On regarde la petite. Son visage s’arrondir. On voudrait en attraper un rayon. Un éclat. On laisse courir rouler sa peau. Jus transparent dans les fossés. Griffes sur les chairs. Sur les joues rosées. On lui tend les bras. Nous tend nos bras. On voudrait pour une fois. S’approcher se toucher. L’approcher. On voudrait s’imprimer des rayons sur nos mousses tendres. Nos bustes longs. On regarderait ça en miroir. Une oreille qui s’imprime. Un nez qui vient frotter. S’éternuer dans la rosée. Une joue qui empreinte l’un de nos vieux bras. Est-ce qu’elle nous ressemble ?
***
Tu aimes mes oreilles ?
Elles sont pas un peu décollées mes oreilles ?
Et mon nez ?
T’en penses quoi de mon nez ?
Regarde cette tache
Tu connais l’histoire de cette tache ?
***
Tu couvres ton visage d’un drap fin. Comme un linceul. Tu couvres ton visage et ton corps. Ton visage s’étouffe derrière l’oreiller blanc. Je suis tes traits à travers le tissu léger. Se gonfle dégonfle se perce du nez proéminent. Je passe la nuit à regarder ta bouche s’ouvrir se fermer. Ton visage yeux fermés s’adoucit. Se noient dans le sommeil les souvenirs de tes colères. L’enfant capricieux sous tes traits s’abandonne. L’oreiller blanc. Il faudrait si peu. Pour que tes yeux ne s’ouvrent que sur ses plumes. Blanches. Comment voudrais-tu que je t’enterre ? Comment voudrais-tu que tes enfants se souviennent de toi ?
***
C’est elle?
Ce n’est pas possible
Je l’ai à peine reconnu
C’est sa voix
J’ai entendu sa voix
Je l’ai senti
Cette voix
Elle est belle non ?
Ce n’est pas possible je te dis
Cette voix je la connais
Est-ce que les voix ressemblent aux visages ?
Ecoute
Concentre toi
Tu vois bien que c’est elle !
***
Face au miroir tu l’examines. Tu as une tache sur le bas du visage. Une tache qui fait un point d’ombre dans le cou. Comme une seconde bouche. On ne saurait dire si tu fermes si tu ouvres. Une seconde bouche comme une réplique. Après l’ouragan, après le tremblement, une tache qui se dilate, qui se répand. Comme une bouche pénombre qui avale les miettes de celle claire et enjouée qui va dans le monde pétillante. Une bouche sombre. Qui veille. Qui guette sur les lumières de ton visage. Une bouche impatiente et vorace. Qui menace de grandir. Coloniser tout l’espace de ta peau. De tes joues. Les arêtes de ton nez. Les fils noirs de tes cheveux.
***
Sur les photos, ton visage est toujours dans l’ombre. Tu regardes vers le bas. Vers les chevelures touffues de tes enfants. Tu couves de ton regard leurs têtes fragiles, soucieuse de l’engloutissement à venir. Sur ta photo de mariage, la tache est à peine visible. Un point noir que personne ne devine. Un simple grain de beauté.
oui, c’est ce travail presque de carnet que je cherchais, ne pas hésiter, dans les semaines à venir, à l’agrandir ou le grossir si les idées sont là !
Merci François, oui je vais continuer, tout en laissant mûrir la proposition numéro 2!
Ah oui, comme ça fonctionne ces fragments ! Ils accrochent. Un clin d’œil à Godard. Comment n’y avons-nous pas tous pensé ? Magnifique ici… Merci