Ce n’est au fond franchement pas tant la surface des sols que les trous que nous y creusons un peu partout, là-bas dans des sols argileux, plus au sud dans des sols arides, quand on s’éloigne un rien vers l’ouest dans des sols sableux, par ici ce sont plutôt les limoneux, ça se passera donc par en-dessous, en quelque sorte, cette phrase, ces sols, d’une vue inversée sur, comme couché sous, comme oppressé par, ainsi sous le dur soleil de midi file indienne ils roulent au ralenti journée de juillet sur le béton brûlant plein trafic lunettes fumées entre pensées moroses et pare-brise, fenêtres ouvertes ils avancent entre les ambulances les lignes blanches les cyclistes et les indécis direction trou, bientôt le leur, le savent, ne savent juste pas quand, c’est aussi ça, donc, le subtil goût de peur que l’on sent, mais phares allumés, sur les volants mains agrippées ils progressent vers ce révoltant trou, cavité de 3 mètres par 2, peut-être un peu moins ou un peu plus pas calculé précisément, c’est donc un trou de terre noire où ils arrivent enfin, creusé la veille à l’aide d’une excavatrice, et autour duquel s’affairent maintenant quelques personnes corps raides, visages longs, de noir habillés, souliers vernis déposés sur un gazon jauni, brûlé, mais si on s’approche d’elles, car on doit approcher, les silhouettes anonymes deviennent de plus près des gens accablés, il y a devant le trou huit femmes, qui sont des sœurs, plus un homme, qui est le mari, plus une petite blondinette, qui est l’enfant, plus un prête et quatre inconnus qui portent des gants blancs, tous regardent vers le bas, où on verra bientôt apparaître c’est certain quelques vers, quelques hannetons, quelques insectes, peut-être même un chien reniflant, pour l’instant ça sent l’humus le limon et cette forte odeur lève le cœur des tantes qui prient pleurent ou vomissent, mais revenons au trou, ce trou comme il y en a de creusés des millions dans les sols et revenons au nôtre pour nous y recueillir, puisque tous les autres ne nous concernent pas et que nous n’y pensons jamais, puisqu’on dépose dans celui-ci à l’instant une boîte marron, assez longue, dire que tout autour des centaines de boîtes semblables se décomposent tranquillement sous les brins d’herbe et sous de petits murets de pierre aux noms des Bélanger, des Bourdages, des Even, la petite blondinette regarde au fond du trou pour retenir quelque chose, mais quoi, on y jette justement à l’instant quelques pelletées de terre noire plus une dizaine de fleurs jaunes sous les pleurs de Marie, la sœur de, la tante la plus jeune, mais tout repoussera bientôt au-dessus de la boîte, plus rien n’y paraîtra, la vie à la surface continuera, et la petite fille deviendra d’ici quelques années la copie conforme de celle qui a déjà commencé à pourrir et à se dégrader dans l’acidité de ce sol d’un cimetière anonyme d’une ville d’Amérique du Nord.
Ou comment se lier au sol à demeure…
Merci pour ce beau moment.
poussée et touchée par tous les autres sols si inspirants
C’est vrai que c’est intéressant de pousser la langue. Je suis très sensible à l’énergie de ce texte , au décalage entre son rythme et ce qu’il décrit.
oui, ce verbe, pousser… fait réfléchir, écrire autrement
« … ça se passera donc par en-dessous, en quelque sorte, cette phrase, ces sols, d’une vue inversée sur, comme couché sous, comme oppressé par… » ça me plait beaucoup cette histoire de vue inversée, de par dessous
notre lien renouvelé avec la terre
Six pieds sous terre, merci pour ces en-dessous.