Libéré de ses obligations photographiques ce jour-là, Nigel Verk est monté dès potron-minet du château au lac par le sentier abrupt. Mu par des ressorts enfouis et oubliés, il renoue avec une ancienne ardeur naturaliste, quand il se passionnait enfant pour les macros de fleurs et de papillons. Ce type de photos présentait l’avantage de n’exiger aucune autorisation préalable de la part de son sujet. Désormais photographe de danse, il travaille en indépendant pour différentes compagnies internationales, portraiture les danseurs, couvre les répétitions des créations chorégraphiques pour les services communication, assure les reportages pour la presse spécialisée. Vingt ans plus tôt, c’est dans le milieu des régates qu’il a débuté sa carrière, parcourant les rassemblements nautiques, toutes les grandes courses, l’America’s Cup, la Fast-Net Race, le Vendée-Globe. Capter le mouvement, le fixer, il en revient toujours à cette obsession contradictoire: saisir l’instant d’intensité, la vitesse des équipages aux virements de bord, l’équilibre des corps dansants maîtrisant leur faseyage interne. Appuyer pour obtenir le cliché d’immersion qui fixe le mythe, son degré d’extrémité. Se placer au point d’ambiguïté de la légende, y jouer son rôle de révélateur pour l’initier ou l’infléchir par son regard d’une obscure nécessité. Nourrir l’intérêt collectif pour ces polarités artistiques, sportives, rêves de singularité, ruse du rituel imaginaire. Saisir la tension, le dépassement, la fatigue extrême, la grâce, l’exaltation des corps des hommes au sein même de leur agencement discipliné. Depuis qu’il avait quitté l’école de photographie, sensible au prestige moral et esthétique de l’homme se hissant au-dessus de lui-même, il s’était détourné des fixités paysagistes: il lui fallait le dynamisme d’êtres en mouvement, entraînés à s’insérer dans l’obstinée recherche du risque, ces bains d’expérience d’exergue. Arrivé au lac, il prend quand même la photo du lieu, c’est la lumière idyllique, défiant la contemplation de méditation, qui met l’œil du photographe en joue.