blancheur de sa peau d’enfant dans l’encadrement de la fenêtre derrière une jardinière de fleurs regard envolé quand il retombe sur son visage de cinq ans photographié dans l’angle gauche d’une fenêtre de la maison à T. remonte en lui la sensation du délaissement ce froid dépaysement que voyait-il alors du monde dans sa bulle de rêve sans doute une violence sourde dont il fallait se protéger se blottissant dans une rêverie sans fin une hébétude bientôt prison et courir pour se délester de cette pesanteur ne changera rien ni parcourir des villes plus tard d’un bout à l’autre des heures durant quand seule l’apaisait la tendresse de V. dans la fraîcheur de son appartement à C. chaque instant précieux même les départs crissement de pas dans l’épaisseur des graviers jusqu’à la grille noire où se retourner vers la fenêtre du premier étage attendant de voir apparaître son visage il fallait de plus en plus de temps à sa grand-mère pour traverser le salon et apparaître sous les reflets du ciel sourire en répétant leur rite de baisers s’envolant de leurs mains parenthèse avant de retrouver angoisse de plomb butant sur le monde comme hirondelle fracassée par la transparence d’une vitre alors miracle oui miracle aujourd’hui de pouvoir regarder l’extérieur sereinement regarder de sa fenêtre tilleuls se gonflant se dépouillant selon printemps été hiver regarder le dehors à partir d’un intérieur où il est possible de vivre comme étaient possibles pour d’autres alors ces vies particulières qu’il devinait derrière certaines fenêtres de Nice première grande ville arpentée apercevant près du port soleil mourant des silhouettes furtives dans l’espace de volets s’ouvrant pour faire entrer quelque souffle d’air apercevant des traces de vies personnelles avec amour enfants quand se sentir si loin de ça et déjà si loin d’exister vraiment alors s’absorber dans la contemplation des choses espérant être irrigué par leur réalité s’absorber dans la contemplation des plantes en pots de la signora G. des pots de différentes couleurs soigneusement alignés sur une petite planche à mi-hauteur de la fenêtre donnant sur la ruelle où il attend regardant ces pots où se dessèchent des fleurs roussies des succulentes décharnées se demandant si la signora G. reviendra bientôt reviendra un jour si elle ouvrira sa fenêtre pour arroser ses plantes peut-être lui-même en attendant pourrait glisser sa gourde entre deux barreaux pour abreuver ces plantes avant de repartir car l’immobilité pèse et l’eau glisse sur la terre trop sèche il n’a plus qu’à s’en aller sans attendre que la rue s’anime avec le soir que la terre s’amollisse d’une gorgée d’eau loin de s’imaginer pouvoir un jour regarder tranquillement par sa fenêtre des tilleuls en buvant un café ne pensant à rien seulement éprouver le plaisir de voir ces tilleuls déborder de mille feuilles vertes argentées jaune soleil secouées dans le vent la pluie le plaisir de respirer le frémissement de leurs branches sous ses yeux
Très beau texte , pourtant je trouve difficile de lire et d’écrire un texte sans ponctuation. Là très réussi je trouve.
Un grand merci Annick pour votre visite et votre commentaire. Je trouve que l’écriture/lecure sans ponctuation ouvre à quelque chose de profond – pas sans écueil – mais puissant. Hâte de lire vos fenêtres.
Relu au moins quatre fois ce beau texte pour tenter de cerner ce que je voudrais en dire… mais par où commencer ?! Ce que cette image d’enfance (je parle de l’enfance du personnage), ou un souvenir de soi derrière une fenêtre-prison, déclenche… Une succession d’émotions avec cet au-delà de la fenêtre, qui fait peur, cette confrontation avec l’extérieur qui sera forcément angoissante, heureusement ponctuée du sourire de la grand-mère et de cette jardinière de fleurs pour aboutir à un soulagement énorme (pour moi lectrice !!!!). Tout cela mal dit, mais voilà, j’ai eu l’impression en plus d’une image fixe qui se transforme en film au ras des fenêtres, des sensations, et cette image à la fin de la terre qui appelle l’eau, l’intérieur qui réclame quelque chose de l’extérieur, ou le personnage devient un extérieur rassurant, j’ai trouvé cela très fort, oui.
Merci infiniment Marlen d’avoir pris le temps d’exprimer vos sensations de lectrice. C’est très précieux pour moi. Merci !
Merci Muriel Boussarie pour ce texte sur cet enfermement et le miracle possible.Je l’ai relu aussi plusieurs fois, vous êtes bouleversante.
Merci beaucoup Simone pour votre visite. Votre commentaire me touche énormément.