Moi, Poecilotheria metallica, plus communément mygale ornementale bleu saphir ou mygale de Gooty, originaire de l’Andhra Pradesh en Inde, résidant habituellement à Chennai, je vais faire ma toile et émettre un son subtil durant toute sa fabrication — froutch — Moi, araignée arboricole je ne me demande plus ce que je fais là, si loin de chez moi dans cette petite ville dont pour l’instant je me contente d’observer ce petit hôtel, son jardin et cette chambre. Y aura-t-il des insectes en suffisance, des lézards et des grenouilles ? Je suis vorace, je rêve d’abondance. Je vais me faufiler dans le jardin cette nuit et comblerai mes désirs. Pour l’instant, voyant que la femme ne semble pas vouloir quitter l’hôtel ni fixer une autre destination, je m’attelle à l’ouvrage. Mon abdomen rebondi diffuse par sa filière, sur un rythme lent et sûr, un fil de soie unique, le fil principal qui va s’accrocher au-dessus de l’armoire près de la fenêtre. À partir de là je me laisse glisser vers le sol pour former un cadre en forme d’Y, j’attache ensuite des brins comme des rayons d’une roue et tisse par-dessus une spirale puis à partir de cette spirale j’en tisse une autre plus tendue en soie gluante. En dépit du temps requis, cette réalisation architecturale me satisfait. Je ne sais pas ce que je vais devenir, en attendant je me balance sur ma toile et je réfléchis. Bien sûr me reviennent des propos si souvent entendus à propos des toiles d’araignées — étranges figures, travail de patience mais construction diabolique et prédatrice, soit un paradoxe subtil de réussite malfaisante. Voilà bien les préjugés. Regarder de plus près encore, je travaille avec un matériau noble fabriqué par moi-même, le fil de soie, je jette un œil pour choisir les points d’attache de ma future toile, et si je donne l’impression de confusion, en fait aucun doute ne m’assaille, j’atteins toujours mon objectif, réaliser un efficace réseau de fils maintenu et fixé aux attaches préalablement choisies, exécuté à partir d’un point central. J’aimerais que cette femme, j’ose le dire, ma colocataire non encore avertie, suive tous mes parcours, tant elle semble indécise, sans amarres à portée d’elle. J’aimerais lui montrer qu’elle aussi à sa manière pourrait construire un labyrinthe qu’elle contrôlerait, pas celui où elle semble actuellement se perdre, celui dont je présume l’existence depuis son enfance peut-être. Plutôt que d’aller dans tous les sens de manière désordonnée, confuse, discontinue, se centrer et mieux appréhender son chemin. Toutefois, comment dialoguer avec elle ? L’initier au tissage de toile personnelle ? En premier lieu, capter son attention sans lui faire peur, ensuite le dialogue pourra s’installer. Ma couleur bleu saphir admirable et mon odeur camphrée proche d’une épice indienne, la cardamome, pourront la séduire. Je vais préparer une description de ma personne de manière à la familiariser avec mon aspect et mes manières de vivre. Je préciserai que je me nourris de proies vivantes en commençant par les immobiliser et en injectant ensuite une quantité suffisante d’enzymes digestives dans la proie pour en liquéfier le contenu avant de l’aspirer. Je soulignerai l’absence de sadisme dans ces opérations, et simplement le souci de bien me nourrir. J’évoquerai mon amour des arbres, de la nuit en raison de ma photosensibilité. Et un avantage par rapport à d’autres araignées je peux vivre très longtemps, une vingtaine d’années. Actuellement je suis jeune, j’ai sept ans. J’ai un avenir devant moi que je compte bien remplir par une vie intense, originale et tendre. Et me trouver ici après tant de péripéties, c’est un signe du destin dont je me dois de tirer grande satisfaction. Pour entrer en contact avec la femme sans l’effrayer, je vais me poser sur la table et recroqueviller mes pattes. Puis je les placerai sous mon abdomen de façon à laisser apparaître une jolie forme bleue. C’est mon point fort, mon atout, mon pouvoir de séduction, mon bleu saphir est envoûtant. Elle oubliera ma forme et plongera dans ma couleur comme dans un océan. Elle lèvera les yeux et revivra des souvenirs heureux, des rencontres passées. J’ai noté qu’elle a dans son sac plusieurs vêtements bleus, bleu azur, bleu persan et bleu-roi. J’en déduis que les pouvoirs vibratoires du bleu vont pouvoir opérer. J’espère ainsi éveiller sa curiosité qui la décidera à me prendre dans sa main. Il me restera à déplier lentement mes pattes et à prononcer quelques mots simples, comme — n’aie pas peur de moi, je ne veux pas te faire mal, j’ai simplement envie d’échanger avec toi— Bien sûr que va-t-elle penser de ma voix ? si différente des voix humaines, le timbre en est tout différent, très aigu, haut placé — critch, critch— moi j’ai déjà entendu la sienne, son débit est un peu uniforme, son timbre grave. Allons-nous nous comprendre ? Oui je pourrai bouger mes pattes, les accorder aux mouvements de ses mains, de ses bras, avoir une attitude de fermeture ou d’ouverture. Mon rêve, marcher sur ses mains puis atteindre son cou et déposer une sorte de baiser sur sa joue. Bon, là je me laisse aller, ne brûlons pas les étapes. Patience et rigueur.
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Patiemment Poecilotheria metallica tisse sa toile comme elle l’a toujours fait… j’adore ses petits bruits, peu à peu elle nous apprivoise…
rEt selon ses projets, ce sera bientôt le tour de la femme qui habite cette chambre d’hôtel…
Impatiente de la rencontre, ajustement des langages en perspective
merci de ton passage