Ne suis pas, n’ai jamais été physionomiste. Le visage de Julien se perd dans le souvenir de sa présence, de la tonalité de son corps comme un escargot. Son gros pull en laine aux cotes lâches laissaient passer le vent et touchaient ses tee-shirts délavés, et en-dessous son torse maigre, ses côtes lisses qui appelaient l’océan, ses côtes comme des fanons. Il était maigre mais athlétique. Sessions de surf jusqu’au soir, station allongée, en quête de vagues jusqu’au soir. Au collège il faisait craquer les filles. Il courait longtemps et son sourire était un mélange d’espièglerie charmeuse et de surprise de faire ainsi le buzz, car il ne s’était pas dit le matin devant son bol de céréales : « Cet après-midi je gagne la course d’endurance. »
Il ne me reste plus de photos de Julien et peu de souvenirs de photos de Julien. Mais je sais que sur l’une il était allongé dans l’herbe, sur le ventre, son gros pull en laine tricotée par sa grand-mère avec écrit dessus : Les Gaulois ! Dans cette position il découvrait Rimbaud. On avait d’ailleurs 17 ans ! Plus tard dans la soirée, je le revois décréter quelque chose de définitif à propos de Rimbaud, quelque chose comme « C’est incroyable » ou « C’est tellement puissant », des choses comme ça qu’il disait parfois en se cachant car il n’aimait pas les adjectifs.