Lécher la seiche du musée Calvet, tu trouves enfin de l’ombre et la couleur, c’est à Avignon l’été, la rue cuit. Dans la collection permanente, elle t’apparait – Lécher Soutine (pas Chardin) – Dans le petit coin gauche du tableau lécher ce vert déposé au couteau — Lécher un détail de Vermeer puis courir vers la mer, celle de l’Ile aux oiseaux — Goûter le petit pan de mur jaune et l’index qui pointe le tableau — Prendre un pinceau sur le bout de la langue, par le martre ou par le bois — Goûter une émulsion à l’œuf pour un bleu de cobalt ou d’outremer (un soupçon, en se cachant ) – S’enivrer de térébenthine et vomir — Sucer de la gomme arabique, s’empoisonner juste assez pour ne pas mourir — Remplir sa bouche d’écume — Aspirer la brume — inspirer un marais de décembre les pieds nus dans la poudre de sel et de gel — Mâcher une fleur de trèfle — Mordre dans le bras d’un nageur — Manger la douceur d’une épaule, goûter son sel — Lécher ou sucer chaque parcelle de ceci est un corps — Remplir sa bouche d’algues — Manger une feuille d’ortie puis deux hosties pour savoir jusqu’où sa pique — Mâchouiller du noir — Manger un crayon jusqu’au bout — Manger un livre — Croquer sa couverture — Mâcher une majuscule, éviter le K le X le Y, savourer longtemps le O — Gober un trait — Régurgiter la cuisine de Ginette Mathiot: le sourire et le fouet, le tablier et le chignon, le Pour tous et l’Épatant — Manger le C de cornichon à la Russe de la marque Polonia, le P de poulpe débité avec un grand couteau et cuit au bain pas celui de Ginette mais celui de Marie, le conserver sur l’étagère, dans un bocal de verre comme au musée d’histoires naturelles — Manger le S de seiche pas le O de son os —Le H de hareng de la baltique à l’aube de préférence — Lécher le C le O le A de confiture d’orange amère (celle de John P. avec un chat dessiné sur le pot de verre, et reçu par colis postal trois par an) le tout à la petite cuillère ou avec les doigts — Manger le P et le S de pain — tous les pains, et le S de soupe — toutes les soupes ; y casser parfois un œuf le regarder flotter comme une méduse opaque — Ne pas toucher au R de rutabaga trouvé sous la cendre et partagé en cinq derrière un réservoir d’eau croupie — Prendre la blessure sur sa langue, détester à jamais le goût de fer — Respirer les arômes de son jardin — Se nourrir d’immortelles de dune ou de maquis, les jaunes, remède à la mélancolie ou bien mâcher une feuille de verveine citronnée, refermer le livre et tirer un drap de lin sur l’abîme.
En annexe : recette de printemps — Avril 1963 ou 1964 à exécuter en plein air accroupi dans la terre les pieds nus dans des méduses qui cisaillent les orteils; être en robe blanche de préférence ou short tachés de chocolat et de myrtille — Ustensiles : bol ébréché, bassine en émail avec un fond moucheté blanc bleu, ciseaux à bout rond, cuillère à soupe, moule à flan, grand arrosoir avec sa rouille, corbeille et dans l’entrelacs des tiges d’osier les traces de moisi — Ingrédients : fruits abimés (tapés, blettes, flétris) dérobés dans le compotier à rebus de l’arrière cuisine, quelques biscuits sans importance les cassé du fond de la boite, pétales de pivoines les belles de quelques jours, pétales de coquelicots froissés, têtes de pâquerettes, brins d’herbe découpés aux ciseaux, eau de pluie un peu croupie . Incorporer terre sable eau. Mélanger suivant l’inspiration dans la grande bassine. Verser le tout dans le moule coquillage , décorer de pétales, j’oubliais les peitis cailloux … laisser cuire au soleil
C’est incroyable comme tout a un goût en lisant ton texte. Même sans avoir posé la langue sur la plupart des choses que tu décris, le goût m’en est venu. Magnifique.
Et moi aussi, je n’aime pas le goût de mon fer, la nature est bien faite.
Merci Cher Romain ( et ce non goût commun pour le fer me réjouit )
J’adore la partie manger la peinture, la gourmandise s’y déploie quasi à la folie, au tournis, et aussi la recette du gâteau, si souvent faite et regardée se faire, un invariant d’enfance, je suis moins sensible à l’alphabet gourmand, mais sans savoir pourquoi, mon manque de souplesse pour aller du cornichon à la confiture sans doute,
Cat
Merci du retour nuancé Catherine il fait réfléchir
le cornichon au poulpe à la confiture d’orange amère je ne le sers pas aux invitées
Quel talent vous avez Nathalie Holt. Alléchant, séduisant. J’en suis friand. Merci de cette savoureuse escapade : elle ne livre pas seulement des goûts, elle délivre des sens.
Merci beaucoup du retour Ugo .
Il se dégage de ton texte une allegrésse contagieuse. J’espère que tu as eu autant de plaisir à l’écrire que, nous lecteurs, avons à le lire. J’ai beaucoup aimé !
Merci de ta lecture Helena. « Allégresse » oh! Incroyable. Failli déclarer forfait devant la #P3. Elle bloquait cette proposition. Tout s’est un peu ouvert en allant vers la peinture …
l’annexe : vraiment très jolie…
Merci
moi aussi j’ai une délicieuse recette de printemps, merci pour cette réminiscence !
J’aime la dégustation des lettres, « mâcher les majuscules » et tous ces mélanges de goûts surprenants et poétiques.