérèse de tes suggestions. Nous vivons une belle époque !

  2. un texte qui résonne ce matin où je suis dans l’attente de savoir si vais camper dans ma ville (sourire)
    aime cette chasse nocturne aux limaces

    • Merci Brigitte. Une tellement bonne idée cellede la ville de Lyon; en même temps la question de comment on en est arrivé là.