Un bouquet soigneusement ébouriffé avance devant deux lèves étirées qui s’ouvrent pour un « Ma chérie » – le i strident monte en grand élan, dépassant la hampe du point d’exclamation qu’il remplace – et des yeux froids au dessus… prendre le bouquet avec un « merci chérie » calmement plat jusqu’à l’indifférence, se retourner vers une adolescente, lui tendre les fleurs, commencer à dire « ma ché… » s’interrompre, corriger par un « ma douce veux tu… » en y mettant sourire et un peu trop d’imploration – juste un peu trop, mais, chance, elle semble le prendre bien –, faire face au sourire pétillant qui suit, saluer avec des yeux tout aussi pétillants le « ma chérie », se pencher sous le chapeau, embrasser le visage qui rit en regardant le dos de la dame précédente, s’attarder pour un petit dialogue à l’insignifiance amicale… plusieurs saluts-prénoms auxquels réagir avec plaisir plus ou moins sincère, un « ma belle » qui mérite une grimace ironique et un rire partagé, des « chérie » gentiment insignifiants sortant de visages clairs et amicaux, quelques « tu » ou « vous », et pour finir des mots qui se pressent, essoufflés, comme toujours, émis comme peuvent par cette drôle de bonne femme si gentille et exaspérante : « ma chérie pardon pour ce retard mais tu sais ce que c’est… une respiration… mes pauvres chéris… » à couper, ou le tenter, d’un « ma pauvre chérie ».. et la comédie introductive s’achève. La belle et grande mater, l’ancêtre de la famille, impose à ceux qui l’entourent figés verre en main, et à ceux qui, installés dans des coins du jardin et leur conversation ne l’entendent pas, un « merci à vous tous d’être là pour la fêter, je vous.. », deux adolescentes passent des plateaux et indiquent l’emplacement du buffet, des mains se tendent en silence, d’autres s’accompagnent d’un « merci » ou même « merci chérie », qui cette fois sont signe de familiarité plus grande, avec un sourire et parfois une question sur leur scolarité à laquelle la répoonse se veut inaudible. Redevenir anonyme, circuler entre les « chéris » ou « moins chéris », écouter quelques admirés, répondre d’un sourire mécanique en cherchant le nom de la personne qui vous adresse quelques mots… trois femmes penchées sur un couffin s’extasient sur la joliesse de la « petite chérie » qui dort, ses petits poings bien serrés, sous un drap brodé, avec une sincérité aussi totale que passagère, la grand-mère admoneste d’un « du calme, mes chéris » englobant, la bande de gamins joyeux… rencontrer quelques regards accompagnés d’une phrase polie contenant le « ma chérie » de rigueur et répondre un peu au hasard avec un sourire qui voudrait mordre, retrouver avec joie vieilles amies d’autrefois dans le confort de ce plaisir qui rend les mots échangés (pas de « chérie », là ou ce serait au risque d’un fou-rire) presque inutiles, ne pas penser à un ou des absents, sourire à des oubliés que l’on oubliera et puis le bonheur, au coin d’un buisson, de deux bras et d’un « ma fille chérie » paternel.
image © Brigitte Célérier – Avignon
précieuse, narquoise, tendre, c’est tout vous ma chérie !
… une voix, un ton, un mot de plus qui changent tout de ce tristement récurrent « ma chérie », j’aime beaucoup la chute.
d »jà ! merci 🙂 … mais là je corrigeais avant d’aller en cuisine… lirai après le théâtre ce soir
On s’attendrit, mais pas que
pas trop s’attendrir (mais pas mordre non plus, ça ne se fait pas) 🙂
très enlevé et j’adore la douce ironie pour parler des mœurs observées !
Il ne faut néanmoins pas oublier certaines personnes qui aiment tellement les gens qu’elles les « chéris »sent vraiment… 😉
pas tout à fait oublié///
mes, ma… petites ou grandes chéries qu’on entend chez Tchekhov, que j’entendais au dîner goûter du dimanche. Ce, mes chéries (vexant d’être logé dans le même « chéries »… ) Ce, ma chérie qu’on voudrait croire, qui fond à force de répétitions. Ce, chérie si pratique pour qui oublie les noms… cette tendresse qui t’annule. Et le père en jardin. Là? ou réveillé du souvenir… ce chérie qui rassure
la vérité des « chéries » se lit dans les yeux, dans une inflexion de l voix ou dans la certitude.. un peu l’impression que ça date tout de même (et mes « ma belle » ne valent sans doute pas mieux)
L envers des chéries…très réussi Brigitte !
tout cela contenu dans votre voix, ces mots, ces « petites chéries » nous parlent fort… et cette belle fluidité du texte
ben, merci Brigitte, merci…
(faut que je m’y colle à mon tour !)