27 septembre 1994 : Je rentre de ma promenade du matin avec Cachou, mon chien. Pain frais pour le petit déjeuner, la bouilloire chauffe, et François dort. Comme d’habitude, il se réveillera vers midi. Heureusement que je dispose de l’appartement d’à côté pour pouvoir travailler, sinon son incapacité à être dans des horaires normaux me mettrait clairement en difficulté. Je remarque véritablement depuis que nous avons pris le chien que notre couple n’ira pas bien loin. Je suis seule à prendre le chien en charge, comme bien et trop de choses, d’ailleurs. De temps en temps, il y a une discussion où il se garde le « beau rôle » mais la réalité c’est que je ne peux pas compter sur lui et que c’est la drogue, ses besoins, qui passent toujours avant moi et les nécessités de la vie à deux. Je m’affirme mal et ne suis pas heureuse. Cette vie où l’on me colle au foyer, passive et maternante ne me convient pas du tout. Bien sûr, oui, il a du talent et c’est quelqu’un d’intéressant. Mais le haschisch prend trop de place dans sa vie et je pense que cela ne changera pas. Je côtoie du coup des gens qui pour la plupart ne m’intéressent pas, sont excessivement centrés sur la drogue. Je n’aurai jamais d’enfant avec cet homme sur lequel il n’est pas possible de compter, qui ne veut pas travailler sur son histoire alors qu’il en a besoin. Hier encore, cette soirée chez Louis était affligeante. Et de voir ces enfants petits, charmants, en culottes courtes voire en couches au milieu des barres de shit est une vision dérangeante et impossible pour moi. Je ne veux pas que le père de mes enfants le prenne dans ses bras avec des yeux déchirés et rouges. Et je ne pourrai pas partir chanter sereinement dans ces conditions. Me voilà qui commence à mûrir une rupture en buvant mon thé Earl Grey ce matin pendant que mon chien rogne son os avec bonheur. Je sais que j’ai fait une erreur dès le départ avec cet homme, et c’est difficile de l’admettre. Car je sais également ce que j’ai fui, et pourquoi. Mon chien est très haut sur pattes, je crois que je vais devoir faire du dressage car je ne pourrais pas être toujours à courir derrière lui en ville comme ce matin. Et je veux pouvoir vivre sereinement avec lui, l’emmener partout où je chanterai dans les dix/douze prochaines années. Il doit donc être très bien élevé. Après mon thé, je vais chercher une adresse. C’est mercredi, je pourrais y passer. À part travailler mon chant et faire quelques courses, c’est juste une question d’organisation interne ce jour. J’espère que nous ne verrons pas encore Louis et Laurence ce soir. C’est désespérant.
27 septembre 2006 : Cela va faire presqu’un mois que je travaille dans la Loire. J’adore mon appartement de Saint-Etienne. Il est vaste et lumineux, je peux y chanter tranquillement et c’est aisé d’y vivre avec le chien et le chat. Le hasard veut que je me sois involontairement géographiquement rapproché de François. Les chemins de l’écrit suivis il y a quelques années m’ont conduit ici. C’est là où je ne souhaitais pas aboutir, et ce que j’ai pourtant choisi. Pas le lieu, mais l’enseignement. Oui, je m’occupe très bien des autres. Oui, c’est un métier dans lequel j’ai de nombreuses compétences. Mais ce n’était pas celui que je souhaitais exercer. J’aime être au-devant de la scène et chanter. Cependant je suis lucide et sais que la scène pour la plupart des chanteurs n’a qu’un temps, et que la société évolue, que la seconde carrière de l’enseignement est plus difficile à intégrer qu’avant. J’espère que je n’ai pas pris le virage trop tôt et qu’on me fera chanter comme l’on s’y est engagé lors du recrutement. C’est que je suis dans la pleine possession de mes moyens, à 35 ans, en plein épanouissement, et ce malgré les épreuves de la vie… Je suis heureuse de ne pas travailler en conservatoire. Ici je puis mieux transmettre ce que j’ai acquis avec, grâce à la scène, me semble-t-il. Nous sommes jeudi, et j’ai été contente de faire travailler mes sixièmes et cinquièmes. J’ai bien été préparé pour ce poste avec mes cours de pédagogie de groupe. Je travaille très fluidement avec mes collègues, comme si cela faisait plus de temps que ces quelques semaines partagées. Maintenant, il me reste à bien connaître ce bâtiment où je me perds beaucoup, et puis à finir par comprendre cet emploi du temps résolument complexe lorsqu’on arrive… Lorsque je rentre du travail, dans ma voiture neuve et rouge que j’adore, je suis très étonnée de constater que la plupart des commerces commencent à fermer. Pas de doute, je ne suis plus à Paris ni Marseille!!! Car j’arrive vers 18h30, ce qui n’est pas très tard tout de même. Le quartier est agréable, il correspond bien à ma vie, mes goûts, mes besoins, y compris promener beaucoup le chien. La mère de François me disait qu’un grand chien vit dix-douze ans, mais je regarde Cachou, il est en super forme pour un a priori mourant. J’ai continué d’explorer le quartier, j’aime traverser ce qui fut l’ancienne manufacture d’armes. J’aime marcher avec ce chien dans les villes où j’ai vécu seule. Il est sage, bien dressé. Je me sens en sécurité et j’aime faire de grands pas avec lui à mes côtés. Il m’apporte une protection que je n’ai pas eu très souvent dans mon existence.
27 septembre 2008 : C’est dimanche, il est 15h. Je regarde le programme du Méliès pour décider le film que j’irais voir vers 18-20h. Il ne fait pas très beau, même si la température est encore correcte: c’est à dire qu’il ne fait pas encore froid. Le ciel est blanc comme il peut l’être ici. J’ai horreur de ça. Autant j’aime les nuages propres à cette région, autant ce ciel blanc qui cache les formes du soleil comme des nuages me déplaît. Je n’aime rien faire avec ce ciel. Je regarde mon Cachou, qui dort, le chat à ses côtés. Depuis plusieurs mois je le regarde avec le coeur serré. Désormais, il est vieux, sans nul doute. Même, très vieux. Monter et descendre les trois étages devient compliqué et je dois m’habituer à l’idée que certainement bientôt je n’aurais plus sa présence contre ma jambe. Il a accompagné presque quinze ans de ma vie et j’ai le vertige, car c’est un marqueur du temps qui passe et est irrémédiablement passé qui va bientôt disparaître. Une vie dont j’ai pris soin. Une vie qui m’a conduite, aidée à quitter un homme que je n’aimais pas vraiment. Une vie qui m’a accompagnée sur les chemins de mon indépendance et de mon autonomie. Une vie qui raconte à sa façon ma différenciation et mes différences. Je ne suis pas sûre de reprendre un chien : celui-là était pile poil comme je le voulais. Et puis je n’ai plus le même temps qu’avant pour l’éducation. Et puis j’aime les grands chiens. Le vertige de la page de vie qui se tourne ne me quitte pas : je me demande ce que sera demain. Tant que ce chien est en vie, il me semble que mes rêves de jeunesse peuvent toujours s’incarner, se créer. Tant que ce chien est en vie, il existe certains possibles.
Votre texte m’a plus. Je le trouve très incarné, il y a un marquage du temps François Cachou, le sentiment de la vie qui passe et que l’on tente d’accompagner de ce qu’on aime. Très agréable, merci pour ce partage.
Merci beaucoup Rudy.
Comme ce personnage est attachant… En te lisant, je pense à Antonia, (1965-1966), de Gabriella Zalapi (accent sur le i, que je ne sais pas mettre). Tu connais ?
Ah non, je ne connais pas du tout Marlen. Je vais chercher à en savoir plus de ce pas… merci pour ton passage et ravie que ça t’ai plu.