27 septembre1956. La rentrée en première vient de se mettre en place. Je me réveille un peu tendue.En déjeunant, je pense à cet été, deux mois de vacances dans un village très vivant, ça m’a tellement plu.Le contraire de ce qui se passe à la maison, une vie en vase clos où on ne parle jamais des choses importantes. Ce matin je voudrais bien une aide, des conseils, parce que j’ai décidé de provoquer une réunion en fin d’après-midi à l’école. On est étudiante, donc ce sera la J.E.C. Cet été dans les villages, ils préparaient la fête des moissons. Ils, c’est la J.A.C. jeunesse agricole chrétienne, je rencontre deux jeunes de 18 ans, à peine deux ans de plus que moi, c’est avec eux que je commencerai à découvrir le monde et les enjeux : la crise de Suez, Nasser vient de nationaliser le canal de Suez et va financer un grand barrage, Assouan. On est en plein dans la guerre froide. Je suis émerveillée de leur vivacité entrain et leur façon d’aider les ados. Exactement ce que je cherche, partager, donner, inventer. La fête a eu lieu, j’y étais mais ça m’agace de ne pas y avoir été vraiment. Une réserve m’empêche d’être tout à fait présente. Ce début septembre, je suis allée chez un oncle et une tante, avec une cousine on prépare le jeudi, c’est patronage. Son père vient un moment à coté de nous, très attentif puis il va écouter la radio : la Pologne bouge, étudiants et intellectuels veulent la déstalinisation du pays, bientôt rejoints par les hongrois, il y a des manifestations à Budapest. Tous les enfants écoutent et je n’en perd pas une miette, on parle de tout dans cette maison. Donc j’ai préparé cette réunion pour ce soir, 18 heures. Par-ti-ci-per,ne pas être spectatrice, réfléchir au monde comme il va. Je commence à lire Témoignage chrétien, je suis contente de cette découverte, même si je suis loin de tout comprendre. C’est chez eux que je trouve des articles sur la J.E.C. et je commence à voir ce qu’ils font. A midi, je retrouve mes parents et frères et soeurs, je n’arriverai pas à en parler, comme si rien, comme si on ne comprenait rien. Le temps est long jusqu’à 18 heure et 8 filles arrivent, c’est un début. On partage ce qu’on a vu ou compris ces vacances. C’est un peu guindé, timide, mais on échange et on fixe la prochaine date. Ce soir, il est tard déjà, j’avais une dissertation à finir et des maths pour demain.Il est déjà 23 heure quand j’arrive à écrire ces quelques mots. Je sais que la réunion a été fadasse, et je suis triste et démunie. Comment préparer la prochaine ?
27 septembre 1973. Ce matin je suis réveillée par la petite dernière. C’est l’heure de la tétée et très vite ensuite les plus grands se lèvent. On déjeune ensemble. on a eu le temps de parler des nouvelles entendues à la télé,du Chili surtout et avec les enfants de leur devoirs leurs découvertes de la journée des réunions à venir. Quand André se lêve pour aller aux toilettes, je sais que c’est bon, il aime, mais pas trop longtemps. Je ne vois pas passer le temps et grapille 10 minutes par ci, 10 minutes par là pour lire, lire, lire tous les romans que je n’ai pas lus étant jeune, Témoignage Chrétien et Le Monde pris à la bibliothèque. Par bribes, je reconstitue ce qui se passe au Chili : La mort d’Allende, les pressions de Kissinger, les arrestations, les tortures et les enjeux. C’est surtout T.C. qui a été pour beaucoup dans ma compréhension du monde, le lien entre chez nous et ailleurs. C’est par lui que j’ai su les combats en Amérique du Sud contre les dictatures, connu la Théologie de la libération, avec entr’autres Léonardo Boff et Don Helder Camara, évèque, mais du coté des jeunes et des révoltés. J’ai lu ce qui concerne Vatican II et aussi le P.S.U. avec Rocard, l’autogestion, le combat de LIP, fabricant de montres, racheté par les employés. On habite à La Ricamarie, ville tout prés de Saint-Etienne. Et là, je vois de prés ce qui se passe, on va aux réunions de parents d’élève, à la messe, des prêtres ouvriers arrivent, des communistes nombreux à « La Ric » viennent avec nous aux réunions. Les prêtres ne laissent pas dormir leurs paroissiens , les poussent à s’engager dans le mouvement social, à ne pas rester entre eux, à participer à la vie de la commune. On a un maire communiste qui,fera du bon travail.Dans 5 jours, je vais avoir 33 ans et suis intensément ce qui se passe…en restant à la maison, un peu beaucoup coincée, mais j’arrive à participer à l’alphabétisation, au conseil municipal, réunion d’école et caté. Le film « Septembre chilien » de bruno Muel sort le 2 octobre à venir, j’essaierai d’y aller. Je serais contente d’être ce militant, entré à la J.E.C. il a suivi toutes les étapes, se retrouve très vite à la tête nationale du mouvement, il repère et comprend tout. Et je serais contente d’avoir continué à travailler, je vois des femmes comme moi qui ont 4 enfants et mènent les deux de front, travail et enfants. Mais c’est un choix, je préfère accompagner les enfants en étant disponible surtout que André part plusieurs jours pour son travail. Ce soir, journée finie, on lit, pendant que les enfants jouent à coté de nous. André lit « Je communique avec les défunts » d’Alain Joseph Bellet, pour le moment c’est son choix. On m’a prêté « Tropismes » de Nathalie Sarraute, mais j’ai du mal à comprendre. Ces veillées avec André et les enfants sont du bonheur.
27 septembre 1982. Le réveil ce lundi est difficile. Nous déjeunons sans avoir eu le temps d’échanger. Nous avons veillé tard hier soir. Avec André, nous sommes allés chez notre ainé, il s’est marié il y a peu, Nous sommes heureux de les voir chez eux. Une de nos filles est sur Lyon,elle a un contrat de qualification comme publiciste et travaille dans une association de musiciens, elle leur prépare la maquette du 33 tours qui va sortir, du Reggae, « Rumeur de guerre ». Il reste trois enfants avec nous., 9, 13 et 18 ans. Plus leurs copains, il y a de la vie dans la maison. Et nous sommes raplapla, notre enfant de 13 ans vient de terminer une longue chimio et radiothérapie, à 7 ans, il a une leucémie. Il n’est pas bien du tout. Le petit lubrion de 4,5 ans, toujours prêt à grimper, sauter, faire du vélo ne bouge plus beaucoup. Lui le premier et nous tous aussi sommes chamboulés et bouleversés. Elles pèsent lourd ces années. Nous avons tous fait comme on a pu, c’est peu de le dire. Nous savons qu’il n’est pas guéri. André m’a dit cette semaine, me voyant trop triste « On pourrait faire semblant d’être heureux de temps en temps » comme un reproche, je suis sentie très mal mais il a raison. C’est sûr qu’il faut reprendre du courage. Un ami me parle du P.S.U. « vas-y , tu verras, il y a à faire » . Me voilà dans la pièce qui leur sert de local, Marc Bouchardeau aide les copains à créer une imprimerie associative pour des tracts, des compte-rendus, des annonces d’évènements, et surtout je vais aux réunions. Je retrouve une petite place auprès des autres. Ils travaillent, ils se bougent, sont convaincus et surtout ils rient! comme j’ai pu rire à cette période, heureuse de participer, heureuse d’être avec eux qui m’émeuvent, me poussent, soulèvent la chape. Et j’apprends tellement. André est calé en politique et histoire, On en discute souvent,et là, à ces réunions, je sens le monde tout proche, parce qu’ils s’engagent, échangent sur ce qui se passe à St-Etienne dans les assos, la mairie, la préfecture. Ils connaissent beaucoup de gens ici mais vont plus loin, ce qui se passe loin a un impact sur la vie de tous les jours. Surtout le Liban en ce moment et depuis longtemps ils sont en guerre. L’armée israélienne bombarde les camps de l’OLP, tout pour leur fournir la justification d’une invasion du Liban, elle est allée jusqu’à Beyrouth en juin.Témoignage Chrétien rend bien compte de ce qui se passe. Un article d’Andrée Chedid, écrivain et poête, qui a vécu longtemps au Liban me bouleverse. Je lis ses livres depuis un bon moment, et je commence à connaître son fils Louis, musicien, j’ai chez moi l’album « ainsi soit-il ». Sur le Liban, je ne comprends pas tout mais j’aime ce pays et voudrait aider les palestiniens. J’ai fait un rêve cette nuit : des hommes et des femmes tout petits allaient avec des enfants autour et dans des tentes minuscules elles aussi. Dans ce rêve, j’étais une géante, je n’entendais aucun son. C’est très rare que je me souvienne de mes rêves. Je ne sais pas si celui-ci a à voir avec les camps palestiniens ou avec mes enfants et leurs copains qui entrent et sortent tout le temps.
27 septembre 2019. Brouillon. Depuis 3 à 4 mois, je commence à écrire mes notes sur cette journée à venir du 27 septembre 2019. J’y pense parce que depuis 2008 j’ai arrêté d’écrire. À mesure que je vieillis,je risque de ne plus être là le lendemain et ce récit, écrit de si nombreuses fois, où je fais le tour de ma vie et du monde comme ils vont, est-il une façon aussi d’empêcher des erreurs et de préparer une année plus fructueuse ? Cela modifierait-il mes pensées et mes actes ? Je le pense, oui, et pourtant pas que. Changer et modifier la façon d’agir tient autant à l’inédit, au surgissement de l’imprévu qu’à la volonté. Ces dernières années, je suis passée d’une vie pleine avec mari et enfants à une vie totalement différente puisque seule : les enfants sont partis et en 2008 André est mort, une mort très lourde de la fin d’une vie heureuse et bien remplie qui s’arrête. Je me trouve démunie, déséquilibrée. Un peu plus tard en 2013 j’ai un compagnon. Au moment de « Nuit debout » nous sommes allés aux manifestations à Grenoble, on a écouté échangé, participé puis en 2017,nous suivons la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Mon ami est heureux, il envoie des mails pour informer, relier des gens un peu dispersés aux alentours de Grenoble. Il vit maintenant dans un petit village moins pollué mais ça ne l’empêche pas, lui qui ne peut presque plus rien faire, de continuer d’une autre façon ce qu’il a toujours fait à la CGT . Nous nous sommes abonnés depuis ses débuts à Mediapart que je continue à lire, mais je ne leur pardonnerai jamais d’avoir dézingué JLM à ce point pendant toute la campagne et après, en ne le soutenant pas au moment des 18 perquisitions au moins par une lettre de compréhension. Et comme on ne peut plus écouter Daniel Mermet viré de France-inter on s’abonne aussi à » là-bas si j’y suis » émission sur internet créée par Daniel. Et mon compagnon est mort . La maison vieillit aussi, elle finira avec moi ? Ce 27 septembre qui arrive je raconterai comment la vie se défait vite, peut revenir vite, se redéfaire encore et rejaillir peut-être là, ces jours-ci. On voudrait bien que ça rejaillisse du coté des politiques et de la finance. Ça rejaillit du coté des gilets jaunes, de la lutte pour le climat. Avec mes enfants qui approchent les 50 et même 60 ans, on pense qu’il y a des liens invisibles qui parcourent tous les pays, comme un tissage, un entremêlement d’idées, d’actions, on retrouve partout ce rappel à une vie plus spartiate, plus simple, une vie ensemble et pas séparés. Pourrait-on enfin démolir ce néo-capitalisme fou ?Comment pourrait-on convaincre les 1 % les plus riches du monde de s’ouvrir au partage ? Comment pourrait-on accueillir les migrants sans se croire désidentifié? Ce 20 et jusqu’au 27 septembre, travailleurs-euses et les jeunes descendent dans les rues. Le 20 a rassemblé beaucoup de monde. Ce vendredi 27 qui approche, une grève partout dans le monde « Workers stand up- Yes to system change-No to climate change ». Je l’ai rêvé ou c’est vrai ? Entendu ce matin à la radio [ « La vieillesse est un naufrage » disait de Gaulle, mais dans un naufrage il y a toujours une épave qui contient combien de mystères et de choses à découvrir.] On n’est pas sur le Titanic qui va couler, on va devenir des épaves et mourir ou pas. Aujourd’hui combien vont mourir? La fin de notre monde nous attend tous, mais pour le moment on vit. Et on sent venir de l’émotion, de l’imagination de l’invention qui soulèvent la lourdeur de ces technocrates hors sol. Ce soir, j’ai travaillé plus tard que d’habitude. Il faudra un peu revenir sur ces mots, gommer des exagérations, supprimer ce qui est inutile, et ajouter, j’aimerais bien une grande manifestation mondiale a eu lieu ce 27 septembre 2019.
et toujours le monde en contrepoint et la façon dont même indirectement il agit sur le courant de nos jours
merci, Brigitte. Vos commentaires font du bien. Je vais de plus en plus souvent sur votre blog « Paumée ». Il est super, et vos photos sont tellement belles, merci beaucoup.
La lourdeur du monde et quand même de la joie à vivre, merci Simone
Ca me fait très plaisir votre commentaire. J’aime beaucoup vos textes et vos commentaires sur Facebook. Votre légèreté, votre distance à vous-même, par une moquerie, votre ton souvent drôle mais aussi parfois triste. A bientôt Catherine.