#mardis #02 | Pourquoi?

27 rue Henri Martin, trottoir étroit, immeuble d’angle, une marche, basse, étroite, ordinaire, une porte. Marron. Marronasse. La couleur fanée par le soleil de la rue étroite, sombre, humide. Soleil têtu il a fallu. Il a le temps le soleil. Peinture fanée, écaillée. De l’ongle, ongle court, suivre les pelures de peinture, les stries, fentes, doucement, peinture déjà assez écaillée. Porte d’un immeuble ordinaire, avec motifs toutefois. Des rectangles bizutés, des strates de bois, de rectangles dans des rectangles. Les compter? Pourquoi? Suivre les ressauts du bois, les arêtes, se méfier des échardes. Ni poncée, ni repeinte. Pourquoi? Jouer avec le couvercle métallique de la boîte aux lettres, ouverture basse, horizontale. S’accroupir, cligner des yeux, tenter de voir derrière. Pourquoi? Imaginer  les publicités, les journaux gratuits entassés au sol. Chute silencieuse de papiers, et encore et encore. Pourquoi? Passer un doigt, deux doigts, discrètement. Métal froid. Glisser un mot, un mot qui viendrait s’ajouter aux publicités, aux gratuits, un mot qui traverserait la porte. Pour qui? La poignée tel un champignon pointu, tarabiscoté, mordoré. Il faut l’empoigner la poignée si l’on veut la faire tourner. Trop haute, malcommode, pour gaucher qui sait? Pour la tirer la porte, la faire claquer, la pousser. L’autre main tenant la clef. Si clef on a. Une main, deux mains, trois mains. Celle pour le champignon en haut à gauche, une pour la clef, si clef on a, une pour tirer, une pour claquer, une pour pousser. Et une troisième. Pour frapper. Main suspendue, main pendante, main qui attend. Qui attend d’être saisie, saisie et relâchée. Une fois, deux fois, trois fois. Et chacun de compter. Est-ce pour moi? Quel étage? Pour ceux du troisième. On suspend la conversation. Combien de coups? Main noire qui rappelle celle des cimetières, celle des tombeaux, main fermée. Ne pas laisser traîner un doigt quand retombe la main morte. Ne pas y aller de main morte, quand ça tape fort, on dit. Tout en haut de la porte, deux carrés de Plexiglas, poussiéreux, comme des vagues de poussières, de boue. Pour éclairer la cage d’escalier. À croire que le soleil est têtu. Sinon pourquoi? La secouer la porte, chercher la clef, longue, dorée, lourde. Ouvrirait-elle? Ne pas essayer. 

A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...

3 commentaires à propos de “#mardis #02 | Pourquoi?”

  1. Un texte en miroir inversé de ma porte fantôme. Une porte oubliée et ici, l’écriture scalpel qui palpe chaque fragment presque de cette porte, une obstination à décrire, et puis ensuite une attention au corps, à la main, et enfin cette fin étrange, fantastique, inquiétante, glaçante par moments. Une écriture têtue. J’aime aussi l’usage des phrases courtes dans ton texte. De cette porte naît une tension qui s’accroît au fil du texte. C’est clair qu’on craint d’essayer de l’ouvrir…

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