Mon liseron

Jour 1

Ce sont quelques pieds de liseron, plantés dans une vieille soupière fêlée, choisie pour lui conserver vie et utilité. Elle n’est pas ronde mais oblongue, blanche parsemée de violettes. Comme elle fuit, je l’ai déposée dans une bassine en plastique rouge, avec deux grosses anses sur les côtés. Sous la bassine est demeuré le vieux plateau de frigidaire qui servait, à l’origine, de réserve d’eau à la soupière aux liserons. Il ne sert à rien actuellement, il est là parce qu’il faut bien le ranger quelque part. Comme je suis souvent partie, que la soupière fuit, qu’il fait chaud et qu’un liseron boit sa part, je remplis généreusement et régulièrement la bassine pour qu’il ne manque pas.

Les feuilles s’attroupent à la base, pyramide sombre de cœurs vert foncé, quelques-unes tachées de jaune, près de la source d’eau, attestent du trop-plein. Des tiges serpentines, à feuilles plus clairsemées, s’élancent au sommet. Pour se hisser, elles étreignent les barreaux de la balustrade du balcon en virant leurs feuilles vers le soleil. Arrivées au sommet du barreau, elles poussent encore un peu, tendent leurs sommités en boutons en attente de quelque chose où s’accrocher. Puis elles baissent la tête lamentablement, comme épuisées. Il est conseillé de les guider jusqu’au barreau voisin où après un temps de latence qui semble réflexion, elles s’accrochent et continuent leur trajet sinusoïdal avec véhémence. Leurs duveteux boutons n’ont pas encore éclos.

Jour 2

Le liseron a quelque chose d’humain qui tient sans doute aux sentiments qu’il inspire

– La commisération

Haikü

Le liseron
au seau du puits s’est emmêlé
je demande de l’eau à mon voisin…

Extrait d’Haiku :

Le liseron a posé ses doigts sur la margelle du puits

L’éphémère de sa fleur

– L’admiration

Tant d’opiniâtreté pour produire sa fleur éphémère

Sa fragilité et son extrême robustesse

Son côté têtu

La surprise de sa fleur éclose au matin

– La sensualité

Haïku à propos de sa fleur :

Le liseron du soir

La peau d’une femme

Au moment où elle se découvre

À propos de son étreinte

Il rappelle l’étreinte amoureuse

L’enchevêtrement des corps

– Tendresse

L’étreinte goulue et impossible à dénouer – à cause de la tendresse qu’elle provoque – du petit enfant qui cherche la tétée.

L’étreinte amoureuse

– Effroi

Cette bataille d’aveugles : à vouloir à tout prix chercher à s’accrocher quelque part (les tiges), elles s’en prennent au voisin, elles s’étranglent les uns les autres, sans même le savoir.

Question : le liseron est il réellement aveugle ou mû consciemment d’intentions expansionnistes criminelles.

L’étreinte amoureuse, celle qui psychologiquement étouffe

*

À propos de leur tête chercheuse

Ils (les liserons) tendent au ciel leurs têtes chercheuses, aveugles, coiffées d’un duveteux bouton dans l’espoir d’un lieu providentiel où s’agripper pour continuer leur sinusoïdale chevauchée.

Le liseron solitaire

Quand il n’est pas prolifique, le liseron isolé est rapidement repérable et on l’arrache avec une perverse satisfaction au potager avant qu’il ne s’en prenne à vos haricots…

Liseré, lisons, literie, liant, lasso, labial, balbutier, loup, loupiote, laurier…

Virelangue :

Que lit Lison sous ces liserons-là ? Sous ces liserons-là, Lison lit l’Illiade !

Jour 3

Ce sont quelques pieds de liseron, plantés dans une vieille soupière fêlée, elle fut choisie pour lui conserver vie et utilité Comme elle fuit, je l’ai déposée dans une grosse bassine en plastique rouge que je remplis généreusement pour que le liseron ne manque pas lors de mes absences. Quand il fait chaud, un liseron boit sa part. Les feuilles s’attroupent à la base, pyramide sombre de cœurs vert foncé ; quelques-unes tachées de jaune, près de la source d’eau, attestent du trop-plein. Des tiges serpentines, à feuilles plus clairsemées, s’élancent au sommet. Pour se hisser, elles étreignent les barreaux de la balustrade du balcon en virant leurs feuilles vers le soleil. Arrivées au sommet, elles tendent au ciel leurs têtes chercheuses, aveugles, coiffées d’un duveteux bouton, non encore éclos, dans l’espoir d’un lieu providentiel où s’agripper pour continuer leur chevauchée. Comment sentent – elles le voisinage ? Souvent elles s’en prennent à la voisine, elles s’agrippent l’une à l’autre, s’étranglent sans même le savoir ? Question : le liseron est il réellement aveugle ou sait – il ce qu‘il fait en étranglant la voisine ?

Si elles ne trouvent rien à s’accrocher, elles laissent tomber lamentablement leur tête, qui fut si conquérante, comme épuisées, elles renoncent soudain. Il est conseillé de les guider jusqu’au barreau voisin où après un temps de latence qui semble réflexion, elles s’accrochent et continuent leur trajet sinusoïdal avec véhémence. Il faut aussi défaire avec tendresse ces étreintes assassines et stériles qui ne les mènent nulle part, les empêchent de croître. Les libérer les unes des autres avec délicatesse pour ne pas briser leurs tiges en torsadées. Il y a quelque chose d’humain dans la manière qu’a le liseron d’avancer dans l’espace avec opiniâtreté, têtu comme un liseron ! Il provoque admiration, tendresse, effroi. Comme un enfant, cet appétit à conquérir l’espace, cette étreinte goulue, sa cruauté aveugle, sa propension à l’expansion territoriale et puis sa faiblesse, la délicatesse à employer pour défaire tous ces petits doigts sans les briser, le protéger contre lui-même, le réorienter quand il s’égare, lui indiquer les meilleurs chemins, le nourrir, l’abreuver et s’émerveiller chaque matin de la loupiote bleue de ses fleurs éphémères.

Jour 4

Ce sont quelques pieds de liseron, plantés dans une vieille soupière fêlée, elle fut choisie pour lui conserver vie et utilité. Comme elle fuit, on l’a déposée dans une grosse bassine en plastique rouge qu’on remplit généreusement pour que le liseron ne manque pas lors de nos absences. Quand il fait chaud, un liseron boit sa part. Les feuilles s’attroupent à la base, pyramide sombre de cœurs vert foncé ; quelques-unes tachées de jaune, près de la source d’eau, attestent du trop-plein. Des tiges serpentines, à feuilles plus clairsemées, s’élancent au sommet. Elles étreignent les barreaux de la balustrade du balcon pour se hisser et virent leurs feuilles au soleil. Arrivées à la cime, elles tendent au ciel leurs têtes chercheuses, aveugles, coiffées d’un duveteux bouton, non encore éclos, dans l’espoir d’un lieu providentiel où s’agripper pour continuer leur chevauchée. Comment sentent – elles le voisinage ? Souvent elles s’en prennent à la voisine, elles s’agrippent l’une à l’autre, c’est un enchevêtrement des corps une bataille d’aveugles, elles s’étranglent les unes les autres sans même le savoir ? Question : le liseron est il réellement aveugle ou sait – il ce qu‘il fait ?

Si elles ne trouvent rien où s’accrocher, elles laissent tomber leur tête, qui fut si conquérante ; comme épuisées, elles renoncent soudain. Il est conseillé de les guider jusqu’au barreau voisin où après un temps de latence qui semble réflexion, elles s’accrochent et reprennent avec véhémence, leur trajet sinusoïdal. Il faut aussi défaire avec tendresse ces étreintes assassines qui les empêchent de croître. Les libérer les unes des autres avec délicatesse pour ne pas briser leurs tiges en torsadées. Il y a quelque chose d’humain dans la manière qu’a le liseron d’avancer dans l’espace avec opiniâtreté. Têtu comme un liseron ! Il provoque admiration, tendresse, effroi. Comme un enfant, cet appétit à conquérir l’espace, cette étreinte goulue, sa cruauté aveugle, et puis sa faiblesse. La délicatesse à employer pour défaire tous ces petits doigts sans les briser ! Le protéger contre lui-même, le réorienter quand il s’égare, lui indiquer les meilleurs chemins, le nourrir, l’abreuver et s’émerveiller chaque matin de la loupiote bleue de ses fleurs éphémères.

Jour 5

Il y a quelque chose d’humain dans la manière qu’a mon liseron d’avancer avec opiniâtreté. Têtu comme un liseron ! Il provoque en moi chaque matin, admiration, tendresse, effroi. Cet appétit qu’il a à conquérir l’espace ! Une armée de feuilles sombres s’attroupent à la base, pyramide de cœurs vert foncé ; quelques-unes tachées de jaune, attestent du trop-plein dans la coupelle. Des tiges serpentines, à feuilles plus clairsemées, s’élancent au sommet. Pour se hisser, elles étreignent les barreaux de la balustrade du balcon en virant leurs feuilles vers le soleil. Arrivé à la cime, mon liseron tend au ciel ses têtes chercheuses, coiffées d’un duveteux bouton non encore éclos, dans l’espoir d’un lieu providentiel où s’agripper. Alors c’est une bataille d’aveugles, les tiges s’agrippent l’une à l’autre, c’est un enchevêtrement de corps, elles s’étranglent sans même le savoir ? Question : le liseron est il réellement aveugle ou sait – il ce qu‘il fait ? S’il ne trouve rien où s’accrocher, il laisse tomber ses têtes, qui furent si conquérantes et comme épuisé, il renonce soudain. Il est conseillé alors de le guider jusqu’au barreau voisin où après un temps de latence qui semble réflexion, il reprend avec véhémence, sa sinusoïdale chevauchée. Il faut aussi avec tendresse, délier ses étreintes assassines, libérer avec délicatesse, pour ne pas les rompre, les tiges en torsadées, défaire tous ces petits doigts étrangleurs, sans les briser.

Mon liseron ! Ma tâche quotidienne : le protéger contre lui-même ! Le réorienter quand il s’égare, lui indiquer les meilleurs chemins, le nourrir, l’abreuver et s’émerveiller chaque matin de la loupiote bleue de sa fleur éphémère.

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A propos de Lorette Andersen

A exercé différents métiers : ethnologue, comédienne, ouvrière, éducatrice petite enfance, institutrice, animatrice d’ateliers d’écriture, formée par Elisabeth Bing, auprès d'enfants, de parents, de conteuses. Actuellement conteuse, de contes traditionnels, légendes contemporaines, récits de vie, menteries et sornettes!