À quatre pattes le nez levé, le sol défile, il est balayé par les genoux et les mains qui le repoussent pour avancer, ça va plus vite et c’est plus sûr que sur les pieds, sur les pieds on titube encore, on a besoin d’être suspendu à la main d’un adulte, on en est prisonnier, alors on lâche la main et on part explorer en quadrupédie (les parents crient c’est sale, viens ici, mais…) les yeux à hauteur de mollets on cavale et puis on s’arrête, fesses au sol où l’on ramasse de quoi tester le monde avec la langue, où l’on s’y couche et on lèche parfois pour sentir la dureté, l’âpreté sentir le monde avec sa langue jusqu’à ce qu’une main venue d’en haut, une main de père, de mère, d’adulte, de grand…, une main au-dessus de laquelle un cri se pousse « qu’est-ce que tu fais mais c’est déguelasse » ou bien « bahhh, caca », et parfois une tape sur la fesse qu’on ne comprend pas alors que quelques grains de sol mêlés de bave perlent à la commissure laissant un goût terreux dans la bouche malgré le gant de toilette qu’on passe énergiquement sur le visage pour nettoyer autant que pour punir ce sale gosse qui se traîne avec ses vêtements propres sur le sol sale de la ville, de la gare, de la poste, de partout et puis il pousse ce gosse comme la langue et il glisse autrement, ailleurs sur un sol qu’il bat au rythme du rock, semelle à plat sur la terre battue par des milliers de semelles de gosses plombées par l’alternance de la grosse caisse et de la caisse claire de John Bonham qui les ramène au sol où ils puisent l’énergie à leur tour celle qui naît des tambours de Bonham, des riffs de Keith ou de la voix de Janis, les sols se martèlent comme les futs, les corps sont devenus rock et c’est depuis le sol qu’il s’électrisent, où l’herbe a disparu, battue en rythme par des milliers de pieds dont certains nus et noirs et c’est le sol qui fait se balancer les torses, secouer les têtes, voler les cheveux, s’écarter les bras, c’est aussi au sol qu’on finit dans son vomi (c’est l’histoire d’une amie junkie qui fait tomber sa poudre sur le sol crade des chiottes d’un bar pourri et qui la sniffe à même le carrelage poisseux, puis qui lèche le mélange de poudre, de pisse et d’humidité parce qu’elle n’avait plus que ça et qu’elle en a besoin là, par terre, et que chaque coup de langue est un éclair à l’intérieur de son corps) au sol qu’on s’endort dans la boue ou contre un arbre, les jambes allongées, la tête posée sur le tronc, bouche ouverte, le bras tendu, une aiguille plantée au creux une cravate serrée autour du bras et du sang qui coule lentement, et du sang qui coule lentement, be bop a Lula, au sol dans le presque coma, alors qu’ailleurs, sur d’autres sols, d’autres gosses courent, sur des sols de course où seuls les appuis comptent, sols synthétisés pour les records, souples et fermes, codifiés, lignés où les corps s’alignent au départ ou bien tournent dans une cage avant que le marteau ne s’échappent, tout se joue au sol, la course, le saut, le lancer, on le griffe, on l’effleure (quiconque a vu courir Haile Gébrésélassié sait ce qu’effleurer le sol veut dire, regarde le, comme il vole sur le bitume de Berlin), on s’y réceptionne dans une fosse de sable ou dans une rivière qu’on essaie toutefois d’éviter en poussant bien sur la haie mais dans les derniers tours c’est plus difficile sauf pour les Kényans ou pour Mahiedine, le sol que l’on paraît tâter au départ du 100m quand les doigts se placent juste avant la ligne de départ, perpendiculaire aux autres lignes, le pouce et l’index écartés qui s’y reprennent à plusieurs fois, et c’est en appui sur eux qu’on teste la bascule en avançant les épaules, la poussée des starting-blocks (avant quand les pistes étaient encore en cendrée, on creusait les trous directement dans le sol pour y placer les pieds puis on a couru sur la terre battue jusqu’à Tokyo en 1964 encore, après on est passé sur des sols synthétiques, pour la première fois à Mexico en 68 où des hommes noirs ont couru le demi-tour de piste, le tour de piste puis le relais de 4 tours de pistes si vite qu’on n’a vu sur les podiums que des hommes noirs – à l’exception de celui du demi-tour de piste, où un australien, blanc, était là aussi–, survêtements noirs, poings levés gantés de noirs – prêtés par l’Australien – ou bérets noirs lors de l’entrée dans la cérémonie protocolaire) et qu’on s’élance après une énorme poussée sans laquelle on s’effondrerait parce que seule la vitesse garantit l’équilibre, sur ces sols-ci tout est question d’appui, on le voit dès l’échauffement comment le corps joue du sol et comment le sol lui renvoie des informations, des sensations, comme en danse, tout se joue dans l’appui, dans l’axe ou en rotation, vous avez vu le lancer de marteau comme ça pivote, comme ça accélère, comme une toupie, comment le corps ne tient plus que par la rotation accélérant sur le bout de la plante des pieds jusqu’à ce que AAAAAAAAAAAAHHHHHHHHH! ce cri qui accompagne le marteau, le corps qui se retient de le suivre, qui penche en arrière comme un drôle de pantin à qui on aurait coupé le fil, ce corps qui a stoppé sa rotation pour ne pas franchir la ligne, sinon: « essai », le drapeau rouge se lève, on ne mesure pas, on a tourné et lancé pour rien, car le juge, celui qui ne fait qu’une chose, fixer le sol, regarder la ligne intensément et s’assurer que pas un millimètre de la chaussure de lancer ne l’a dépassée, a vu que les limites règlementaires avaient été franchies, or la consigne c’est la consigne et le drapeau rouge s’est levé au bout du bras de ce petit juge parce que « les petits officiels, quel que soit leur rang, sont tout-puissants devant les Athlètes et ils font respecter les dures Lois du Sport avec une sauvagerie décuplée par la terreur » parce que « l’athlète W n’a guère de pouvoir sur sa vie (…) courir en rond, se jeter à terre, ramper, se relever, courir » et puis mourir alors qu’ailleurs, ou plus tard, sur d’autres sols dont on ne parle plus ou alors seulement parfois lorsqu’il pleut trop et que les rues s’inondent alors on en parle des sols pour dire le béton, l’urbanisation, avant, la terre buvait l’eau, c’est ce qu’on dit, et maintenant, sur ces sols des villes on déambule, on flâne, certains dorment aussi et on fixe du mobilier de métal urbain pour que les corps dorment ailleurs et qu’ils y meurent parce que les hommes morts sont dangereux et ça fait des sols de casques à pointe en temps de paix, ça fait des sols où la terre est domestiquée, où elle est battue pour qu’y joue Nadal, ça fait des sols balisés, comme sur les stades, des lignes, des bandes, des pointillés sur les trottoirs et les chaussées, tout un tas de tracés qui canalisent les déplacements et des cicatrices partout dans la ville, les avenues béantes d’avant les nouveaux tramways, les marques d’avant l’opération, l’incision aux marteaux-piqueurs, inscrites par les géomètres sur l’asphalte à la bombe de couleur, des traits et puis des chiffres, après, des morceaux de bitume comme rapiécées qu’on ne voit pas même quand on marche car on ne regarde pas ses pieds, on avance, mais si on se met à regarder le sol, les cicatrices disent la ville et son histoire comme elle crie quand on l’ouvre, le bruit sourd et sec des pelleteuses, comme elle s’écrit quand on la referme déviation, rond-point modifié, piétons passez en face, et au sol le blanc qui trace des flèches, symbolise des vélo, des fauteuils, qui réserve les places police transport de fonds taxi, qui inscrit payant ou vélo, le blanc qui remplace les clous sur les passages piétons, jusqu’à ce que l’arc-en-ciel s’en empare et que les révolutions s’inscrivent sur le trottoir ou la poésie ce qui revient au même, « parlez-moi d’amour, allez, hop hop hop »
magnifique… content de te savoir là, bro’ !
yeap!
Ça envoie et ça swingue pas mal par ici ! Allez, hop hop hop, vivement la suite !
hop hop hop, oui
J’ignore ce qu’on peut écrire après ça. A bout de souffle au bout du texte. Tout a été écrit là. Toutes les étapes de l’atelier franchies comme autant de haies sautées en une seule enjambée et ça laisse par terre… Merci
les enjambées, le souffle… on peut encore tant écrire
oui… bien fait là aussi de ne pas lire avant (quoique… ça aurait pu éviter d’encombrer)
je ne lis pas non plus les autres propositions avant d’écrire… après, c’est autre chose, c’est une découverte de voir comment d’autres écritures sont nées d’une même stimulation, ce qui a été capté de la vidéo ou de la consigne, des textes supports…
Ah cette langue, ces langues ! Lignes sinueuses entre l’individuel et le collectif faites de zooms, d’aller-retour, et puis se surélever… Un ressenti à cet instant de lecture, merci.