Dans ton souvenir, la porte n’est plus. Elle a disparu. Pourtant, tu l’as franchie ce soir-là. Une fois la porte ouverte, tu as posé le pied sur le seuil gris cimenté encore tout tiède dans le soir d’été. Pour retrouver la porte, il faudrait retrouver la photographie de cet autre jour. Ta sœur déguisée et maquillée, assise sur le seuil cimenté avec les talons de votre grand-mère maternelle. La porte était derrière, dans le cadre. Forcément. Mais pour l’heure, la porte se ferme. Le bruit de la porte qui se ferme. Car ils l’ont fermée avant de partir et de vous laisser, ta sœur et toi. Tu l’as entendu, ce bruit de porte qui se ferme. Tu l’as guetté. Ce bruit. Un claquement. Sans doute. Le claquement et puis le silence. Dans la pénombre des volets fermés, les lamelles de lumière du soir d’été qui tombe découpent le silence, et dedans, sans doute, la respiration régulière de ta petite sœur, au-dessus de toi, dans le lit superposé. Tu ne sais plus. Peut-être. Mais, le silence sur la porte d’entrée de la maison qui vient de se fermer. Ca tu te souviens. Une porte, l’été, on la laisse ouverte, surtout le soir, pour faire entrer la fraicheur. Mais ils l’ont fermée. Car ils sont partis. Quand on part, on ferme la porte. L’ont-ils fermée à clé. Tu ne sais plus. Tu ne sais plus, si au bas de l’escalier, face à la porte fermée, tu ne sais plus si tu as dû tourner la clé. Y avait-il seulement une clé à tourner de l’intérieur. Un verrou peut-être. Un peu en hauteur. Tu as peut-être dû te mettre sur la pointe des pieds pour tourner le verrou. Tu ne sais plus à quoi ressemblait le verrou. S’il y en avait un. Tu ne sais plus la matière de la porte. Sa couleur. Porte lisse. Porte à moulure. Porte en bois. Ou pas. Dans la pénombre intérieure de ce soir d’été, tu as tourné la poignée. Ou le bouton de porte. Tu ne sais plus. De l’autre côté de la porte, la rue écoute : elle est vide et profonde. Elle ne s’arrête jamais. Elle dévore tout sur son passage. C’est l’été au carrefour des trois maisons, et ça ne l’est pas. La forêt n’est pas loin. Les larmes sont sorties de leur lit. Le cœur déborde. Le père a eu honte, dira-t-il plus tard. Le soir et l’enfant tombèrent. La mère, elle, ne sait plus, elle non plus. Sans doute ne pourrait-elle pas décrire la porte d’entrée, elle non plus. La fillette dort, ou pas. La voisine vaque. De tout ça tu te rappelles. La porte franchie, tu ne sais plus.
4 commentaires à propos de “les mardis #02 | Perec, porte fantôme”
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Merci pour ce texte tellement touchant , à hauteur d ‘enfant, dans le souvenir, et puis cette porte est franchie et une histoire qui voudrait se dérouler mais ne se dit pas. Nous, lecteur, simplement confident , d’un souvenir incertain. Un texte où beaucoup d’émotions tapent à la porte…
Merci Carole d’avoir pris le temps de cette lecture et de ce message. Je vais chercher ta porte 🙂
J’aime beaucoup ce texte, son rythme, ses phrases courtes. On suit l’enfant, pas à pas, on retient le souffle.
Merci Betty pour ton retour. J’aime aussi beaucoup ton écriture et ta voix aussi dans nos ateliers du mardi.