Je vous vois avec vos pioches sous cette neige qui tombe. Ombres qui fossoyez. Comme elle tombe, épaisse, lente. Balles sans poids qui vont du ciel à la terre. Je pense à l’enfant dont le cœur a gelé ; toujours il passe avec la neige. Trait de conte, souvenir fugace et inapproprié. Morts à peine nés qui revenez avec la neige. Et vous dans cette rue devenue mutique. Je vous regarde fossoyer. La chaussée est ouverte, ces tranchées vous les avez creusées. Je vois vos mains, je vois vos visages et vos mains roides. Je vois le froid sur votre peau et le froid pénètre mes os. Il y a ce plateau rond que je vous tends où se serrent des tasses, ce café chaud, amer, très sucré que je vous apporte; nous le partageons dans la neige. Nous ne parlons pas. Nous avons chacun nos langues et nous avons nos morts. Quand je referme la porte celle qui fut rouge, les tasses tintent sur le plateau.
Reprenons c’est un matin. Il neige. L’équipe que vous formez est au travail. Il fait nuit dans la rue T. Je ne dors pas — l’enfant pleure ; je la nourris. Elle dort à présent contre mon épaule et je déambule dans la pièce avec elle. Dans le cou de l’enfant il y a ce parfum; sous les mèches humides le sillage de sueur et de nuit. La blancheur soudaine me surprend, ces flocons gros comme des fleurs de coton ; ils tombent. En avril on cherche la blancheur des cerisiers en fleurs, pas la neige. En contre bas, il y a ce remuement de pelles et de pioches. Je couche l’enfant. La rue devient mutique. Il faut que je regarde si vous êtes encore là — l’image de l’enfant sur le traineau — La reine des neiges est un conte que je lis encore quelques fois, ce garçon dont le cœur gèl… on entend les grelots du traineau traverser le village. L’image de l’enfant revient avec la neige. Qu’une larme chasse le fragment de miroir entré dans l’œil de l’enfant et il sera sauvé. Sauvé ? — J’entrouvre la fenêtre vous êtes une dizaine sous cette neige qui tombe. Vous ne creusez plus; la fumée de vos souffles dans l’air glacé nimbe les visages. Le travail reprend. Plus lent ; engourdi par la neige…
étrange et prenant. Le présent te va bien.
Merci Danièle. S’efforcer au présent
revoilà la porte rouge… mais d’autres corps affectés aux travaux, venus de loin pour cela (ne pesaient pas forcément que ce serait pour cela)
Merci de vos lectures Brigitte et bonjour de nos mémoires en Batignolles
Toujours grandes émotions à vous lire Nathalie. Admiration aussi pour les exigences que vous ne cessez jamais d’apporter à vos textes. Merci Nathalie Holt.
Merci Ugo de porter ce regard attentif ( aux modifications) des textes
J’aime le texte en deux parties, ça donne un écho diffracté, une reprise avec variation, la scène et ce qu’elle recouvre d’intime, le bébé renforce la scène intérieure, et sa douceur loin des « trouées »,
Merci beaucoup Catherine pour ta lecture
La neige tombe hors du temps. Elle le traverse. L’enfant passe, la neige tombe, éternelle surprise du retour de la neige, l’enfant revient (repasse) dans la neige ou avec, à travers elle, il est mort, il est là, grelots, tasses… Je m’arrête là, c’est confondant, trop. Le jeu de miroirs de ces deux paragraphes, dehors, dedans, c’est à se perdre. J’aime. J’aime.
Merci infiniment de votre lecture Christophe.