on ne sait jamais par où commencer (trier les photos ou écrire quelques mots qu’on changera ensuite, l’accord du – participe – passé, changer le sujet en faire une femme un noir un juif une chinoise un turc) (remettre tout au présent ) – je me souviens pourtant je m’installe ici, près de la porte – cette image
le soir, c’est le patron qui vient servir – il a l’air extrêmement ennuyé on le dérange – le reste du temps, il y a une serveuse ou le fils du patron, guindé, souriant, poli, bien sapé (il s’occupe d’abord du restaurant c’est pour ça) – c’est aussi un tabac à ce moment-là – au dessus il y avait déjà cette plaque –
sur le côté, sur la rue de Beaune, se tenaient les bureaux de l’ordure (le signaler blesse, mais on le fait quand même) – un jour j’avais pris cette image
un autre j’avais appris qu’une de mes cousines (la fille de E. je crois bien) travaillait dans la librairie voisine (docu française) – tandis qu’elle, elle vivait à l’hôtel depuis des lustres – d’abord ici
puis là
c’est à deux pas – trois cents mètres en remontant la rue, on passe devant le
il y a là un café – on y peut voir l’une des célébrités de la rue (elle vit au bout de l’image sur la droite, on va faire un musée de sa maison), sans chaussettes dans ses petites chaussures à lacet, blanches, de danseur boire quelque chose en fumant – il porte un pantalon grège –
ça s’intitulait peut-être « Au courrier de Lyon » je ne sais plus –
elle vaquait – quelques travaux plus tard
c’est devenu L’Empire,
c’est différent – elle allait à l’épicerie du Bon Marché ou prenait le bus pour chercher des tissus chez Dreyfus butte Montmartre – active comme une pile – vibrionnante toujours sur le coup la brèche ou le pont – vivante – folle et chiante – adorable et attentionnée – ses finances difficultueuses, elle emménage ensuite ici
d’abord la trente cinq (son amie J. qui tient la papeterie au début du boulevard Sébastopol juste avant le tabac Chat Noir, vit à la quatre deux – elle refera la déco de l’immense commerce qui vend des actes aux notaires de la chambre, juste là – on trouverait une presse d’imprimerie au fond de l’entrée)
puis la quinze
le type vend des images qu’il importe de je ne sais où, des vues de Paris, le Moulin Rouge, la tour qu’on va repeindre en or pour les jeux, la wtf basilique
rien de particulier (un peu d’obséquiosité de la part du concierge, du personnel, de la directrice – une locataire à l’année se ménage – une femme de chambre amie, M-L. probablement portugaise)
la « bonne » bourgeoisie sans doute – le luxe rive gauche – et elle qui va faubourg Saint Honoré regarder les vitrines de Dior ou Balmain, se renseigner sur les tendances, « tu ne peux pas imaginer » non
le vendeur toujours là (il dispose d’un chevalet pour l’image) – on distingue le menu (merdique, le restaurant n’a jamais marché) on lui monte son petit déjeuner (des biscottes et du miel, du thé), le figaro) –
et puis sa sœur s’en est allée, et elle c’est dans l’escalier qu’un jour, elle tombe – poignet fracturé, hôpital, je n’imaginais pas, non – pour moi elle est toujours semblable
je me souviens que la plaque dorée où se lisaient quelques vers des Fleurs du Mal a été posée fin du siècle dernier – sous celle qui mentionne les célébrités d’alors
on l’a retirée – à un moment (mais elle avait disparu d’ici) on a posé des fleurs sur le balcon de sa chambre
ce n’est plus sa chambre
on trouvera peut-être un truc à 4 ou 5 étoiles, prix à l’avenant pour les jeux – j’ai cherché, longuement, sur ces images des treize ans passés qu’on peut voir là si par hasard on ne l’apercevrait pas capturée dans un des tailleurs qu’elle se faisait empruntant le patron à mademoiselle Coco
ses gants noirs pécari son sac de chez truc et son pas décidé (non, elle ne fumait pas, je ne crois pas qu’elle ait jamais bu à s’enivrer – je me souviens des manicotti qu’elle faisait à la maison, des rideaux de tulle qu’elle a confectionnés pour l’appartement brûlé « tu dois mettre ton bureau là, au milieu » des chemises (pas de chez machin rue de la Paix – son frère s’habillait chez Sulka) de marque qu’elle m’offrait à mon anniversaire « tu dois être bien tenu »
– je me souviens de son « c’est curieux, comme les gens sont tu ne trouves pas ? » – des proverbes qu’elle tournait un peu à sa sauce des aiguilles du fil de la machine à coudre de la petite navette, cette machine électrique que j’avais été lui ramener de la rue Lecourbe – on allait au café du coin, elle laissait un pourboire incongru – un léger agacement, un bruit de langue contre le palais – elle s’en allait (le patron venait me rendre la monnaie avec un sourire) – elle est déjà partie décidée alerte elle part elle s’en va
je crois bien que c’est d’elle dont il s’agit ici (pas seulement, puisqu’il y a aussi ma mère, et d’autres choses encore mais elle aussi, plus sans doute) – un point de vue plus contemporain : ici
Très touchant ces évocations modianesques autant que personnelles. Il faudrait visiter Paris avec toi.
Au 5 quai Voltaire se tient la maison des anciens élèves de l’école d’ingénieurs dont je suis diplômée, mais je n’ai rien à en dire. La cotisation que je paye chaque année doit leur servir à redorer les lettres du balcon ! (à peine voyantes !)
en luxueuse simplicité, un quartier aimé
@Danièle : quel patronage (c’est un de mes préférés, ce Patriiiiick !) Merci à toi
@ Brigitte Célérier : c’est un des plus beaux de Babylone, il faut dire -Merci à vous
Superbe le titre et superbe le texte ! Je suis d’accord avec Danièle. Il faut nous faire découvrir Paris encore.
Merci à toi Helena (demain « pendant le week-end » trois images de Lisbonne en spéciale dédicace, pour l’exemple..)
Moi je n’avais pas vu les fleurs à la fenêtre de Baudelaire, pourtant je n’ai pas décollé en pensée de ce lieu. Toi tu proposes un déplacement intense, tourbillonesque et c’est magnifique de te suivre et de se perdre.
merci à toi