#02 histoire de mes librairies
Le premier souvenir de librairie, j’ai 4 ans et demi. Ce devait être l’Armitière, à Rouen, où, de passage, ma mère m’avait déniché un grand livre à découper pour construire des décors miniatures dans des boîtes d’allumette. Je me souviens des petits lapins endimanchés et d’un grand escalier en bois.
La primaire, c’est les tourniquets à poches dans la librairie-papeterie du bourg. Ma mère consulte d’un oeil expert la rangée de castor poche flammarion — ceux avec les nuages — jusqu’à ce que le verdict tombe : celui-là est pour toi. Longtemps j’ai cru qu’ils m’étaient destinés.
À l’adolescence, je plonge vite le nez dans ses poches à elle, où je découvre Irving, Kingsolver, Prévert. C’est toujours elle qui choisit — elle me protège, moi si sensible, de ses rangées de Bukowski.
18 ans tout rond, un décrochage scolaire m’emporte à Paris, où, par une série d’heureux hasards, je dégote un emploi dans une librairie quelques jours avant le 11 septembre. Je poursuis ma découverte des auteurs américains : Paul Auster, Philippe Roth, Richard Ford, Dorothy Parker. Je me passionne pour la cause afro-américaine. Je rapporte mes trouvailles à ma mère, je ne me demande pas si elle les lit. Je ne sais encore rien du temps qui distancie.
À la vingtaine, j’ai trois colocataires, tous libraires dans la même boutique. C’est la période BD-jeunesse, les piles de empruntées au magasin (chut), engouffrées dès le petit-déjeuner, jusqu’aux soirées trop avinés. De littérature à ce moment-là, je ne garde le souvenir que de Gary. Ma mère s’éloigne, se fait une nouvelle vie.
Dans mes rêves revient souvent l’image d’une librairie. C’est peut-être la mienne. Dans un village escarpé, près d’une rivière, une longère aux fenêtres éclairées. Je pousse la porte, ça sent le bois et les braises. Des bacs de livres sont empilés autour de tables à café. Peut-être que parfois, ma mère s’y installe, la clope au bec, les yeux vagues dans ses ronds de fumée.
#01 de l’art de ranger ses livres
Mes livres sont des souvenirs, je garde même les mauvais. Même mes erreurs de jeunesse, les S.P. du temps où j’étais libraire, je les cache discrètement sur l’arrière-rangée. Mais bon, le rangement, ça n’a jamais été trop mon fort, et les bouquins l’ont bien compris. Parfois, j’essaie vainement de les agglomérer sur la grande bibliothèque, par langue, par auteur, whatever, car si certains restent dociles, d’autres déguerpissent, les sauvages, dès que j’ai le dos tourné. Encore hier j’ai vu Plath et Mauvignier s’acoquiner sur le canapé, bien tranquillou collé serré, ça m’a un peu fait bondir, je m’y attendais pas vous voyez. Sur l’étagère juste à ma droite, ce sont mes livres de travail, au garde à vous, où deux japonais se sont récemment incrustés (!) ; quant à ma gauche, c’est Bergounioux que scrute, pour toujours y penser, entre un Picasso et un manuel des champignons français. Il n’y a que les livres des copains qui, eux, restent ensemble bien soudés, comme un sourire aux dents parfaitement alignées
« Il n’y a que les livres des copains qui, eux, restent ensemble bien soudés, comme un sourire aux dents parfaitement alignées. ». Très jolie trouvaille!
J’aime bien aussi l’aveu de début de texte(les livres planqués), parce que c’est toujours mieux quand on n’est pas tout seul avec nos petits ridicules 🙂
« Mes livres sont des souvenirs, je garde même les mauvais. «
Superbe !
Oui, je me joins à Natacha et Françoise, merci pour ces mots et cette fraîcheur dans votre écriture.
Merci à toutes pour vos passages, et vos mots encourageants !