La maison d’autrefois. Entre la Promenade et la vallée des prés. Volets fermés. Rose hospitalisée n’y reviendra pas. Visiter ce lieu en pensée. Une porte massive. Lourde à pousser qui grince et résiste. Des tentures aux pompons soyeux : plaisir enfantin de les caresser. Dans un coin des chaussures fatiguées en vrac. Sur un escabeau une paire de ballerines en vernis noir, étincelante. Surprenant ce souvenir : jamais dans cette maison un enfant n’a vécu. Rose était célibataire, revêche. Elle n’aimait que son chat. Alors ? Ces souliers sont ceux issus d’un conte de fées !… Une porte vitrée. Un couloir. À son extrémité un trou de lumière qui vous happe vers l’extérieur. Le soleil illumine la vallée des près. Sur le balcon un seau de tôle. Empli d’eau. Va et vient incessants de Rose. Elle emplissait son seau à la fontaine, l’installait sur le balcon. Eau chaude assurée pour ses besoins ménagers. Son domaine était la cuisine. La cuisine ? La seule pièce ouverte aux visiteurs. Chauffée l’hiver par la grosse cuisinière. Et toujours sur la plaque une cafetière. Le café attendait, de plus en plus amer, de plus en plus écœurant au long de la journée. Mais de douces odeurs de pommes — celles du verger –, de caramel, de soupe de floraline – sa spécialité ! –. Quoi d’autre ? Son fauteuil devant la fenêtre, rideaux soulevés, histoire d’espincher les passants, et son tricot, toujours le même, elle fabriquait des chaussettes de laine été comme hiver. Pour qui ? Les pauvres de la paroisse ? Ou peut-être, telle Pénélope, les défaisait à la nuit tombée ? C’est certain, le chat jouait avec les pelotes, elle le laissait faire, tolérante à son égard. Il se faufilait dans sa chambre, pourtant interdite. Une seule fois, un aperçu sur celle-ci. Rose malade geignait dans son lit, sous le regard éteint d’un petit jésus en cire emprisonné sous un globe de verre. Un trésor merveilleux, robe de soie brodée de myosotis et de bleuets, fleurs de crépon chiffonnées, chevelure dorée cernée d’une couronne de fleurs d’oranger. Qui possédera cette merveille à la mort de Rose ?, se demandait l’enfant, je lui adresserai mon plus beau sourire, elle pourrait être mienne. Et d’autres objets de convoitise : l’éventail espagnol et ses castagnettes, les marionnettes chinoises vêtues de robes de brocart, l’encrier de cristal sur sa feuille de bronze. D’où, de qui les tenait-elle, elle qui jamais ne quitta son village ? Aujourd’hui, une autre question : qu’est devenu le chat ? Le chat dont elle a oublié le nom.
Elle a oublié aussi les pièces sombres, aux volets toujours tirés… oui, dans la salle à manger, le poêle, un poêle en fonte verte émaillée et les portraits d’ancêtres qui la terrifiaient, ce vieillard à la moustache conquérante à la poitrine bardée de décorations, cette petite femme fripée comme une pomme, yeux baissés, croix énorme entre ses seins flétris. Entre eux deux une gigantesque bassinoire de cuivre… Et dans la resserre, d’énormes ballots de toile emplis de tilleul, des paniers d’amandes, de noisettes, des bouquets de thym et de laurier, des gerbes de lavande, des pots de miel, des tapettes qui guettaient les souris, des rubans de glu pour attraper les mouches en vol, gare à toi, fillette, si tu y touches, ton sort est certain, celui des souris, des mouches. Rose, elle ne l’aimait pas. Sa maison, oui.
La maison de Figuil
Des maisons-cubes Maisons-béton Ceinturées de hauts grillages Protégées Une guérite Un gardien en uniforme cimencam Des arbres Une piscine Des allées cimentées La maison de Claude Identique aux autres Différente Il y habite
Une pergola de tôle Un fouillis de lianes Parfois un serpent Quand il pleut les crapauds-buffles dans les rigoles Énormes Quand il pleut des termites en nuages tourbillonnants
Le jardin à droite Philippe y travaille Il est fier de ses rangées de haricots
Pousser la porte Non Tambouriner La porte s’ouvre Baba empressé soupçonneux
Le séjour Le fracas de la clim Les fenêtres fermées Tenir éloignés les moustiques les araignées Des fauteuils d’osier Des chaises à palabres traditionnelles bois finement sculpté Quoi d’autre ? Des masques L’un blanchi au kaolin visage énigmatique triangulaire presque féminin yeux clos L’autre noir massif barbare un front bombé
des scarifications brunes Le dernier tout en rondeur ronds les yeux ronde la bouche grande ouverte rieuse incrusté de cuivre de perles de cauris Esprits des ancêtres
Sur la table basse des canettes de bière une bouteille de whisky Réconfort des hommes expatriés Éviter de déplacer les objets Baba veille Silencieux Il glisse pieds nus dans la maison Soudain devant derrière vous il surgit Il range Il est le gardien des lieux retiré derrière une tenture en batik des pintades noires et blanches y piètent dans les herbes de la savane Lui piète dans la cuisine son domaine Difficile à décrire
Oublié Si peu acceptée Si vite refoulée de l’autre côté celui des blancs A la rigueur piquer une mangue dans la corbeille Entrouvrir le congélateur bourré de pintades produit de la chasse La cuisine rutile Carreaux de céramique blanc et vert Baba vêtu de blanc impeccable cérémonieux visage fermé Il parle avec Claude pas avec la femme qui régulièrement perturbe sa tranquillité Une étrangère Se replier vers la chambre Immense Fracas de la clim Fenêtres fermées grillagées Au plafond un margouillat éclatant de couleurs Attiré par la lampe il happe les insectes D’une visite à l’autre, le même ? Il cligne de l’œil quand nous faisons l’amour dans le lit Immense Un lit comme un radeau de tendresse dans la maison sévère Maison d’un expatrié Un homme seul prudent Dans la salle de bain a posé un gourdin Un serpent peut remonter par les canalisations se pointer dans la baignoire les w.c. L’assommer Sa frayeur toujours
Elle n’a en mémoire que le gourdin le serpent sa peur Le vide autour Rien
Mais son plaisir à elle ouvrir la porte-fenêtre braver la chaleur et les bestioles du dehors
entrer dans le monde vivant dans le chant des tourterelles rieuses dans la rumeur du village les cris des enfants les rires Sortir de l’enfermement Partir