Balcons
A travers les baies vitrées donnent directement sur le ciel et les cimes
des arbres.
Bloc
Le genou en sang incrusté de graviers, elle arrive hoquetante
au bloc opératoire (où son père, peut-être, opère un
jeune soldat revenu des Aurès). Il se trouve toujours une infirmière
compatissante pour nettoyer la plaie au mercurochrome rouge et confectionner un pansement de compresses et
sparadrap qu’elle arbore comme un trophée, témoin de sa lutte au corps à corps avec le monde.
Cécile
Les soucis terribles des années d’avant vingt ans, elle les affronte au
coude à coude avec Cécile.
(Voir aussi Pont)
Dylan
Ce type-là représente elle-ne-sait-quoi, un initiateur à la liberté du
langage peut-être. Elle est en cinquième lorsque son amie Sylvie le lui fait connaître.
Comme elle a fait allemand première
langue vivante et non anglais, elle traduit les textes au mot à mot avec un
dictionnaire anglais-français. Everybody is making love or else expecting
rain ouvre des gouffres. Quand elle part chez sa correspondante allemande à
Böblingen, elle emporte dans sa valise tous ses vinyles, du tout premier album
jusqu’à Nashville. skyline. Dans sa chambre, elle fume
à la chaîne des gauloises sans
filtre tandis que sa correspondante
pâlotte et bouffie l’invite à venir
regarder la rue à la fenêtre de la cuisine. La fascination pour Bob Dylan continue, bien qu’elle commence
à admettre qu’il n’est pas sympa (elle s’en fiche absolument qu’il ne soit pas
« sympa »). Quand il a obtenu le prix Nobel de littérature, sa
passion a été légitimée (lui n’avait pas besoin d’être légitimé, pas plus que
Shakespeare en son temps, a t-il développé dans son discours).
Est
L’origine. Elle aime la réserve des gens de l’Est. Elle y a peu vécu mais
elle dit qu’elle est de l’Est. Les tombes des grands parents maternels qu’elle
n’a pas connus et de ses parents sont au cimetière Nord de Nancy. Personne ne va plus sur
la tombe de sa grand-mère paternelle, qu’elle n’a pas connue non plus, dans le
petit cimetière de Rupt-sur-Moselle.
Impossible
ou presque d’écrire son dictionnaire
personnel. Ou alors il faudrait à chaque mot, une anecdote, une simple anecdote ( voir Le cours de
Pise , Emmanuel Hocquart, POL, 2018) ; Cela permettrait d’être un peu léger, un peu
drôle. Voici un projet d’écriture autobiographique (elle n’a aucun désir
d’écriture autobiographique)
Jardin
Au fond du jardin de derrière, un
haut mur gris petit à petit dissimulé par les ronces, les mûriers et les mimosas. La clôture
avec le jardin des voisins, si elle a
jamais existé, a disparu. A sa place un
prunier qui donne de grosses prunes
rouges, un pommier qu’envahit une
treille et rien sur tout le reste de la longueur. Deux autres pruniers face à face produisent une brume blanche, et légère à la
floraison. Leurs petites prunes jaunes,
comme des mirabelles n’ont guère de goût et finissent par terre. Plus proche de la maison, devant le figuier, un
althaea à fleurs mauves. En face, le
cerisier dont les rares fruits font le bonheur des oiseaux, permet de grimper sur le toit de la maison. Un massif de canas, un
autre de rhododendrons, ne fleurissent plus. Selon la saison, un parterre de myosotis ou de corbeilles d’argent tapisse
le sol à côté du réservoir d’eau en
béton peint en vert clair. Le rosier si remontant qu’on ne sait plus à
quel moment il est sensé fleurir grimpe par-dessus les fils qui soutiennent la
vigne de raisin blanc sucré. Le papyrus
envahissant à force, se mêle aux arômes
et aux pommiers d’amour. Il y eut un massif de
marguerites mais la terre a du s’épuiser car les marguerites ont disparu. Il y
eut des glaïeuls aussi, bien qu’elle n’aime pas trop les glaïeuls, trop guindés
pense t-elle, des fleurs pour mariage et enterrement. Le petit jardin de devant
voit pousser un forsythia et la Corette du Japon tous deux en fleurs jaunes, un laurier dont on est obligé
de tailler les branches basses, deux peupliers carolins dont les feuilles en
automne sont impossibles à ramasser. Le
voisin qui a travaillé toute sa vie au
jardin botanique affirme que les carolins, ça
casse comme du verre. Heureusement, ça n’a pas cassé. Un arbousier pousse
là aussi, près du portail ; ses fruits ressemblent aux framboises mais
leur goût est pâteux. Devant les fenêtres deux rosiers. Dans ces espaces immenses, les
enfants courent, tombent, se cachent, s’égratignent les mollets, grimpent aux arbres, construisent
des cabanes, ramassent des mûres, prunes, cerises, noisettes, figues, arbouses,
raisin, jouent aux guerriers, chat
perché, football, badminton, grimpent sur les toits d’un côté et redescendent de l’autre, en passant par l’abri sur poteau couvert de tôle ondulée appelé
improprement le chai.
Maurian (rue)
Un chemin de terre plein d’ornières mène à la maison. il y
eut un moment où la flaque devant le portail avait une jolie forme de
cœur ; les oiseaux s’y baignaient.. Petit à petit la jolie forme de cœur a
disparu (faut-il y voir une allégorie ?), la flaque informe a envahi le
chemin ; pour accéder à la maison, il fallait poser un pied devant l’autre
sur la bande étroite entre la flaque et la
haie du voisin comme on marcherait sur une poutrelle au-dessus du vide.(voir aussi Jardin)
Océan
On perçoit son grondement juste
avant d’atteindre le sommet de la dune. Alors, toujours ces mots, comme une évidence, s’imposent à elle : Homme libre, toujours tu chériras la
mer (la femme libre aussi bien sûr, chérira toujours la mer).
Les vagues vous malmènent, vous assomment,
vous roulent sur le sable.
Ombre
Des zones d’ombre, à peine possible d’y inscrire un mot.
Parc
Il est question de géographie intérieure,
de lieux inscrits en soi. Autour de la maison de fonction, le jardin. Autour du jardin, le parc de
l’hôpital, terrain de jeu idéal pour les enfants de toutes les maisons de
fonction. Maintenant encore, elle marche dans les parcs. (Marie-Hélène Lafon raconte
les allers retours qu’elle devait faire, enfant, en rentrant de l’école, devant
le poulailler, pour le protéger des renards.
Ce mouvement de va et vient dans la marche, elle l’a gardé en elle comme
un réflexe. cf Le pays d’en haut, éditions Arthaud, 2019)
Paris
Lycée, solex, métro, jeans cigarette Lewis ou Wrangel en velours
côtelé, pulls shetland au nombril ;
plus tard cinéma du quartier latin où
elle a vu ce documentaire incroyable de Wim Wenders filmant les derniers jours
de Nicholas Ray accompagné à tous les
instants par une jeune fille aux cheveux bouclés en postures variées de yoga. . Le dernier mot
du film « cut ! ».
Mai 68 , elle était un poil trop jeune mais c’est après que tout a commencé.
Peau
Il est tatoué partout, de ces tatouages bleus que
l’on faisait en prison : Les yeux de biche, comme un trait
d’eye-liner qui s’étire vers la tempe, signifient, elle l’a appris plus
tard, j’ai fait pleurer ma mère ;
les huit lettres de hate et love alternent sur les premières phalanges des doigts ;
le mot marche sur le dessus
du pied gauche, crève sur le
dessus du pied droit, ; pour toi ma
mie sur le sexe ; un point au centre de quatre points dans le gras du muscle du pouce seul entre quatre murs ; une femme nue assez ratée dans le dos, une
autre sur la cuisse peut-être, et les trois
premières lettres d’un prénom sur le poignet droit. A une terrasse de
café un homme s’approche de lui pour le lire ; « je ne suis pas un journal »,
dit-il.
Plantes
Elle aime connaître leurs noms et leurs besoins spécifiques. Pour l’heure,
elles sont en pot, sur le balcon. La tempête de la nuit dernière a renversé le
bégonia, le rhipsalis, le kalanchoé.
Pont
Pont Alexandre III. En solex. Elle est assise sur le porte bagage, écarte
les bras, embrasse la vitesse (relative), la liberté. Cécile conduit, ses cheveux
s’’échappent de son bonnet cloche à motifs péruviens. Elle écarte les bras aussi. Sur le pont Alexandre
III, à Paris.
Rues
Pavées, étroites ; elle passe une partie de sa vie dans ces rues courbes,
les photographie, en fait des tirages en noir et blanc dans sa salle de bains
aménagée en labo photo. Elle habite alors un meublé. Ses voisins du dessus, un
couple de personnes âgées lui font gentiment remarquer que la radio à six
heures du matin, quand même, c’est un peu tôt.
Sèvres-Babylone
(carrefour de)
Son père l’accompagne au « Bon Marché » où elle va travailler pour la première fois. Elle a seize
ans ; peut-être lui
faut-il une autorisation
parentale pour passer les vacances de Noël à faire les paquets cadeaux au rayon
des jouets. Elle est affectée au stand
des lego. Les paquets, aux angles bien droits sont faciles à faire, elle prend
vite le coup de main. Elle travaille sous la houlette de deux vendeuses, Mme
Bonnard et Mme Collard ; Elle pense qu’elles ont toutes les deux échappé d’une lettre à
s’appeler « Madame Connard ». Un jour un vieux monsieur pas net lui
fait des propositions pas nettes pendant
qu’elle empaquette ses achats. Les deux madames
sont outrées et le traite de vieux cochon. Pas devant lui, bien sûr. Le
client est roi.
Dans son souvenir, la scène les trottoirs
lisses de Paris sous ses pieds nus (pour imiter Joan Baez) en robe mi- longue
imprimée de fleurettes bleu myosotis – une insulte aux pauvres quand on a de
quoi se payer des chaussures disaient les pisse vinaigres extrait des sols,
proposition 1– se déroule rue du Bac
près du carrefour de Sèvres Babylone. Mais sa mémoire, lui joue sûrement des tours: elle n’a pas pu se rendre
à un rendez-vous d’embauche pieds-nus ou alors, elle aurait remis ses chaussures
avant d’arriver au Bon Marché… Le
plus important dans ce souvenir est qu’elle marche aux côtés de son père dans
la rue mais surtout qu’elle marche pieds-nus. Ce qui signifie que ce père – qui
n’était pas du tout fantaisiste – accepte la lubie de sa fille sans aucun souci
des apparences.
Vase
Les longues marées basses brunes grises que prolongent à l’infini les ciels
nuageux, l’odeur de varech.
Villes
Bordeaux, Paris, Nancy. Bordeaux surtout. Quoique… Quoique quoi ?
quoiqu’elle ne soit pas sûre d’aimer tellement Bordeaux, cette ville prétentieuse, ex-port spécialisé
dans le commerce de bois d’ébène, qui s’enorgueillit encore de son architecture
négrière. Il y a des hontes dont il est
difficile de se remettre.
Vosges
Les forêts de sapins noirs si
denses, dans ses gènes, la fameuse
« ligne bleue des Vosges » dont son père guette l’apparition au
détour de la route et qu’il nomme solennellement. Et puis être robuste « tu as une bonne
constitution » lui dit son médecin. C’est ça , être fille de vosgien.
oh quel récit sous le récit ou quelles plages sous les parpaings !
j’aime la grande précision des noms de plantes et de fleurs, la justesse des lieux restaurés, le regard porté : scrutateur, interrogatif et gouailleur.
merci !
Merci, chère #pomme pour ce commentaire. Inscrire les noms propres fut une expérience de grand dévoilement. D’ailleurs, bientôt, je prendrai pseudonyme : Béatrice Claire sera mon nom. Hastar luego amiga !