Mange tes morts, mais pas à la façon des guayakis
L’amertume du goût de cendre dans la bouche c’est pas pour ta génération pasteurisée, aseptisée . Les doigts dans la confiture de radis bleus à la rigueur… mais gare â l’extrême douceur qui parfois écœure.
Mâche tes mots Tourne sept fois la langue dans ta bouche Bois ses paroles Ne joue pas avec la nourriture Pleure tu pisseras moins
Crache ton venin, si les relations étaient fielleuses, dénerve les noeuds qui enserrent tes rancœurs Quelle que soit ta préparation de fugu, n’oublie pas qu’eux sont à l’abri, tu restes seul survivant pour cette roulette russe culinaire. (Laisse aux tombés du ciel le soin d’avaler la ciguë, goûter le poison qui tue.)
Nourritures célestes qu’est-ce qu’ils y connaissent les bouffeurs de pissenlits par la racine?
Si à Bali, chiens et singes se disputent les biscuits des offrandes qui jonchent le sol, qui a bravé les superstitions pour goûter les soul cakes de Thanksgiving?
Mange tes morts pour conserver, un souvenir sensible, un souvenir tangible. Garde le goût pour tes morts, les goûts et les couleurs du vivant ça ne se discute pas , mais fais survivre les goûts de tes morts , les saveurs d’antan d’autrui, du temps où ils croquaient la vie à pleine dent. Cuisine pour tes morts,régale-les. Leur friandise préférée, ce qui affriolait leur salive, les comblait, leur faisait murmurer Mmm avant même que l’aliment n’entre en contact avec les papilles… Convoque les esprits de tes chers défunts, pour partager des agapes de choix avec eux
Mais qu’est-ce qu’ils ont mangé pour la dernière fois tes morts ? est-ce que l’appétit était au rendez-vous de leur dernier repas, y avait-il de la poule faisane du Périgord et même du vin d’Arbois ?
Feuillette le catalogue « no seconds » des derniers menus des condamnés photographiés par Henry Hargreaves , assiette vide; olive avec son noyau; crevettes grillées avec bucket KFC frites grasses et fraises natures dans la même assiette; queue de langouste, steak, tarte aux pommes avec sa boule de glace vanille en regardant le seigneur des anneaux; (soupe, viande toasts et thé pour deux condamnés à la chaise électrique , peut être innocents affaire non classée) ; un litre de glace menthe chocolat avant injection létale; ou celui qui demande une tarte aux noix de pécan et la laisse pour plus tard…
Compose la liste des ingrédients qui ravissaient le palais de tes disparus, mêle tes souvenirs aux leurs: tâte, choisis, soupèse, tranche, râpe, effeuille, cisèle, marine, mijote sans bouilliner: mange par procuration, mange pour tes morts, laisse cette cuisine moléculaire ou non émulsionner et prendre corps .
Magnifique!on en ressort étourdi
Oh merci Géraldine! ce texte, surgi hier soir, posté de suite sans relecture ni réflexion, juste avant que la nuit ne porte conseil, et que je le triture ou ne l’efface d’un clic… votre message ce matin lui a sauvé la vie d’une probable disparition…
Et maintenant je vais pouvoir savourer les textes des autres… en commençant par celui qui dit que les bonbons valent mieux que la raison…
Merci, Sophie, pour l’injonction et les variantes « Mâche tes mots Tourne sept fois la langue dans ta bouche Bois ses paroles Ne joue pas avec la nourriture Pleure tu pisseras moins », le rire que cela fait venir. Pour le conseil (« pas à la façon des guayakis », ben oui, on va éviter). Pour la phrase « Compose la liste des ingrédients qui ravissaient le palais de tes disparus, mêle tes souvenirs aux leurs » et l’idée que cela me donne, merci.
Merci Agathe pour ce partage de venue de rire, et ces petites notes de lecture qui prouvent que finalement ça valait tout de même le coup de le partager ce texte… il est peut-être encore un peu bancal, on verra si les fantômes lui inspirent quelques entremets, amuse-gueule ou trous normands… Je le réserve encore un peu. Je vais pouvoir aller lire les autres, mais déjà l’appel des échos de nos textes !! Trinquons au grand Jacques pour commencer!! Je ne manquerai pas de commenter votre texte ! Coup de cœur pour cette variation-là!!