les mardis #02 | Le mazot

La porte est en bois, comme le reste du mazot. Du gros bois, mais pas du bois grossier, du bois solide, épais, du bois de forteresse, forteresse lui-même. La porte est d’un seul bois, d’un seul morceau de bois, un morceau d’un seul arbre, une seule pièce, unique. Bois sombre, veines serrées les unes contre les autres jusqu’à ne faire qu’une seule, ici aussi unique. La dureté d’une cuirasse, mais si doux au toucher, lisse, travaillé, raboté avec soin, on entend presque encore le glissement de la varlope qui caresse la planche dans le sens de ses fibres. Dégager le long copeau de la lumière de l’outils et recommencer jusqu’à ce que la main passe sur une joue de bébé d’un côté jusqu’à l’autre, dans l’autre sens aussi. Du bois presque métal pour son glissant de glace. Du métal juste un peu, pour les clous des pentures cachées à l’intérieur. La serrure elle aussi se dérobe à la vue, elle reste à l’intérieur, sa présence est trahie par le chas qu’on découvre en tournant une petite plaque de métal, juste de quoi empêcher les guêpes d’y faire leur nid et ne laisser la voie libre qu’à ceux qui ont la clé. Pour que tout soit étanche, aux rongeurs, aux voleurs, la porte n’est pas coupée comme un vulgaire rectangle, les bords sont taillés de biais, tous selon le même angle, c’est une porte en cône qui s’adapte toujours, du mieux qu’il est possible, que le temps soit au sec ou encore à l’humide, elle ferme parfaitement. On s’incline pour entrer, hommage aux bâtisseurs et à ce que contenait de précieux le mazot.
Dans le sombre de l’intérieur, en haut, deux longs tasseaux et des arceaux d’osier, trente emplacements prévus pour les trente pains du mois et aussi de quoi pendre quelques beaux saucissons et un ou deux jambons, les années à cochons. Construits sur le plancher, cinq immenses bacs en bois, des cubes qui vous montent au moins jusqu’à la taille, de quoi tenir un an et un peu de réserve, des bacs pour mettre le grain, nourriture et semence. De quoi tenir un an et puis recommencer.

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

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