Écrinière
Si j’étais écrinière, je me consacrerais aux jus de mots. J’ai tout étudié de la chose, sauf les fonds brun et blanc nécessaires à pareil mouillements cérébraux.
Je ne suis pas écrinière et je me console en imaginant mon jus de mot attendant préposément établi à même une table basse de designer italien des années 1950, légèrement rayée, mais tellement plus vivante du fait, qu’un Jude Law enlace le verre en cristal de baccarat, modèle Longchamps. Mon plan : non seulement attraper mais rendre le jus de mots à mes semblables qui savent de lui bien peu de choses, j’entends par là les gens des vils qui voient s’extraire le bon mot de quelques ébouriffantes chroniques, si tant est qu’ils le voient, derrière les fréquences hertziennes d’autrefois ou les galimatias électroniques d’aujourd’hui, les salons d’en face ou dans un boudoir d’antan fait d’obscures lumières à clignotement cérébral, laissant présager plus une crise d’AVC qu’un éclair de génie divinement accordé.
Par expériences et téléphone portable, je sais qu’un bon jus de mot n’excède pas vingt secondes de dégustation entre apogée et déclin, deux choses que j’éliminerais pour ne laisser que sa saveur exactement intacte, son kaléidoscope d’imperceptibles mutations ; on aurait ainsi jus de mot de ceux qu’on appelle « liés » et qu’on passe avant le jus d’esprit pendant que les gens s’installent et regardent le paysage comme s’ils étaient encore dans la vie ou dans la mort.
Impossible de prédire le destin de mon image ; les gens vont au paysage pour s’oublier et un jus de mots tend précisément au contraire, c’est l’instant où nous nous voyons peut-être un peu plus à nu, c’est en tout cas ce qui m’arrive, et c’est pénible et utile ; peut-être que d’autres en feraient aussi leur profit, on ne sait jamais. Mais Je sais que Jude Law le kifferait grave.