On les a lâchés dans le village et ils sont partis faire des photos. Sans hésiter, pas une seconde.
Qu’avaient-ils en tête ? que recherchaient-ils ?
Ils ont marché. Il faut marcher pour faire des photos. Ils n’avaient qu’une heure, ça ne les a pas rebutés.
Que peut-on faire dans un village qu’on ne connaît pas ou connaît trop bien ? Qu’est-ce qu’on veut montrer ? A-t-on seulement un projet ? Qu’est-ce qui va retenir le regard ?
Ils sont rentrés avec des cartes pleines et des anecdotes.
Des détails colorés en très gros plans. Les jeux du jardin d’enfants et la boite à livres. Rouge, bleu, jaune. Les nœuds bleus des cordages de l’araignée d’escalade. Le rouge de la boite à livres. Le jaune des balançoires.
Le portrait des commerces pris à moyenne distance de sorte à faire apparaître la vitrine en entier. La pharmacie, le fleuriste, la boulangerie-pâtisserie, la boucherie-charcuterie. Quelques plans plus larges montrant ce qui se passe autour : un cycliste, l’arrêt du bus.
Des portraits d’arbres, plusieurs fois le même arbre en entier à force de tourner autour, de s’en éloigner et de s’en rapprocher.
Des détails graphiques insituables, des grilles, des escaliers, des bancs, des lattes de bois (formant porte ?).
Frontalement, en noir et blanc, une grange dépotoir, quelque chose de dissonant dans ce village propret.
Des mains d’enfant feuilletant des livres d’images à la bibliothèque.
Des très gros plans des mains de la fleuriste et des bouquets qu’elle prépare. Formes floues très douces aux nuances pastel pour un accueil moins que courtois.
Des arbres encore, les frondaisons en contre-plongée, des flous de bouger, des arbres qui bougent et des troncs solides statiques, immobiles. Une feuille tombée sur l’herbe.
Pas de mairie, pas d’église, pas de tours de l’ancien château médiéval pourtant emblème du village. Pas de symboles, rien que la vie des gens, sans les gens qu’il devient chaque jour plus dangereux de prendre en photo.
C’est bien un village français avec ses commerces, son parc, ses jeux d’enfants, la route qui le traverse, sa bibliothèque et sa boite à livres. Rien qu’un village français sans personne ni symbole. Neuf regards, pas deux images semblables.