Les mains derrière le dos le regard en l’air elle doit contempler le ciel ou les oiseaux les pieds sanglés dans des souliers de tissu à la semelle suffisamment épaisse pour ne plus sentir le sol et ses aspérités ses chausse-trappes ces boursouflures dans le ciment des chaussures qui l’empêchent d’anticiper la chute elle qui tombe si souvent se souvient-elle de ce rideau de tissu imprimé derrière elle qui occultait l’entrée de la cuisine avec ses pompons à franges était-ce bien la cuisine son carrelage aux petits losanges colorés doux à la plante du pied à laquelle on accédait après le palier surélevé bétonné de la terrasse la terrasse un univers celui dont son corps se souvient le mieux sans doute parce qu’elle y passait son temps à rêvasser dans la poussière et la lumière aveuglante tout reconstituer tout car aucun souvenir vraiment mieux vaudrait parler essayer au moins de la ferme des vacances de Pâques la longue route sur la nationale 7 les chansons durant le trajet sous la pluie d’avril puis les départementales et les questions sur l’arrivée qu’on répétait sans crainte alors quand est-ce qu’on arrive traverser les vallons verdoyants et les prés s’étonner de l’immobilité des charolaises sous le ciel gris avant d’apercevoir au bout du chemin gravillonné la ferme y avait-il un portail oui sans aucun doute mais où se cache-t-il dans son souvenir seule la tonnelle subsiste sur l’écran de mémoire et puis le banc devant la porte d’entrée elle n’entrera pas justement pas en ce moment c’est l’extérieur qu’elle fouille des yeux sans être sûre de son constat le petit portail de bois tout à droite au fond de la cour avant le pré mais où se trouvaient alors le poulailler la porcherie tout cela elle l’imaginait devant impossible deux maisons se confondent la Crêpière en surimpression une autre longère pourtant sans jamais aucune poule ni cochon trahison des traces avec un escalier à la rampe de fer forgé tout de suite sur la gauche de la bâtisse je n’y entrerai pas non plus l’abri à bois sous l’escalier qui évoque l’autre encore plus ancien de la maison d’enfance où s’est cachée longtemps la honte d’avoir découvert mais plus encore lu les courriers interdits manquerait à la liste celle-ci de maison route de Grillon avec sa cour et son grenadier et l’escalier extérieur qui mène elle ne sait où dedans tombé dans les oubliettes ne reste que ce cube et son toit à deux pentes et la rue devant la route plutôt où le chat noir avait perdu la vie bien après la maison jaune l’appartement de la grand-mère dans une cour du Nord qui rayonne encore de sa cuisine de formica où tout s’invente aussi à chaque récit à chaque tentative de remémoration parce que les émotions réclament de vivre encore
parfait… sensuel et rêveur (mais pas que)… je crois y être (nous dirions la grande soeur en trichant pas mal)
ah mais ça me va bien, moi, la grande sœur !
J’aime beaucoup. Ces détails sensuels et pensifs qui surgissent des plis de la mémoire, glissent et se superposent. Et … « rayonnent encore » ! Merci Marlen Sauvage
la petite fille sur la photo est craquante 😉
Oh ! merci Déneb !
et voilà ! de l’utilisation des blancs auto-gérés !!! Mais bien sûr que ça s’imposait, et (au passage j’adore cette photo) pour dire toutes ces hésitations, ce balbutiement des souvenirs, les blancs dans la mémoire.
Je crois que je vais avoir souvent recours aux blancs compte tenu de ma piètre mémoire…
Ce refus d’entrer qui revient pour traquer ce qui s’efface et ces blancs et ces questions et enfin la dernière phrase j’adore. Merci
Décidément, Anne, tu éclaires mon écriture d’un jour nouveau… je t’en remercie infiniment…