#mardis #01 | Perec, dormir en mouvement

dans le noir de l’avant l’aube et le demi-sommeil du départ en vacances transbahutée dans les bras de mon père déposée à l’arrière du camping-car les rêves bientôt striés de réverbères dans la fente ajourée du rideau à pression, et sous la joue le rêche de la couverture et le frais de la nuit qui fait s’enfoncer un peu plus encore dans le sac de couchage et dessous le moteur et le corps qui vibre dessus et les rêves qui absorbent la route

et le corps douloureux à force de se recroqueviller et les voyages de fête quand par miracle l’avion n’est pas plein et que le corps peut se déplier sur trois ou quatre sièges, ceinture malgré tout attachée pour ne pas être réveillée par le personnel de bord pendant les turbulences

en voiture où le corps, surpris par le sommeil, résiste parfois puis finit par s’abandonner, les yeux se ferment, la bouche s’ouvre, la tête peine à trouver assise stable, et puis la sensation de la main voisine qui parfois la remet d’aplomb, et le réveil tout soudain dans le rêve d’une chute brutale – on a manqué une marche – et l’on se rassure, ce n’était rien, le paysage a changé, c’est tout

où l’on s’était promis un lever de soleil sur les Îles Sanguinaires, et puis finalement l’opportunité de dormir en cabine, et quand on ouvre les yeux, on s’aperçoit qu’il est trop tard et l’on se dit qu’on aurait préféré dormir sur le pont à portée de ciel de mer de lune et de lever de soleil

sommeil qui-vive, en alerte, pour ne pas manquer la gare… où l’on sait où l’on s’endort sans savoir où l’on va se réveiller, paysages en aguet, aimer cet état de demi-somnolence où le corps et l’esprit absorbent tout de la lumière et de la nuit du paysage urbain et du paysage rural, et des visages croisés furtivement, et l’on se dit que ça doit faire matière à rêve tout ça

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

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