Enfin le personnage peut advenir !
De loin, depuis le bateau ancré à la sortie du chenal, ou depuis le café à l’entrée du port, on pourrait affirmer en toute bonne foi que c’est une femme. Malgré les pantalons un peu lourds, malgré le bonnet de marin sur des cheveux qui ne débordent pas. Un je-ne-sais-quoi dans l’allure, dans la posture, qui fait que le doute n’effleure même pas l’esprit. Donc, une femme, seule, au bout de la jetée et qui attend, immobile, le regard perdu au-dessus de la masse bleu-marine d’une mer qui tangue. Elle voit un bateau qui revient vers le port toutes voiles gonflées par un vent-arrière. Elle le voit. Mieux, elle le sent, elle l’entend, elle le connait, il est si proche, il est là tous les jours, quelle que soit l’heure de sa promenade. Jamais il n’atteint le port. Arrivé à la première balise du chenal il éclate comme une bulle. Elle ne sait pas qu’il n’existe que dans sa tête, mirage d’un impossible accostage. Elle ne sait pas et elle espère. Elle vient ici, rendez-vous quotidien, pour l’attendre. Une mère se doit d’être patiente. Elle ne veut pas qu’il n’y ait personne sur le quai le jour de son arrivée. Une mère se doit d’être accueillante. Quelques fois elle s’arrête au café la jetée, le temps de prendre un petit crème. Elle y est toujours bien reçue. Souvent tu es déjà là. Elle s’installe à ta table en te remerciant d’un sourire timide. Elle ne dit rien. Elle ne sait pas qu’une fois partie, elle est le centre de la conversation des habitués. Elle intrigue. Personne ne la connaît vraiment, sauf toi. Mais ça, elle ne le sait pas.
Envie de lui tendre la main ou de partager l’attente pour qu’elle ne soit plus seule…
Rétroliens : Un peu d’elle – Tiers Livre, explorations écriture