Un jour elle n’est pas rentrée.
Au début il n’a prévenu personne. Ni la famille ni les amis. Il a attendu. Simplement il a patienté. Elle avait déjà disparu une fois. Elle était rentrée au bout de quelques jours. Besoin de s’aérer elle avait dit. Les derniers mois avaient été difficiles, l’appartement devenait trop petit pour eux deux, et quand elle n’était pas rentrée, il avait pensé. Patience. Il s’était répété le mot comme un mantra. Quand il descendait à la boîte aux lettres. Quand il glissait la clé dans la serrure et poussait la porte. Quand il regardait les lumières de la ville défiler depuis la vitre du tram. Patience. Il fallait lui laisser du temps. C’est ce qu’il s’était dit. De l’espace. Elle avait toujours manqué d’espace. Manqué d’air avec lui. C’est ce qu’elle lui avait dit une fois. J’ai besoin d’air. J’ai besoin de grand. De voir la vie en grand. L’horizon en entier. Et toi tu me fais de l’ombre. Il n’avait pas voulu croire ce qu’elle disait. Un accès de colère tout simplement. La preuve. Tout était rentré dans l’ordre après cela. Ou presque. Jusqu’à aujourd’hui.
Au bout d’une semaine il ne pouvait plus le cacher. il continuait de descendre les poubelles, d’espérer entrevoir le rayon de lumière quand il glisserait la clé dans la serrure. Mais les appels ne trompaient pas. Son boulot d’abord. Depuis le premier jour. Il avait bien tenté de les ignorer. Au début. Mais ils insistaient. Et puis les amis. Et sa mère. Sa mère qui avait tout organisé pour son anniversaire à elle. Jamais elle n’aurait manqué ça. C’est sa mère qui avait prévenu la police. Sa mère qui avait dit qu’il avait trop attendu. Beaucoup trop.
Le policier qui était venu l’avait tout de suite suspecté. Posé des questions précises, insistantes. Il avait voulu passer l’appartement au peigne fin. Il avait fallu raconter une histoire à dormir debout à la voisine du troisième qui avait vu défiler dans la même matinée les flics, la police scientifique, sa mère à elle, une amie alertée par la mère. Il avait eu beau expliquer que ça lui était déjà arrivé. Qu’elle partait parfois sur un coup de tête. Sa mère à elle avait tenu à déposer une plainte. Disparition inquiétante. Il imaginait déjà son visage placardé à tous les coins de rue, les regards que les autres poseraient sur lui quand il saurait, car oui il s’inquiétait de ça, même à ce moment là, il s’inquiétait de savoir ce que les autres auraient dans la tête, ce qu’ils imagineraient, ce qu’ils se raconteraient le soir devant la télé, ce qu’ils penseraient de lui, qu’elle l’avait abandonné, comme un animal grotesque devenu encombrant. Il avait beau ne plus être un enfant depuis longtemps, sa gorge le serrait comme une poigne de fer si bien que les larmes jaillissaient à tout moment, au travail à la boulangerie, ou devant les boîtes aux lettres.
Les semaines ont passées. Les mois. Sa mère à elle le regardait d’un œil mauvais entre les larmes. Lui rappelait les statistiques sur les conjoints violents, les conjoints meurtriers, de ceux que personne n’aurait soupçonné jusqu’au jour où. Les voisins aussi le regardaient bizarrement. S’écartaient sur son passage. Limite s’ils ne se bouchaient pas le nez en l’apercevant. Bien sûr il aurait pu partir, il aurait pu déménager. Mais il ne pouvait s’y résoudre. Dans un coin de sa tête il se devait de rester vivre là, pour le jour où elle déciderait de revenir. Oui c’est sûr elle allait revenir.
Un matin, il a lu dans le journal un article sur les disparus volontaires. Sur ce phénomène au Japon qui poussait les gens un matin à emmener leur enfant à l’école, à garer leur voiture sur le parking du supermarché, à verrouiller les portières comme chaque jour, avant de disparaître, de s’évaporer, de s’évanouir.
Ce matin-là, il a posté une lettre de résiliation de son bail, il a fait sa valise, et il est parti. C’était à son tour de disparaître. C’était à son tour de devenir quelqu’un d’autre, de croiser d’autres corps, d’autres vies, de traverser le rideau opaque, de s’évaporer à son tour.
Personne ne l’a plus jamais revu.
Vraiment bien. Très convaincant. Merci, Cécile.
Merci Anne pour la lecture!
C’est beau mais c’est triste, il faudrait une suite pour ne pas rester inachevée devant ce que tu as amorcé.
Merci Clarence pour la lecture! Oui c’est vrai que ça appelle à un développement, peut-être que cela viendra, ou peut-être que le mystère de ces vies effleurées restera entier… A suivre!