Il y a ce petit garçon de 11 ans qui rentre en sixième dans un grand lycée. Il est à la fois excité, avide de découvrir les nouveautés et très impressionné, il ne va pas entendre son nom à l’appel et ce sera humiliant.
Et puis il y a le même (ou un autre, ce n’est pas décidé), à l’âge adulte qui se vit comme monstrueux pour avoir souffert d’un bec de lièvre et avoir été rejeté par ses parents. Il est quelque peu plein de colère et en quête de revanche.
Il y a l’exhibitionniste qui rôde aux alentours du lycée dans l’attente de mettre mal à leur aise des petites filles ou jeunes filles. Comme il n’agressera pas le petit garçon, je me demande bien ce qu’il vient faire dans ce bazar sauf à représenter une dimension monstrueuse de l’humanité, d’emblée c’était pour décentrer, m’éloigner du gamin, il fait un peu carnaval mais je suis sûre qu’il va me servir… A quoi ?
Envie d’écrire les abords du serpent boueux du fleuve tout proche du lycée et terrain de chasse de l’exhibo
Il y a le pion qui n’est pas un grand tendre, mais qui sait ? Un pion, ça voit beaucoup de choses. Mais parfois rien du tout.
Il y a donc la sœur ainée du gamin. Tendresse complice ou non ?
Il y a cette boulangère face au lycée qui ne m’intéresse pas beaucoup sauf qu’elle leur offre le doux de l’enfance et constitue un lieu de ralliement, un antidote à l’obligation de grandir et à l’ennui des études avec ses bonbons et ses viennoiseries.
Se retenir de tirer les fils entre les ilôts… d’autant qu’en mode ralenti, ça ne peut que nuire…
Pourquoi cette histoire ? D’emblée j’ai su que ce petit garçon allait souffrir des autres, et peut-être de sa propre image (si bec de lièvre, qui m’encombre un peu mais au moins ça fait image mais aussi un peu trop traumatisme de service ) . D’emblée j’ai souvent besoin d’une image. D’une phrase ou d’un lieu pour avoir l’impulsion d’écrire. Et là partie d’un personnage, pire, d’un thème et je me sens piégée … J’ai utilisé mon lycée parce que je l’ai revu dernièrement et ce lycée était vraiment quelque chose, un gros monstre pilote sur bien des aspects. Je vois donc déjà se profiler la maltraitance parentale (oulala) et une forme de bizutage ou de rejet de part de la meute à l’endroit d’un seul comme il y en a dans les écoles. C’est mon intention de départ, et j’aime moyennement cette intention. Une gamine de quatorze ans s’est défenestrée dans mon lycée il n’y a pas si longtemps. Elle me trotte parfois dans la tête cette gamine , je ne sais rien d’elle. Je les connais les fenêtres d’où elle est tombée, elles sont très grandes et je me représente très bien l’appel du vide.
Le bec de lièvre est arrivé en second, comme un point d’appui (me fournir une différence sensible et compréhensible) c’est un peu bêbête peut-être, on peut être bouc émissaire pour moins que ça, les enfants sont pleins d’imagination. On peut aussi vouloir mourir pour autre chose, pour rien, pour on ne sait pas. Je ne voudrais pas que ce soit plaintif ou psychologisant .
Ma faiblesse est d’aimer écrire sur l’enfance.
Je vois un peu la mère se forçant à l’aimer sans convaincre, le conduisant d’opération en opération (si bec de lièvre) dans l’espoir de le (se) réparer. Mais là je ne connais pas bien le sujet, juste vu qu’il peut y avoir pas mal d’interventions. C’est intéressant ces blessures de naissance en plein visage… Pour l’instant je n’ai que des questions, je vais faire comme d’habitude, à l’intuition, j’aurai envie de pas mal rester dans les abords du lycée. Ça serait marrant que ça se passe en 68 avec ce grand brouhaha lointain qui a modérément atteint les banlieues
Je vis toujours les personnages comme des obstacles dont je ne sais pas me passer, je vais avoir besoin d’images symboliques pour avancer et contrebalancer, sortir du psy, pour l’instant tout cela me parait bien banal mais une envie se dessine, c’est le principal.
Me voilà comme un personnage du siècle dernier, à prendre les eaux dans une ville déshéritée dont les Thermes, seule construction un peu majestueuse constitue le centre névralgique. Je viens chercher secours contre maladie devenue chronique (la maladie de la peur et de l’insécurité selon le toubib d’ici joyeusement holistique me promettant que je ne risque pas de faire un cancer puisque mobilisée dans la lutte, avec mon os à ronger (ou qui me ronge) quelle bonne nouvelle ! Jamais foutu les pieds dans les Vosges, la ville thermale déserte et misérable comme beaucoup de bourgs de France devenus déserts et misérables, où les traces laissées par leur heure de gloire sont d’autant plus affligeantes. L’horrible fontaine en marbre crasseux et écaillé, pas de commerces hors zone commerciale (Leclerc donc) le restaurant du casino qui diffuse sa musique débile dans une salle vide, tout contribue à la tristesse. C’est presque comique de se retrouver face au tombeau d’une grande duchesse russe venue mourir ici en pleine révolution.
En contrepartie, la cure et sa routine ordonne les journées, le personnel aux petits soins donne le sentiment qu’enfin on s’occupe de soi.
Rencontré un kiné polonais, ai échangé les 3 mots de polonais que je connais comme un écho de toutes ces rencontres avec des polonais il y a longtemps (quand ils étaient plus rares dans nos contrées), qui réjouissaient mon aimé comme un signe de son pays dont la diaspora à l’époque était plus politique qu’économique et lui donnaient l’occasion de parler un peu sa langue et à moi de savourer ces mélopées toutes en chuintantes caressantes qui me re-révélait l’allogènéité de mon compagnon . Depuis je me sens une certaine familiarité avec les polonais, l’étrangeté ne peut pas durer toujours… ceci n’ayant rien à voir avec ma cour de lycée sauf la propension à aller chercher les êtres loin de soi en réaction à un voisinage hostile… (l’autobiographie me fournit de petits noyaux nécessaires et périlleux à tenir en laisse)