Manger seule des choses simples. Des aliments modestes qui changent très peu d’état, simplement bouillis la plupart du temps, sinon grillés quelques minutes à la poêle. Pour ne rien user de superflu, choisir des ustensiles qui ne requièrent ni soin particulier ni lavage spécifique, pas de préoccupation plus grande, pas d’après encombrant, pas de table bien mise pour que les enfants y trouvent leurs repères. Manger seule et oublier toujours sur la table quelque chose. Même essentiel. Un verre d’eau. Manger seule c’est déjà quelque chose. Mettre la table pour soi, c’est à dire ne pas la mettre : juste une assiette comme on le ferait pour un chat. Une écuelle. Faut-il écouter quelque chose ? S’occuper l’esprit seule pendant que l’on mâche ? Passer un appel mais c’est peu commode alors on oublie, on oublie que l’on était là dans la cuisine juste pour manger, pour manger seule. Manger simple et sans manière. Ne pas déranger la pièce bientôt vide à nouveau. Poser son assiette avec encore trois brins dedans dans l’évier. Partir comme si l’on avait pas dérangé, que l’on avait juste un moment bref, un moment contigu, mangé seule sans rien froisser.
Et pourtant plus l’on mange seule et moins l’on ne voudrait manger autrement. Manger seule c’est choisir de ne presque pas manger si l’on n’a pas d’appétit, de rompre avec le rythme des entrées, des plats, des desserts, des cafés qu’on sert à la truelle. C’est manger libre de ne pas le faire, à chaque bouchée. Sans bruit. Pouvoir dormir à la place de manger. Pouvoir choisir l’heure et l’habit. N’avoir d’autre pensée que ce que l’on se mettra entre les dents. Des pâtes, du riz, trois fois rien, promener son regard sur les conserves, vingt ans à nouveau, n’être plus qu’un corps libre de ses envies, qui écoute son ventre et se moque du reste. Et même les poules je ne leur ouvre pas, car je ne veux avoir de compte à rendre à personne, et pouvoir à tout moment fausser compagnie.
Manger seule des tomates à la mozarella
Manger seule des pâtes au brocoli
Manger seule des pâtes au beurre
Manger seule des pâtes au fromage râpé
Manger seule des raviolis
Manger seule du riz au brocoli
Manger seule du riz au beurre
alors ce manger seule – pouvoir à tout moment fausser compagnie c’est un sacré raccourci qui donne furieusement envie d’explorer tous les à qui à quoi et les comment fausser compagnie…
Thème intéressant. A l’oreille, il y a quelque chose qui fonctionne moins bien dans le deuxième paragraphe par rapport au premier. Le premier apparaît plus fluide, le second plus heurté, peut-être les phrases sont-elles plus longues. Et pourtant, j’aime assez la voix qui se dégage du texte, et l’on y trouve beaucoup d’images très douces.
Je retrouve des instants précieux ! Ça donne de la matière à la solitude librement consentie ! Merci
Belle idée le thème de « manger seule ». Le texte dit les gestes réduits au minimum, à l’essentiel pour un temps dont on ressent qu’il est vécu en douceur et pleinement. L’utilisation de nombreuses négations donnent à entendre ce que pourrait être « ne pas manger seule ».