Le jardin clôt est délimité par un premier mur, haut de trois mètres environ qui l’enserre d’un grand L., bordant, à l’extérieure, la ruelle qui monte entre les jardins dérobés au regard comme il y en a tant ici. Il a cette douceur des murs anciens, usés et solides. Il a au moins deux siècles comme la maison.
C’est un nuancier de gris, formé de pudding – un ensemble de moellons épinés ou bourrus, plus ou moins arrondis, du granit sans doute, pris dans le mortier de chaux. L’enduit est tombé par larges plaques irrégulières. Ce qu’il en reste oscille du plus pâle presque blond puis, par zone tirant vers le sombre voire le vert bronze là où la mousse s’en mêle. Sous le mortier, les pierres arrondies ou légèrement triangulaires ou un peu n’importe comment comme les pierres savent faire, grises elles aussi, minérales, ou subitement ferrugineuses, jaunes, puis tirant vers le rouge mat. Au sommet, royaume de la mousse, de la vigne vierge, sur la ligne de crête, de loin en loin, délicates clochettes mauves au printemps hissées sur tiges hautes, maintenant tiges sèches aux multiples tridents. Du foin sur le dos du mur. De lui jaillissent et le ciel et les oiseaux, des hirondelles, qu’on dirait jetées dans l’air.
Les anfractuosités, éclats, trous, là où des pierres sont tombées, dessinent le chemin des lézards, nombreux, habiles et vifs, longtemps invisibles avant que l’œil soudain ne les identifie, caméléon de vert de brun gris sur gris vert. Des lézardes, chemin de lézard ?
Pour fermer le L., l’ajout moins ancien d’un mur plus bas, formé quant à lui d’une base en pudding toujours, rehaussé de quatre rangées de pierres de tuffeau, variété crayeuse d’un tuf calcaire typique du ligérien. A l’arrondit du puits, la portion de mur derrière les hautes tiges de fenouils mêle pudding, tuffeau, briques et culs et goulots de bouteilles vertes, un mur rabouté, raccommodé. Deux culs de bouteilles et trois goulots, d’un vert sombre sous l’enduit, cinq bouteilles posées presque têtes bêches en travers du mur, chose fréquente à l’époque m’a dit le tailleur de pierre en riant – mais laquelle ? -, pour combler un espace, bouteilles et mortier. Fin de mur, fin de chantier, avec la fatigue dans les bras qui pèsent, avec le désir d’en finir et voilà que ça manque, ce qu’il faudrait pour terminer – un mauvais calcul ? Un moment d’inattention ? Un petit chantier après tout, un mur n’est pas une maison ni un entourage de porte ou de fenêtre en lourdes pierres de tuffeau qui font parement et couronne, ni une corniche dont les pierres ont la particularité de leur énormité pour être et du mur et de l’encorbellement, un décroché sous la gouttière, au ras du toit, si lourdes celles-là qu’il faut un treuil pour les hisser et gare s’il en manque, ça ne se raboute pas une corniche ; mais un bête mur de délimitation entre ce qui est à toi et à lui, qui ferme les propriétés, qui coupe ce qui fut un grand terrain, créant le clos du jardin, et pour en finir de ce chantier, prendre ce qu’il y a sous la main, les cinq bouteilles bues ce jour-là, cette pierre de tuffeau, les briques et quelques éclats d’ardoises au-dessous pour l’alignement, et hop qu’on en finisse.
Toujours épatée par la précision de l’écriture qui colle au réel, cherche à le cerner au plus près.
Un mur très habité : les oiseaux, les lézards et les maçons ; j’adore l’anecdote des bouteilles !
Merci Béatrice … drôle alors que nous aimions chez l’une et l’autre un façon de faire précision – faire le point comme on le dit en photo : ))